Qu’est-ce qui alimente la montée de l’extrême droite en Europe ?

Un drapeau de la croix de Saint-Georges est peint sur le blanc d'un rond-point dans l'ouest de Londres. 27 août 2025. (File/AFP)
Un drapeau de la croix de Saint-Georges est peint sur le blanc d'un rond-point dans l'ouest de Londres. 27 août 2025. (File/AFP)
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Publié le Mercredi 03 septembre 2025

Qu’est-ce qui alimente la montée de l’extrême droite en Europe ?

Qu’est-ce qui alimente la montée de l’extrême droite en Europe ?
  • Des partis autrefois marginaux gagnent du terrain, comme le Reform Party au Royaume-Uni, porté par un discours raciste et anti-immigration
  • Ce phénomène s’observe également en France, en Italie, aux Pays-Bas et en Hongrie, où les extrêmes influencent fortement le débat public et les choix électoraux

Je vis en Grande-Bretagne depuis la fin des années 1970, mais je n’ai jamais été témoin de ce que je vois aujourd’hui. Certains ronds-points à Londres ont été peints de la croix rouge de Saint-Georges — l’emblème historique et religieux de l’Angleterre, qui figure également, aux côtés de la croix de Saint-André pour l’Écosse et de la croix de Saint-Patrick pour l’Irlande, sur l’Union Jack — sur fond blanc.

Ce symbole met en avant une identité anglaise, au détriment de l’identification au Royaume-Uni. Il faut savoir que pour les isolationnistes anglais les plus radicaux, la « britannicité » est une identité artificielle, née de l’expansion nationaliste anglo-saxonne qui a soumis, puis absorbé, les minorités celtiques — Écossais, Irlandais et Gallois — sous la couronne impériale.

Il est vrai que l’évolution du Royaume-Uni — nom officiel de la Grande-Bretagne et de l’Irlande du Nord — a affaibli les fidélités ethnolinguistiques et les nationalismes, dans une certaine mesure, mais sans les faire totalement disparaître. Dans de nombreuses régions rurales conservatrices d’Angleterre, beaucoup continuent à voir le Parti travailliste comme un représentant des minorités et des étrangers. Ce sentiment a longtemps profité politiquement au Parti conservateur.

Au début du XXe siècle, les conservateurs — héritiers naturels du vieux parti tory — et les libéraux, successeurs des whigs, dominaient la scène politique britannique.

La Révolution française ayant libéré les idéaux du libéralisme, ceux-ci se sont rapidement propagés aux colonies nord-américaines de la Grande-Bretagne. Toutefois, les excès de la Terreur post-révolutionnaire en France ont déclenché une réaction intellectuelle conservatrice pragmatique, cherchant à contenir les dérives du libéralisme, à restaurer l’autorité de l’État et à préserver la cohésion et les intérêts de l’Empire britannique.

Les partis jadis relégués aux marges sont désormais au volant.

                                                           Eyad Abu Shakra

Le conflit entre le camp libéral, défenseur de l’émancipation, et le camp conservateur, partisan de l’ordre impérial, a ainsi façonné les politiques intérieure et étrangère. Au fil des décennies, conservateurs et libéraux ont donné naissance à certaines des figures les plus marquantes de l’histoire impériale britannique.

Mais les choses ont commencé à changer avec la montée des idées socialistes en Europe, et l’émergence de penseurs influents en Allemagne, en Grande-Bretagne et ailleurs. Sans entrer dans les détails de cette histoire intellectuelle, plusieurs modèles d’« alternative socialiste » se sont formés à travers le continent, s’étendant du communisme, ou « socialisme scientifique », à la social-démocratie.

La Grande-Bretagne n’a pas échappé à ces influences, ni sur le plan intellectuel, ni dans le mouvement ouvrier. De ces forces est né un nouvel acteur politique de gauche : le Parti travailliste. Avec le temps, celui-ci s’est imposé comme un acteur central, rival principal des conservateurs, représentants de la droite institutionnelle et pragmatique.

Les deux principaux partis — conservateurs et travaillistes — ainsi que le Parti libéral (devenu les Libéraux-démocrates après leur fusion avec les sociaux-démocrates dissidents dans les années 1980) restent les piliers de la politique britannique. Mais malgré leur ancrage historique, ces trois partis sont désormais confrontés à deux modèles politiques émergents.

Le premier regroupe des partis fondés sur l’identité ethnolinguistique, souvent autonomistes ou séparatistes : le Parti national écossais (SNP), les partis majeurs d’Irlande du Nord (notamment le catholique Sinn Féin et le protestant Democratic Unionist Party), et les nationalistes gallois de Plaid Cymru.

Le second modèle est celui des partis radicaux, aussi bien à l’extrême droite qu’à l’extrême gauche. La principale force en la matière est le Reform Party, un mouvement d’extrême droite, anti-immigration et anti-européen. À gauche, un mouvement radical moins influent se forme autour de Jeremy Corbyn, ancien leader travailliste.

Sous la direction de Nigel Farage, le Reform Party est aujourd’hui en tête dans les sondages, devant les travaillistes et les conservateurs. Et plus il gagne en confiance, plus son discours devient acride et ouvertement raciste, avec des appels à renvoyer les « immigrés illégaux » dans leurs pays d’origine.

La mondialisation a fortement accéléré la migration vers les pays occidentaux. 

                                                        Eyad Abu Shakra

Mais le Reform Party n’est en rien un phénomène isolé, ni au Royaume-Uni ni en Europe. La Grande-Bretagne a déjà connu de telles figures : notamment Sir Oswald Mosley (1896–1980), chef de l’Union britannique des fascistes, ou encore Enoch Powell (1912–1998), conservateur radical qui a ensuite rejoint un parti de droite nord-irlandais.

Sans minimiser l’influence de l’extrême droite aux États-Unis sous Donald Trump, ou en Inde sous Narendra Modi, cette poussée de la droite radicale s’inscrit dans un phénomène plus large en Europe.

Les partis jadis relégués aux marges sont désormais aux commandes dans des pays comme l’Italie, les Pays-Bas ou la Hongrie, et montent en puissance en France, en Espagne, au Portugal et en Grèce.

Plusieurs facteurs expliquent la montée de cette droite radicale et raciste, et le déclin parallèle de la gauche. Le plus important d’entre eux est sans doute la mondialisation, qui, en quelques décennies, a aboli les frontières politiques et géographiques, et a fortement accru la migration vers les pays occidentaux — en particulier depuis l’Asie, l’Afrique et l’Amérique latine.

Un second facteur est la perte de valeur de l’individu face aux avancées technologiques rapides, notamment dans le domaine de l’intelligence artificielle, rendant l’emploi stable presque inaccessible pour des milliards de personnes. Cette précarité affaiblit la capacité des syndicats et des partis de gauche à jouer leur rôle protecteur.

Un troisième facteur est le changement démographique à l’œuvre dans les « sociétés européennes blanches et chrétiennes », dont la population est en stagnation ou en déclin, alors que celle des communautés migrantes non chrétiennes et non blanches connaît une croissance rapide.

Je conclurai par une remarque à la fois accessoire, mais révélatrice.

Le « phénomène Trump » aux États-Unis est apparu quelques années seulement après l’élection du premier président afro-américain du pays. De même, au Royaume-Uni, la popularité du Parti conservateur a commencé à s’éroder au profit des extrémistes du Reform Party juste après que les conservateurs ont élu deux leaders issus de l’immigration : l’un d’origine indienne, l’autre d’origine africaine.

Eyad Abu Shakra est directeur de la rédaction d'Asharq Al-Awsat, où cet article a été initialement publié.

X : @eyad1949

NDLR: Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com