Le Liban menacé par la guerre

C'est l'occasion pour le gouvernement Salam-Aoun de prouver aux Libanais qu'il est capable de diriger (AFP)
C'est l'occasion pour le gouvernement Salam-Aoun de prouver aux Libanais qu'il est capable de diriger (AFP)
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Publié le Mercredi 12 novembre 2025

Le Liban menacé par la guerre

Le Liban menacé par la guerre
  • Le Liban est extrêmement fragile : désaccords internes, Hezbollah puissant et Israël prêt à intervenir
  • Le gouvernement doit montrer un leadership clair et négocier un désarmement politique avec le Hezbollah, soutenu par les puissances régionales, pour éviter la guerre

Les tensions sont à leur paroxysme au Liban. L’envoyé américain Tom Barrack aurait donné à Beyrouth jusqu’à la fin novembre pour désarmer le Hezbollah, avertissant qu’Israël lancerait une action militaire si rien ne change après cette échéance. Le Liban est au bord de la guerre. Certains affirment que les États-Unis ne font qu’augmenter les enjeux avant les négociations. Cependant, les enjeux sont déjà très élevés et rien ne doit être laissé au hasard.

La situation interne est très tendue. Elle a dépassé la simple rhétorique. Des parlementaires proches des Forces libanaises ont déposé une plainte judiciaire contre Naim Qassem, secrétaire général du Hezbollah, l’accusant d’incitation à la guerre civile. Selon ma source, avant le procès, il y avait eu quelques discussions entre les deux parties, mais désormais il n’y a plus aucune communication.

Sur le plan international, les États-Unis ont imposé la semaine dernière un nouveau tour de sanctions contre des opérateurs du Hezbollah profitant de l’économie en espèces. Le groupe est acculé et c’est dangereux. « Un animal acculé attaquera et ne cédera pas. »

Le journal israélien Haaretz a publié dimanche un article affirmant que le cessez-le-feu, qui ne tient que sur le papier, s’effondrerait dans quelques jours. Des chars israéliens seraient déployés à la frontière. « Les scénarios potentiels pour le Liban sont très sombres. »

Des chars israéliens seraient déployés à la frontière. Les scénarios potentiels pour le Liban sont très sombres. 

                                               Dr. Dania Koleilat Khatib

Alors qu’initialement, il y avait un élan pour désarmer le Hezbollah après l’accord de cessez-le-feu de l’année dernière, le gouvernement semble maintenant avoir pris peur. Cela a provoqué l’ire de factions comme les Forces libanaises, qui sont déterminées à désarmer le groupe.

Par ailleurs, un désaccord entre le président Joseph Aoun et le Premier ministre Nawaf Salam sur la question du Hezbollah est devenu visible. Fin septembre, le groupe a marqué le premier anniversaire de l’assassinat de Hassan Nasrallah en projetant son image sur le Rocher de Raouche. Salam a condamné ce geste, estimant que cette action constituait une utilisation privée d’un lieu public. Pourtant, Aoun a décerné l’Ordre national du Cèdre au commandant de l’armée Rodolphe Haykal pour ses actions lors du mémorial, malgré les accusations selon lesquelles ses troupes n’avaient pas suffisamment empêché le Hezbollah d’illuminer le rocher.

L’État apparaît comme faible. Le président et le Premier ministre ne sont pas alignés. Aoun craint qu’un affrontement avec le groupe ne conduise à la dissolution de l’armée. Salam, de son côté, insiste sur la question du désarmement. L’État ne peut contrôler les échanges entre les différentes factions.

Face à Israël, le Liban est faible. L’armée libanaise n’est pas de taille face à l’armée israélienne. Bien que les armes du Hezbollah soient la raison pour laquelle Israël frappe le Liban, elles créent au moins une forme de dissuasion. « Elles sont une arme à double tranchant. »

Il y a eu la menace du Hezbollah d’attaquer les champs gaziers Karish et Leviathan d’Israël. Nasrallah a menacé à plusieurs reprises de le faire si les droits maritimes libanais n’étaient pas réglés. Il était dans l’intérêt d’Israël de régler la question avec le Liban et d’éliminer tout prétexte pour le groupe d’attaquer ses champs gaziers. Ces menaces ont freiné l’appétit des entreprises à investir dans les champs. Ce levier n’existe plus.

Alors que les armes du Hezbollah sont la raison pour laquelle Israël frappe le Liban, elles créent au moins une forme de dissuasion. 

                                            Dr. Dania Koleilat Khatib

Le Liban n’a aucun pouvoir de dissuasion, aucun pouvoir de négociation, tandis qu’Israël possède tous les leviers. Contrairement à la Syrie, soutenue par l’Arabie saoudite et la Turquie, le Liban n’est la priorité de personne. Alors, que doit-il faire ? Désarmer le Hezbollah par la force n’est pas une option. Non seulement cela provoquerait un affrontement interne, mais rien ne garantit que l’armée puisse mener cette tâche. D’un autre côté, si le désarmement devait se faire par la négociation, l’État ne peut offrir de garanties au groupe. L’État peut-il garantir que le Hezbollah ne sera pas ciblé s’il se désarme ? Pas vraiment.

L’État ne peut plus rester spectateur, il doit assumer le leadership. Pour commencer, Aoun et Salam devraient rapidement résoudre leurs divergences. Ils doivent s’accorder sur un plan d’action. Ils doivent être réalistes. Le Hezbollah ne se désarmera pas sans règlement politique. Des acteurs non étatiques comme l’Armée républicaine irlandaise et le PKK se sont désarmés après un accord politique. Il faut un plan d’action clair à discuter avec le Hezbollah, puis avec les puissances régionales, et ensuite avec les États-Unis, avant d’entrer en négociation avec Israël.

L’État libanais devrait chercher de l’aide. Comme pour la Syrie, il a besoin du soutien des puissances régionales. Mais ce soutien n’est pas gratuit. L’État libanais doit avoir une feuille de route claire. Cela ne concerne pas seulement le Hezbollah mais aussi les réformes. Personne ne veut dépenser son capital politique et son énergie pour un État en échec. Une fois que les puissances régionales seront convaincues de soutenir le Liban, l’État libanais pourra entamer des négociations directes avec Israël, disposant alors d’un certain levier.

Pour que le Hezbollah accepte, il faut que tout accord avec Israël inclue des garanties que le groupe ne sera pas ciblé et pourra continuer à fonctionner comme parti politique. De plus, une démonstration de leadership fort apaisera les querelles internes. Une fois que les différentes factions constateront la détermination au sommet, elles soutiendront l’État. Une démonstration de leadership inciterait également les États-Unis à contenir Israël, car la priorité de Washington est la stabilité dans la région.

La balle est dans le camp de l’État libanais : c’est une chance pour le gouvernement Salam-Aoun de prouver aux Libanais et à la communauté internationale qu’il peut diriger. Aujourd’hui, ce gouvernement fait face à son test le plus crucial. S’il échoue et que le Liban connaît une guerre dévastatrice, il deviendra un canard boiteux et personne ne lui fera confiance.
 

La Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, et plus particulièrement du lobbying. Elle est présidente du Centre de recherche pour la coopération et la construction de la paix, une organisation non gouvernementale libanaise axée sur la voie II.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com