Israël vote encore... et encore, et encore

Les manifestants tiennent des drapeaux et scandent des drapeaux israéliens lors d'une manifestation antigouvernementale près de la résidence du Premier ministre israélien à Jérusalem le 20 mars 2021, avant les élections qui auront lieu le 23 mars (Photo, AFP).
Les manifestants tiennent des drapeaux et scandent des drapeaux israéliens lors d'une manifestation antigouvernementale près de la résidence du Premier ministre israélien à Jérusalem le 20 mars 2021, avant les élections qui auront lieu le 23 mars (Photo, AFP).
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Publié le Lundi 22 mars 2021

Israël vote encore... et encore, et encore

Israël vote encore... et encore, et encore
  • Ne vous laissez pas tromper par les élections régulières que connaît le pays, qui se veulent le signe d'une démocratie dynamique et fonctionnelle
  • Une quatrième élection en deux ans est un signe de faiblesse que le Premier ministre Benjamin Netanyahu et ses partisans exploitent pour régner par le chaos et emporter le pays dans leur chute, s'il le faut

Lorsque les dictatures prennent fin, elles tombent en morceaux ; les démocraties, par contre, ont tendance à se dissoudre lentement. Cette métamorphose est souvent longue et atroce, mais à son terme, le pays change au-delà de toute reconnaissance.

Hélas, tel est l'état actuel du système politique en Israël. Ne vous laissez pas tromper par les élections régulières que connaît le pays, qui se veulent le signe d'une démocratie dynamique et fonctionnelle. Bien au contraire. Une quatrième élection en deux ans est un signe de faiblesse que le Premier ministre Benjamin Netanyahu et ses partisans exploitent pour régner par le chaos et emporter le pays dans leur chute, s'il le faut.

Les sondages suggèrent que le soutien accordé auparavant à la gauche libérale s'est estompé, et les partis qui s'affrontent pour déterminer qui gouvernera le pays, à l'issue des élections du 23 mars, varient du centre-droit à la droite laïque et religieuse. De surcroît, il est fort probable que les représentants des suprématistes messianiques d'extrême-droite remportent des sièges à la Knesset, grâce au soutien actif de Netanyahu, et qu'ils rejoignent sa coalition en décrochant même un poste au Cabinet.

Les élections de cette semaine sont dominées par un éventail de nuances au sein de la droite. La véritable différence existe entre deux clans de la droite. Ceux qui s'engagent pleinement à former un gouvernement dirigé uniquement par Netanyahu et personne d'autre, et ceux qui ont promis aux électeurs, comme bien d'autres auparavant, mais avec un degré différent de rigueur, que tant que le Premier ministre sera en procès pour fraude, corruption et abus de confiance, ils ne le soutiendront pas pour renouveler son mandat de Premier ministre. Il est clair que si les partisans de ce dernier n'avaient pas été si controversés et s'ils n'avaient pas semé la discorde, nous aurions assisté à une large coalition de droite constituée de partisans du libre marché et de faucons en matière de politique internationale en général et des relations avec les Palestiniens en particulier.

Cependant, il convient de signaler deux réserves. Les enquêtes laissent également entendre que bon nombre d'électeurs, qui nourrissent une idéologie plus à gauche, sont plus favorables à un compromis historique avec les Palestiniens sur la base d'une solution à deux États, et soutiennent en général les valeurs sociales-démocrates. Ces électeurs entendent voter pour les partis de droite et les partis centristes, leur objectif principal étant de débarrasser le pays du règne corrompu et perturbateur de Netanyahu. Il s'agit de trois partis : Yemina, New Hope et Israel Beitenu, dirigés respectivement par Nafatali Bennet, Gideon Saar et Avigdor Lieberman qui étaient tous de proches alliés de Netanyahu par le passé et qui se sont éloignés de lui ou ont été écartés par la famille Netanyahu quand celle-ci a perçu qu'ils menaçaient sa mainmise sur le pouvoir. Voter pour des partis qui parviendront certainement à franchir le seuil électoral et à arrêter Netanyahu, plutôt que de voter pour un ensemble d'idées et de valeurs communes, constitue une démarche étrange mais tactique qui provient du sentiment de frustration et de désespoir.

Mardi pourrait marquer un tournant décisif pour la démocratie en Israël. Cette date pourrait annoncer la fin de l'ère Netanyahu et le début d'un long processus de guérison …

Yossi Mekelberg

La deuxième réserve concerne la stratégie électorale diamétralement inverse employée par Netanyahu et ses principaux rivaux. En effet, il est plus soucieux de consolider le bloc des partis qui lui accordent un soutien personnel, que de maximaliser le nombre de sièges attribués à son parti, le Likoud. Compte tenu de son expérience approfondie de ce type de situation, il mise sur ceux qui voient en lui le seul Premier ministre et veille à ce que les votes ne soient pas dispersés au profit de partis qui ne franchiront pas le seuil. De ce fait, il « tolère » les partisans qui ne votent pas pour le Likoud mais qui sont néanmoins susceptibles de rallier une coalition sous sa houlette. La situation est bien différente pour ses adversaires, dans la mesure où trois au moins d'entre eux envisagent de briguer le poste de Premier ministre, dont Saar et Bennet. Toutefois, le parti Yesh Atid de Yair Lapid a toutes les chances de devenir le deuxième parti le plus puissant du pays.La coalition « Tout le monde sauf Bibi » ( Alliance de rivaux pour contrer Netanyahu, Bibi étant son surnom ) est une aventure perdue d'avance qui ne dispose d'aucun chef de file. Pour eux, c'est le poids de leur parti, et non du bloc, qui déterminera la réussite de leur défi.  Ironiquement, cette intrigue pourrait conduire tous ces partis aux bancs de l'opposition, au lendemain des élections de mardi.

Par ailleurs, les élections précédentes se sont déroulées avant que l'on parvienne à appréhender l'impact dévastateur du coronavirus. Aujourd'hui, les élections se tiennent dans un contexte de plus de 820 000 cas confirmés, plus de 6 000 décès dus au virus et d'un taux de chômage inégalé. M. Netanyahu souhaite que l'électorat raye tous ces chiffres de sa mémoire car ils découlent de l'incapacité de son gouvernement à gérer cette crise sanitaire. Par contre, ce ne serait pas honnête de contester le déploiement rapide de la vaccination par M. Netanyahu, plus rapide que celui de tout autre pays. Il convient plutôt de saluer la structure unique du système de santé israélien et sa capacité à répondre rapidement à une situation de crise - un système de santé qu'il a pourtant négligé tout au long de son mandat. Pour lui, l'objectif était de lever le confinement. Il l'a fait à l'approche des élections car il voyait dans la fin de la pandémie et le retour à la vie normale un moyen de gagner des voix. Il l'a fait sans tenir compte de l'avis des experts scientifiques qui ont prévenu que cette mesure coûterait des vies une fois les élections passées.

La tentative désespérée de Netanyahu de s'accrocher au pouvoir a connu un autre développement, quelque peu inattendu, lorsqu'il a tenté récemment de persuader les Palestiniens d'Israël de voter pour le Likoud. Ce scénario invraisemblable a recueilli le soutien de l'une des factions de la Liste arabe commune et l'a conduite à se séparer de la liste. Par conséquent, la représentation des Arabes israéliens à la prochaine Knesset sera probablement sensiblement réduite. Une fois de plus, le cynique Netanyahu est parvenu à affaiblir ses adversaires et à semer la zizanie dans leurs rangs, ce qui lui permettrait de parvenir au bloc tant convoité des 61 membres de la Knesset qui le soutiendront.

Mardi pourrait marquer un tournant décisif pour la démocratie en Israël. Cette date pourrait annoncer la fin de l'ère Netanyahu et le début d'un long processus de guérison à la suite de son règne marqué par la division, la corruption et le manque de direction. Elle pourrait également mener au gouvernement le plus à droite de l'histoire du pays, et il serait dirigé par lui. Toutefois, d'autres coalitions éventuelles, ou encore de nouvelles élections générales dans quelques mois, ne sont pas à exclure de ce scénario.

 

• Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales à la Regent’s University de Londres, où il dirige le programme des relations internationales et des sciences sociales. Il est également membre associé du programme Mena à Chatham House. Il contribue régulièrement aux médias internationaux écrits et électroniques. Twitter: @YMekelberg

NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com