L'Iran ne peut plus esquiver les pourparlers sur le nucléaire

Hassan Rohani prononce un discours à l'occasion de Norouz, le nouvel an iranien, à Téhéran. (Photo, AFP)
Hassan Rohani prononce un discours à l'occasion de Norouz, le nouvel an iranien, à Téhéran. (Photo, AFP)
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Publié le Mercredi 24 mars 2021

L'Iran ne peut plus esquiver les pourparlers sur le nucléaire

L'Iran ne peut plus esquiver les pourparlers sur le nucléaire
  • Téhéran fait augmenter la tension dans le but de conclure un «accord» politiquement indéfendable pour la Maison Blanche
  • L'allègement des sanctions exigé par l'Iran avec passion, dénote le désespoir d’un État qui craint le retour des manifestations paralysantes

Les volées de la roquette lancées par les acolytes de l’Iran et qui ciblent le personnel militaire américain en Irak trahissent l’hypocrisie de Téhéran, qui revendique sans cesse une ouverture au réengagement dans les négociations nucléaires mais continue d’inciter ses milices armées à intensifier les tensions américano-iraniennes, dans le but de conclure un «accord» politiquement indéfendable pour la maison Blanche.

Heureusement, le président Biden a été parfaitement à la hauteur du défi, ordonnant des frappes de représailles contre les mandataires iraniens en Syrie. Ceci est une indication que si Washington veut ouvrir un dialogue au sujet des ambitions nucléaires de l'Iran et, espérons-le, arrêter son aventurisme régional et ses programmes de missiles balistiques, il est quand même capable de réagir d’une façon sévère à toute acte agressif de la part de Téhéran.

Il est peu probable que les attaques de février et mars soient les dernières d’ici juin, date à laquelle les Iraniens doivent se rendent aux urnes dans le but d’élire le successeur de Hassan Rohani à la présidence. Après tout, il serait illusoire de s’attendre à véritable progrès alors qu’un changement de gouvernement se profile à l’horizon, même si le président sortant, et qui ne peut briguer un troisième mandat, tente de protéger ce qui sera probablement un héritage politique déchiré. Pire encore, même si les pourparlers reprennent, ne serait-ce que pour jeter les bases de la promesse de toute une série de négociations prolongées, aucun progrès ne survivrait probablement à la prochaine présidence, qui compte déjà une liste d'anciens gardiens de la révolution et des services de renseignement iraniens tels qu'Ezzatollah Zarghami, Mohammad -Javad Azari Jahromi et Hossein Dehghan en lice pour le statut de favori.

Néanmoins, les progrès vers un dialogue ne seront pas mis en péril par de nouveaux échanges de tirs car, malgré toute sa flexion et sa projection, Téhéran fait face à une réalité incontournable - les pourparlers avec Washington ne peuvent en aucun cas être évités.

Les attaques contre Irbil et la base aérienne d'Al-Asad reviennent à «évaluer les réflexes» de l'autre camp, qui ne font que pousser encore et encore la nouvelle administration de la Maison Blanche à déterminer les limites de sa tolérance et, éventuellement, inciter Washington à mettre davantage son influence pour faire pression pour plus de concessions. Téhéran sait que sa présence éventuelle de l'autre côté de la table à partir du groupe des six grandes puissances P5 + 1 est inévitable, et le fait de ne pas être en mesure de maîtriser ses milices en Irak est une tentative d'être aux commandes de ces négociations.

Même si Téhéran s'est ancré en Syrie, au Liban, en Irak et au Yémen pour mener son programme de déstabilisation régional, tout en se rapprochant de plus en plus d'une arme nucléaire, résister au dialogue avec la communauté internationale reste injustifiable même au niveau national. La plupart des Iraniens ne souhaitent pas revenir au genre de populisme véhiculé dans le temps par Ahmadinejad, ni à un conflit généralisé dans la région. Ils sont conscients que ceci ne ferait qu’accroître l’isolement et les problèmes économiques en mettant en péril l’allégement des sanctions dont ils ont désespérément besoin.

Téhéran a reconnu qu'en dépit d'un manque de surveillance et d'application, les sanctions sont toujours une arme puissante qui fait cause des ravages dans la dynamique interne de l'Iran. Cet allégement exigé avec passion, avant même les potentiels pourparlers, dénote le désespoir d’un État qui craint le retour des manifestations paralysantes dans le contexte d’une économie de funambule. Il serait difficile de dépenser des capitaux précieux, politiques ou autres, à la recherche de gains d'une posture régionale agressive, qui ne fera que susciter des réactions beaucoup plus punitives, voire fatales, de la part des États-Unis plus engagés au niveau multilatéral.

Les leaders religieux iraniens devraient regarder par la fenêtre, ils verraient qu’il n’y a tout simplement aucun désir national pour de nouvelles prises de positions dangereuses

Hafed Al-Ghwell

Les leaders religieux iraniens devraient regarder par la fenêtre, ils verraient qu’il n’y a tout simplement aucun désir national pour de nouvelles prises de positions dangereuses. Sinon, ils risquent de confirmer les doutes partagés par les États du Golfe sur le sérieux de Téhéran de parvenir à un règlement qui limite ses programmes de missiles ainsi que son plan de déstabilisation régionale.

Alors que le mois de juin, il est important de garder comprendre le contexte. Ni Washington ni Téhéran ne veulent se précipiter vers un accord, mais elles ne veulent pas non plus d’un processus lent, car un rythme irrégulier met en danger les conditions fixées, surtout quand les gouvernements changent. Heureusement, pour la première fois depuis 1989, les deux pays ont plus ou moins synchronisé leur changement d’administration, et il y a de fortes chances que les clauses à venir survivent aux futures transitions de pouvoir, mais seulement si les négociations sont menées dans un cadre mutuel et bipartisan.

Espérons que Washington se rende compte qu’il n’y a aucune justification pour maintenir les négociations étroitement axées sur l’enrichissement nucléaire sans freiner l’aventurisme de Téhéran, car les deux ont de graves conséquences pour la sécurité et la stabilité régionales. Il est également peu probable que les principaux partenaires financiers de Téhéran, Pékin et Moscou, s’opposent sérieusement à l’élargissement de la portée d’un plan d’action global conjoint qui limite le pouvoir des milices de l’Iran. Après tout, les attaques continuent contre des cibles américaines déstabilisent les communautés locales et mettent en danger les plans géopolitiques plus larges de la Russie et de la Chine.

L’initiative de la Nouvelle route de la soie, par exemple, traverse le Moyen-Orient vers l’Europe, et la Russie tient à projeter sa puissance, et joue le rôle de faiseur de rois dans le vide laissé par le retrait américain de la région.

En fin de compte, mises à part les postures et la rhétorique, il est plus difficile pour les leaders iraniens de justifier leurs hostilités à l'étranger, l'expansion des installations de missiles et l'enrichissement de matières fissiles, surtout lorsque l'économie est en ruine et sans aucun signe d'allégement des sanctions. Certes, le revirement brusque de l'administration américaine précédente sur l'accord de 2015 est une raison suffisante pour se méfier de nouvelles ouvertures, mais il n'y a aucun avantage à rejeter un engagement de fond, et Téhéran n’a pas non plus une influence suffisante qui lui permette d’empêcher l’élargissement de la portée au profit des alliés de Washington dans le Golfe. Ce qui compte maintenant, c'est le moment choisi et les objectifs des pourparlers. Le dialogue lui-même n'est plus ni facultatif ni évitable.

 

Hafed Al-Ghwell est chercheur principal à l'Institut de politique étrangère de l’École d'études internationales avancées à l’Université John Hopkins. Il est également conseiller principal au sein du cabinet de conseil économique international Maxwell Stamp et du cabinet de conseil en risques géopolitiques Oxford Analytica. Al-Ghwell est aussi un membre du Strategic Advisory Solutions International Group à Washington DC et ancien conseiller du conseil d'administration de la Banque mondiale. Twitter: @HafedAlGhwell

Les opinions exprimées par les écrivains dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com