Manchester n’a pas laissé un extrémiste briser les liens interconfessionnels

Il est du devoir des forces de l'ordre britanniques de veiller à ce que personne ne se sente en danger en raison de son identité religieuse ou raciale. (AFP)
Il est du devoir des forces de l'ordre britanniques de veiller à ce que personne ne se sente en danger en raison de son identité religieuse ou raciale. (AFP)
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Publié le Mercredi 22 octobre 2025

Manchester n’a pas laissé un extrémiste briser les liens interconfessionnels

Manchester n’a pas laissé un extrémiste briser les liens interconfessionnels
  • Malgré l’attentat terroriste visant une synagogue à Manchester, les communautés juive, musulmane et chrétienne ont fait preuve d’une solidarité exemplaire, refusant de laisser la haine les diviser
  • Face à la montée des discours de haine et de l’extrémisme, le renforcement des liens interconfessionnels et le rejet collectif de la violence sont essentiels pour préserver la cohésion sociale

Il faut être soit complètement dérangé, soit consumé par la haine pour s’en prendre à des fidèles pendant leurs observances religieuses et en leur jour le plus saint de l’année. C’est ce qui s’est passé quand un terroriste isolé, Jihad Al‑Shamie, muni d’un couteau, a attaqué la Congrégation hébraïque de Heaton Park, une synagogue à Crumpsall, dans le nord de Manchester, lors du récent jour saint juif de Yom Kippour. Cet acte tragique de terrorisme s’est terminé par deux fidèles juifs morts et trois grièvement blessés, tandis que l’assaillant a été abattu par la police.

Le choc au sein de la communauté juive a été profond. Depuis de nombreuses années maintenant, toutes les synagogues sont entourées de clôtures et de portails, équipées de caméras de surveillance et gardées par des bénévoles de la communauté et des agents de sécurité privés. Dans le cas de Manchester, ce sont des volontaires de sécurité de la communauté locale qui ont retenu les portes contre l’assaillant, empêchant d’autres morts après qu’il ait foncé dans les portails avec une voiture puis attaqué des fidèles au couteau.

La tristesse et la colère contre l’assaillant, autant que le choc, étaient compréhensibles. Pourtant, il était encourageant, même réconfortant, de voir que l’objectif principal d’Al‑Shamie de créer une fissure entre les différentes communautés de foi à Manchester avait totalement échoué. Crumpsall est un quartier de la ville très diversifié sur le plan religieux avec une petite communauté juive d’environ 1 000 personnes, tandis que 10 000 des 18 000 habitants sont musulmans, certains originaires du Moyen‑Orient, d’autres d’Asie. Encore 4 000 se déclarent chrétiens. Tous entretiennent des relations amicales.

La réponse immédiate des membres non‑juifs de la communauté, beaucoup d’entre eux musulmans, a été de venir réconforter les résidents juifs évacués de la synagogue et de leur fournir de l’eau en bouteille et des couvertures tout en exprimant leur consternation face à cet incident tragique. Une église voisine a installé un stand distribuant de la nourriture aux habitants, tout dans l’esprit d’une communauté déterminée à ne pas laisser un acte violent d’une seule personne détruire des décennies de relations de voisinage.

C’était encourageant, même réconfortant, de voir que l’objectif principal d’Al‑Shamie de créer une fissure entre les communautés avait échoué.

                                      Yossi Mekelberg

Comme dans des cas similaires, il est impossible de savoir exactement ce qui a déclenché cette attaque meurtrière. Néanmoins, nous savons qu’après que l’assaillant ait percuté le mur de la synagogue avec sa voiture, il a appelé le 999 et juré allégeance à Daesh. D’où l’importance primordiale des expressions de soutien des voisins musulmans et des déclarations comme celle de l’imam Qari Asim, coprésident du British Muslim Network, qui a déclaré que les scènes à Crumpsall « n’ont pas leur place dans notre société » et que « toutes les formes d’antisémitisme sont totalement inacceptables ».

Il n’est un secret pour personne que les crimes haineux sont en hausse au Royaume‑Uni, aussi bien contre Juifs que contre Musulmans, des personnes étant ciblées simplement pour leur religion ou identité. Le rôle et le devoir des forces de l’ordre du Royaume‑Uni est de s’assurer que personne ne se sente en insécurité ou menacé en raison de son identité religieuse ou raciale. Cependant, c’est tout autant la responsabilité des politiciens, des médias, des leaders communautaires et de chacun d’entre nous de rejeter les discours de haine, sans parler des crimes haineux.

Nous ne pouvons pas nous permettre le luxe de rester silencieux face à toute forme d’attaque dirigée contre des communautés, qu’elle soit physique ou verbale. L’an passé a vu certaines des pires manifestations d’antisémitisme et d’islamophobie du pays, à tel point que Iman Atta, directrice de Tell MAMA, une importante association de lutte contre les crimes de haine, a observé que c’est le « moment le plus dangereux pour être musulman au Royaume‑Uni ». Et bien que le Community Security Trust, qui en plus de fournir la sécurité pour les événements juifs surveille aussi les crimes antisémites contre les Juifs et les institutions juives, ait enregistré moins d’attaques antisémites en 2024, leurs chiffres n’étaient dépassés que par ceux de l’année précédente.

Entre la guerre à Gaza et la montée de l’extrême droite et sa théorie complotiste du « grand remplacement », les Juifs, les Musulmans et les minorités en général sont devenus de plus en plus vulnérables. Les manifestations contre la brutalité d’Israël à Gaza n’étaient pas seulement légitimes mais nécessaires, et la plupart des manifestants et intervenants se sont comportés de manière responsable. Cependant, il y a aussi eu des manifestations inacceptables d’antisémitisme et d’incitation contre la communauté juive qui ont délibérément confondu leur soutien à Israël avec un soutien au gouvernement israélien, ce qui ne justifie pas non plus que l’on recoure aux crimes de haine.

L’extrême droite a exploité cette situation en avançant un argument sans fondement qui relie tous les Musulmans à l’extrémisme et constitue ainsi un sinistre effort pour légitimer et normaliser les attaques contre les Musulmans et les mosquées, comme ce fut le cas, par exemple, dans un récent incendie criminel contre une mosquée à Peacehaven, dans l’East Sussex.

La solidarité et l’unité entre différentes communautés sont la clé de la cohésion sociale dans le Royaume‑Uni multiculturel.

                                             Yossi Mekelberg

Comme d’habitude, les interventions des ministres israéliens après l’attaque mortelle à Manchester ont été malavisées et ont prouvé leur ignorance des relations entre les communautés de foi au Royaume‑Uni. Le ministre des Affaires étrangères Gideon Sa’ar a accusé le gouvernement britannique d'être faible face au terrorisme et a, commodément et faussement, assimilé la critique d'Israël à de l'antisémitisme. Tant Sa’ar que le Premier ministre Benjamin Netanyahu ont également décrit la reconnaissance par Londres de la Palestine comme un facteur majeur de cette “faiblesse” alléguée.

Pire encore, le ministre israélien des affaires de la diaspora, Amichai Chikli, dans un acte de pure folie, a invité un agitateur britannique d’extrême droite, anti‑musulman et antimigrant, le criminel condamné connu sous le nom de Tommy Robinson, à visiter Israël, lui disant combien il était content de son travail. Si c’est la contribution du gouvernement israélien à la lutte contre l’antisémitisme, ils feraient mieux de s’abstenir pour le bien de tous. Heureusement, cet acte d’automutilation israélienne a été condamné par la Board of Deputies of British Jews et par le Jewish Leadership Council, qui ont justement décrit Robinson comme « un voyou » qui représente « le pire de la Grande‑Bretagne ».

La solidarité et l’unité entre différentes communautés sont la clé de la cohésion sociale dans le Royaume‑Uni multiculturel, tout autant que dans le reste de l’Europe. Au cours des dernières années, j’ai eu le privilège d’être invité par le Forum of Israel‑Palestine Dialogue, une petite mais très efficace organisation interconfessionnelle, à animer des ateliers avec des jeunes de confession chrétienne, juive et musulmane.

Leur soif d’engager l’un avec l’autre une discussion honnête, certes difficile, sur les complexités du conflit israélo‑palestinien a toujours été pour moi une source d’inspiration. Ils cherchent à savoir et à comprendre davantage comment ceux d’autres communautés pensent et ressentent l’un des sujets les plus controversés des affaires mondiales. Ils essaient aussi de chercher des solutions constructives, autant que de s’assurer que cela ne vienne pas empoisonner les relations interconfessionnelles dans ce pays. Ils ne sont pas toujours d’accord les uns avec les autres, mais ils se respectent mutuellement et, même après ces deux dernières horribles années, ils n’ont pas cessé de venir aux réunions.

C’est la réponse à l’extrémisme : ne jamais éviter les conversations difficiles entre personnes de vues différentes et, par la rencontre les unes avec les autres, construire la confiance et montrer de l’empathie.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du programme MENA à Chatham House.

X : @YMekelberg

NDLR : les opinions exprimées par les auteurs dans cette section leur sont propres et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com