L’Amérique et le Liban… une image obscure

Un homme en scooter passe devant la mosquée Mohamed Al-Amin dans le centre de Beyrouth. (AFP)
Un homme en scooter passe devant la mosquée Mohamed Al-Amin dans le centre de Beyrouth. (AFP)
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Publié le Mercredi 05 novembre 2025

L’Amérique et le Liban… une image obscure

L’Amérique et le Liban… une image obscure
  • Les Libanais à l’intérieur du pays fantasment sur l’influence politique de leurs expatriés aux États-Unis, mais les réalités politiques et religieuses des communautés libano-américaines rendent ce rêve peu réaliste
  • La pression américaine et israélienne sur le Liban néglige la complexité locale et régionale, risquant d’aggraver les tensions sans garantir une paix durable

Les citoyens libanais commencent et terminent leurs journées avec des questions sur ce que l’avenir leur réserve, dans un contexte de paralysie politique et de difficultés économiques… et avec une anxiété légitime quant à l’avenir.

Pendant ce temps, Washington exerce une pression croissante pour faire avancer la partie libanaise de son effort régional, qui s’aligne naturellement sur les objectifs d’Israël.

Malgré les nombreux noms libanais parmi les diplomates américains au Moyen-Orient, il ne fait aucun doute que leur loyauté envers Washington et ses intérêts passe avant tout.

Néanmoins, les Libanais à l’intérieur du Liban continuent de fantasmer sur le rôle éminent que leurs parents expatriés pourraient jouer dans les couloirs de la politique américaine. Ce rêve inaccessible est partagé par de nombreux expatriés eux-mêmes ; lors de la campagne de réélection du président Donald Trump, ils misaient sur les liens familiaux et les affaires pour pouvoir exercer une influence positive sur lui.

Comme d’habitude, ils (ou disons beaucoup d’entre eux) ont manifestement perdu leur pari. Leurs aspirations étaient infondées en raison des dures réalités qu’ils refusent de reconnaître.

Pour commencer, deux problèmes se dressent sur leur chemin. Le premier est un problème fondamentalement libanais et le second est un problème arabo-islamique.

Concernant le premier problème, si les soi-disant valeurs judéo-chrétiennes constituent un pilier de la politique de la droite américaine, les loyautés politiques et les visions géopolitiques des « anciens » immigrants libanais (dont la majorité est chrétienne) diffèrent beaucoup de celles des nouveaux Libano-Américains. Ces derniers sont ceux qui ont émigré vers les États-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale, surtout pendant la guerre civile libanaise, et la plupart d’entre eux sont musulmans.

Il convient de noter que les anciens immigrants, ainsi que leurs enfants et petits-enfants, considèrent le Liban (son identité politique, nationale et religieuse) différemment de ceux qui sont arrivés plus tard, en particulier après la guerre civile.

Autre point important : les anciens immigrants se sont, dans l’ensemble (en particulier les chrétiens), « américanisés ». Ils se sont assimilés à la culture politique des chrétiens blancs des États-Unis, notamment par le biais du Parti républicain. Ils font partie de la classe d’affaires. En revanche, une grande partie des nouveaux Libano-Américains continue de s’identifier à ses origines — un attachement qui croît parallèlement aux influences régionales (israélienne, iranienne et, plus récemment, turque).

Les Libanais à l’intérieur du Liban continuent de fantasmer sur le rôle éminent que leurs parents expatriés pourraient jouer dans la politique américaine. 

                                              Eyad Abu Shakra

Cette fracture semble se refléter dans les tensions entre les propositions des intermédiaires et des diplomates américains (y compris des figures juives actives comme Jared Kushner et Morgan Ortagus) et des diplomates et conseillers chrétiens libanais tels que Tom Barrack, Massad Boulos et le nouvel ambassadeur américain à Beyrouth, Michel Issa, d’une part, et, d’autre part, les forces locales libanaises disposant d’un poids politique et militaire, ainsi que de liens régionaux.

En vérité, Washington et Tel-Aviv connaissent bien la fragilité du Liban. Ils comprennent le calcul politique complexe dans ce pays de 18 sectes, mais cela ne les a pas empêchés d’agir dans une ignorance volontaire.

Par exemple, Washington et Tel-Aviv savent parfaitement que l’Iran exerce une forte influence sur toutes les communautés chiites du Moyen-Orient. Néanmoins, ils poussent le gouvernement libanais à prendre des mesures qui ne tiennent pas compte de la délicatesse du système de partage du pouvoir du pays.

De plus, cette approche musclée se produit alors que l’Irak s’apprête à tenir des élections cruciales qui mettront à l’épreuve l’influence de Téhéran, obtenue en 2003 en raison des politiques américaines et israéliennes. Ce sont les premières élections irakiennes depuis que le régime iranien a été neutralisé en Syrie, alors que la nouvelle identité politique de ce pays reste à définir au milieu d’un bras de fer turco-israélien sur son territoire.

Cela nous amène au second problème : la dimension arabo-islamique de la question libanaise.

Il est évident, malheureusement, que la pression américaine et israélienne sur le Liban ne tient pas compte de ce qui s’est passé à Gaza depuis le 7 octobre 2023. Ils ont ignoré les menaces auxquelles sont confrontés les habitants de la Cisjordanie et d’autres, en raison des promesses d’un « Grand Israël » par les ministres israéliens Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich, ainsi que par des activistes extrémistes des colonies comme Daniella Weiss.

À mon avis, la première question est de savoir si Trump peut convaincre la droite israélienne de s’engager dans son projet alors que cette dernière présente des plans de déplacement et d’expansion des colonies.

En effet, il sera difficile d’imaginer les répercussions régionales (au Liban mais aussi au-delà) si la Maison-Blanche ne s’oppose pas à ces plans, que de plus en plus de Juifs sensés dans le monde reconnaissent désormais comme un fardeau lourd et une menace dangereuse pour les communautés juives à l’échelle mondiale.

Avant de menacer le fragile gouvernement libanais, Washington doit faire le pas suivant. Il doit montrer un engagement sérieux pour assurer une paix globale dans la région. Quant à perdre du temps avec des batailles mineures destinées à détourner l’attention du problème central, cela ne fera qu’aggraver et compliquer les choses.
 

Eyad Abu Shakra est directeur de la rédaction d'Asharq Al-Awsat, où cet article a été initialement publié.

X : @eyad1949

NDLR: Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com