Hicham Benaissa : «La vision de l’islam en France a changé»

Des gens marchent devant la Grande Mosquée de Paris le 13 avril 2021, quelques heures avant le début du mois sacré musulman du ramadan en France. Thomas SAMSON / AFP
Des gens marchent devant la Grande Mosquée de Paris le 13 avril 2021, quelques heures avant le début du mois sacré musulman du ramadan en France. Thomas SAMSON / AFP
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Publié le Vendredi 14 mai 2021

Hicham Benaissa : «La vision de l’islam en France a changé»

  • Hicham Benaissa répond aux questions d’Arab News en français sur les problématiques autour de l’islam et l’immigration en France
  • Il faut comparer le moment où l’islam «fait problème» avec le moment où il ne le fait pas, où sa présence n’est pas du tout perçue comme relevant d’un défi posé à la France laïque

PARIS : Hicham Benaissa est sociologue praticien, consultant-chercheur au Groupe Sociétés, Religions, Laïcités (GSRL), rattaché au CNRS qui intervient auprès d’entreprises, collectivités, ministères et organismes internationaux sur toutes les questions liées à la compréhension et à la gestion des phénomènes religieux contemporains. Il répond aux questions d’Arab News en français sur les problématiques autour de l’islam et l’immigration en France.

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Hicham Benaissa est sociologue praticien, consultant-chercheur au Groupe Sociétés, Religions, Laïcités (GSRL), rattaché au CNRS. Photo fournie

Comment l’islam est-il devenu un problème dans le débat public en France?

Pour le comprendre, il faut comparer le moment où l’islam «fait problème» avec le moment où il ne le fait pas, où sa présence n’est pas du tout perçue comme relevant d’un défi posé à la France laïque. Nous vivons, depuis le début des années 2000, avec l’apparition régulière dans les débats publics de polémiques autour de l’expression religieuse de certain(e)s musulman(e)s en France.

Il y en a eu vraiment beaucoup, et la dernière en date concerne une candidate LREM se présentant aux élections départementales de juin 2021 coiffée d’un foulard sur une affiche de campagne. Un membre du Rassemblement national, parti d’extrême droite, s’en est indigné, et le délégué général de la République en Marche s’est empressé de désavouer cette candidate. Qu’un membre du parti majoritaire soit si attentif aux remarques d’un membre du parti d’extrême droite est en soi tout un symbole qui explique, peut-être de la meilleure manière qui soit, la situation politique générale dans laquelle nous sommes aujourd’hui en France.

Cette polémique est toute récente, mais sur les vingt dernières années, je pourrais facilement vous en lister des dizaines (le voile à l’université, le halal dans les cantines, les accompagnatrices scolaires avec un foulard, la gestion du ramadan au travail…). À chaque fois, tout se passe comme si nous étions face à un phénomène tout à fait nouveau. Or, la présence visible des musulman(e)s en France, dans tous les espaces de le vie sociale, y compris dans le monde du travail, n’est pas du tout nouvelle.

 

Tout le long des années 1960-1970, les travailleurs immigrés pratiquaient sur leur lieu de travail. En 1976, des entreprises comme Renault ou Talbot sont allées jusqu’à construire des salles de culte pour leurs salariés musulmans.

Hicham Benaissa

Tout le long des années 1960-1970, les travailleurs immigrés, issus principalement du Maghreb, qui venaient occuper les postes les plus difficiles du système industriel français, pratiquaient sur leur lieu de travail, sans que cela ne pose aucun problème. Mieux que cela, ils pratiquaient avec le soutien des directions d’entreprises, des syndicats et du personnel politique ! Si bien qu’en 1976 des entreprises comme Renault ou Talbot sont allées jusqu’à construire des salles de culte pour leurs salariés musulmans.

Par conséquent, la véritable question que je pose dans mon livre, c’est de comprendre pourquoi à cette époque l’islam ne posait pas de problème, et pourquoi il en pose aujourd’hui. S’interroger de cette manière me semble nous éclairer sur le véritable enjeu politique du moment qui n’est pas celui que l’on croit.

Vous dites que pour comprendre les problématiques autour de l’islam en France, il faut étudier son histoire en France…

Oui, nous sommes tellement collés à l’actualité que, paradoxalement, nous ne la voyons plus. C’est pourquoi, pour mieux la voir et la comprendre, il faut la restituer dans sa dynamique historique. Dans les années 1980, pour des raisons économiques et sociales et aussi politiques, les choses changent véritablement. Sur le plan socio-économique, le monde du travail se dirigeait vers le néolibéralisme. Jusqu’à la fin des années 1970, la figure du travailleur immigré, dévouée aux métiers les plus difficiles, était très importante pour le système industriel français d’après-guerre. Mais les politiques de dérégulation, de délocalisation, de plans de licenciements massifs… vont rebattre toutes les cartes. Les familles immigrées sont parmi les premières à être frappées par le chômage, la précarisation des contrats de travail (intérim, CDD, chômage partiel…). Par conséquent, le travailleur immigré n’est plus si important et donc il dérange, surtout lorsqu’il se syndique et s’implique dans les luttes ouvrières.

 

Pour mieux voir et comprendre l’actualité, il faut la restituer dans sa dynamique historique.

Hicham Benaissa

La deuxième raison concerne la relation politique et symbolique que les familles maghrébines entretiennent avec la société française. Au début des années 1980, on en finit avec le «mythe du retour», ce «mensonge collectif», disait le sociologue Abdelmalek Sayad, qui consistait à croire et à faire croire que la présence de cette immigration était temporaire, qu’elle était destinée à rentrer sur la terre des origines.

Plus concrètement, comment ce changement s’est-il manifesté?

Plusieurs événements politiques sont venus rompre avec l’idée d’un retour des familles maghrébines dans leur pays d’origine. En 1983, leurs enfants, nés en France et vivant dans les quartiers populaires, font une longue marche pour l’égalité et contre le racisme, pour protester contre les crimes racistes dont ils étaient victimes et en affirmant publiquement leur volonté d’être reconnus comme des Français à part entière. Cette marche a débouché sur la création en juillet 1984 de la carte de résidence de dix ans qui vient stabiliser le sort des familles immigrées en France. C’est véritablement un tournant car cela vient officialiser leur sédentarisation.

Je dis souvent que l’islam devient un problème au moment où il devient français, où il se sédentarise. En 1984, pour la première fois, des membres du gouvernement socialiste accusent certains des travailleurs immigrés qui ont participé activement aux grèves de l’automobile de 1982-1983 d’être des «islamistes». Autre exemple, symbolique mais extrêmement significatif, le journal Libération rebaptise, dès son lendemain, la marche pour l’égalité «la marche des Beurs», sans qu’à aucun moment les marcheurs ne se soient nommés ainsi. À mon sens, c’est à partir de cette période que la lecture ethniciste et religieuse va progressivement dominer le champ du pouvoir, jusqu’à devenir, aujourd’hui, une véritable obsession de la vie politique et médiatique.

En 1983, les enfants nés en France et vivant dans les quartiers populaires font une longue marche pour l’égalité et contre le racisme…, affirmant publiquement leur volonté d’être reconnus comme des Français à part entière.

Hicham Benaissa

Les musulmans de France, présents dans la vie socioéconomique, devraient-ils s’impliquer davantage dans le débat public et l’exercice de la politique pour assurer une meilleure intégration au sein de la société française?

Je dirais que le paradoxe vient du fait que plus ils s’impliquent dans la vie socioéconomique, plus ils accèdent à des statuts inaccessibles à la génération de leurs parents, plus ils font «problème». Les manifestations religieuses des premières vagues d’immigrés ne se voyaient pas, parce qu’elles émanaient de travailleurs qui occupaient les postes les plus bas dans la hiérarchie sociale. La vision de l’islam en France a commencé à changer dès que leurs enfants, scolarisés en France, ont commencé à s’émanciper de leurs conditions sociales d’origine et que l’on a commencé à les voir dans des réunions de travail, des positions sociales, des métiers où on ne les voyait pas jusqu’alors.

Revenons à l’exemple de la candidate aux élections départementales. Au fond, ce qui fait scandale, ce n’est pas tellement son foulard, c’est qu’elle fasse de la politique, qu’elle s’implique dans la vie politique. Rappelons que, juridiquement, rien ne lui interdit d’en porter un. Autrement dit, porter un foulard, lorsque vous êtes femme de ménage – comme il y en beaucoup – ou pour garder un enfant, ça ne pose pas problème. Mais on le refuse dès que vous voulez accéder à des postes de responsabilités.

Un nombre considérable de Françaises et de Français de confession musulmane occupent des postes d’entrepreneur, de cadre, de manager, d’auxiliaire de vie, d’infirmier, de médecin, de chirurgien, de chercheur… Des places qui sont au cœur du foyer de la vie économique et sociale française. Leur tort ? Ils ne font pas de bruit. Et comme ils ne font pas de bruit, on pense qu’ils sont invisibles, qu’ils n’existent pas. Et puis, il faut bien dire que nous vivons dans un monde médiatique et politique où ce qui ne fait pas de bruit, du sensationnel ou du spectaculaire n’intéresse pas.

 

Hicham Benaissa est auteur de l’ouvrage Le travail et l’Islam. Généalogie(s) d’une problématique, aux éditions du croquant, novembre 2020.

 

 


La mère du journaliste français Christophe Gleizes a adressé une demande de grâce au président algérien

Le journaliste de 36 ans a par ailleurs formé un pourvoi en cassation contre sa condamnation pour obtenir un nouveau procès, ont fait savoir ses avocats dimanche. (AFP)
Le journaliste de 36 ans a par ailleurs formé un pourvoi en cassation contre sa condamnation pour obtenir un nouveau procès, ont fait savoir ses avocats dimanche. (AFP)
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  • Dans un communiqué publié lundi, l'association Reporters sans frontières (RSF), qui coordonne le comité de soutien de Christophe Gleizes, appuie cette demande de grâce "afin de mettre fin à une grave injustice"
  • La mère du journaliste sportif français Christophe Gleizes, condamné début décembre en Algérie à sept ans de prison ferme en appel, a transmis une demande de grâce au président algérien Abdelmadjid Tebboune, selon une lettre consultée lundi par l'AFP

PARIS: La mère du journaliste sportif français Christophe Gleizes, condamné début décembre en Algérie à sept ans de prison ferme en appel, a transmis une demande de grâce au président algérien Abdelmadjid Tebboune, selon une lettre consultée lundi par l'AFP.

"Je vous demande respectueusement de bien vouloir envisager de gracier Christophe, afin qu'il puisse retrouver sa liberté et sa famille", écrit Sylvie Godard dans cette missive du 10 décembre, assurant faire appel à la "haute bienveillance" du président algérien.

Le journaliste de 36 ans a par ailleurs formé un pourvoi en cassation contre sa condamnation pour obtenir un nouveau procès, ont fait savoir ses avocats dimanche.

Collaborateur des magazines français So Foot et Society, Christophe Gleizes a été arrêté le 28 mai 2024 en Algérie où il s'était rendu pour un reportage sur le club de football le plus titré du pays, la Jeunesse Sportive de Kabylie (JSK), basé à Tizi-Ouzou, à 100 kilomètres à l'est d'Alger.

Le 3 décembre 2025, la Cour d'appel de Tizi-Ouzou a confirmé sa condamnation à sept ans de prison pour "apologie du terrorisme". La justice algérienne lui reproche des contacts avec des personnes liées au mouvement séparatiste MAK (Mouvement pour l'autodétermination de la Kabylie), classé terroriste en Algérie.

"La confirmation de la condamnation à sept années de prison ferme a été pour Christophe, comme pour moi et ma famille, un choc immense", indique Mme Godard dans sa lettre au chef de l'État algérien, qu'elle dit écrire "avec gravité et une profonde émotion".

"Cette sentence nous est incompréhensible au regard des faits et du parcours de mon fils", développe-t-elle. "Nulle part dans aucun de ses écrits vous ne trouverez trace d'un quelconque propos hostile à l'Algérie et à son peuple."

Deux jours après la décision en appel, le président français Emmanuel Macron avait jugé "excessif" et "injuste" le jugement prononcé contre Christophe Gleizes, se disant déterminé à trouver "une issue favorable".

"Grave injustice" 

Dans un communiqué publié lundi, l'association Reporters sans frontières (RSF), qui coordonne le comité de soutien de Christophe Gleizes, appuie cette demande de grâce "afin de mettre fin à une grave injustice".

"Nous appelons désormais les autorités algériennes à prendre rapidement la seule décision possible dans ce dossier : libérer Christophe et lui permettre de retrouver les siens le plus rapidement possible", détaille Thibaut Bruttin, directeur général de l'association, cité dans le communiqué.

M. Gleizes est actuellement le seul journaliste français en détention à l'étranger.

Sa condamnation en première instance en juin 2025 avait été prononcée au pic d'une grave crise diplomatique entre la France et l'Algérie, marquée notamment par le retrait des deux ambassadeurs et des expulsions réciproques de diplomates.

Mais les relations bilatérales avaient semblé en voie d'apaisement après l'octroi d'une grâce et la libération par Alger de l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal, le 12 novembre

Selon son avocat français Emmanuel Daoud, Christophe Gleizes a, parallèlement au recours en grâce et au pourvoi en cassation, la possibilité d'adresser une demande de mise en liberté à la Cour Suprême, qui peut s'accompagner "d'une demande d'aménagement de sa peine".

"Il est aussi très important, psychologiquement, pour Christophe, de contester toute culpabilité car, comme il l'a dit à la Cour, il n'a fait que son métier et n'a, en aucune façon, enfreint la déontologie journalistique", assure l'avocat, cité dans le communiqué publié lundi.

 


Budget de l'Etat: au Sénat, la droite tentée par le compromis, mais pas à n'importe quel prix

Le Premier ministre français Sébastien Lecornu s'exprime lors d'une déclaration gouvernementale sur la stratégie de défense nationale à l'Assemblée nationale, à Paris, le 10 décembre 2025. (AFP)
Le Premier ministre français Sébastien Lecornu s'exprime lors d'une déclaration gouvernementale sur la stratégie de défense nationale à l'Assemblée nationale, à Paris, le 10 décembre 2025. (AFP)
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  • Le gouvernement met la pression sur la droite sénatoriale, devenue incontournable pour l’adoption du budget de l’État 2026
  • Malgré des tentatives de rapprochement en commission mixte paritaire, le risque d’échec demeure élevé ouvrant la voie soit à l’usage du 49.3

PARIS: Appelée par le gouvernement à se montrer constructive, la droite sénatoriale n'entend pas tourner le dos à un compromis sur le budget de l'Etat, mais sa fermeté vis-à-vis des socialistes risque de compliquer l'aboutissement de la discussion budgétaire avant 2026.

"La balle est aujourd'hui dans le camp du Parlement et significativement de la droite sénatoriale", a lancé mercredi la porte-parole du gouvernement Maud Bregeon.

Une manière de mettre la pression sur la chambre haute et son alliance majoritaire droite-centristes. Elle détient à elle seule une grande partie des clés d'une équation jusqu'ici insoluble sur le projet de loi de finances pour 2026 (PLF).

En effet, si le compromis a été possible sans le Sénat sur le budget de la Sécurité sociale, les délais sur le budget de l'Etat sont tellement contraints que seul un accord entre les deux chambres du Parlement pourrait permettre l'adoption d'un budget avant le 31 décembre.

Le Sénat doit voter lundi sur l'ensemble du projet de budget, largement remanié par rapport à la version gouvernementale. Ensuite, une commission mixte paritaire (CMP), réunion de sept députés et sept sénateurs, sera chargée de trouver un terrain d'entente.

- CMP décisive -

Cette CMP est pour le moment fixée au vendredi 19 décembre, ce qui laisse encore quelques jours aux parlementaires pour négocier le périmètre d'un accord.

Si le gouvernement y croit, l'intransigeance de Bruno Retailleau, patron des Républicains et ténor de la droite sénatoriale, reste totale à ce stade.

"Il ne pourra pas y avoir d'accord sur un budget qui augmenterait considérablement les impôts et ne réduirait pas significativement la dette", a-t-il fermement affirmé au Figaro.

Autre signe d'une droite sénatoriale inflexible: elle a rejeté d'emblée, vendredi, le budget de la Sécurité sociale dans sa version de compromis trouvée à l'Assemblée nationale, laissant le dernier mot aux députés.

Une issue différente sur le budget de l'Etat ? Le rapporteur général du budget au Sénat, Jean-François Husson, martèle depuis plusieurs semaines sa conviction qu'une "voie de passage existe".

"Nous serons dans l'écoute et dans l'ouverture, mais pas à n'importe quel prix. Personne ne peut se permettre de viser une victoire politique sur ce budget", assure auprès de l'AFP celui qui pilote les débats budgétaires au Sénat.

Ce dernier a commencé, ces derniers jours, à rapprocher les points de vue avec son homologue de l'Assemblée nationale, Philippe Juvin (LR lui aussi). Une autre réunion est prévue dimanche entre ces deux responsables.

"Mon objectif, c'est bien de trouver un atterrissage", confirme Philippe Juvin à l'AFP. "Il me semble que c'est accessible".

Le président du Sénat Gérard Larcher, connu pour ses qualités de conciliateur, est lui aussi dans cette optique.

Mais le patron de la chambre haute, qui a échangé avec Emmanuel Macron et Sébastien Lecornu jeudi, reste très agacé par le choix du Premier ministre de se tourner vers le Parti socialiste et lui reproche d'avoir "méprisé" le Sénat.

- "Pas prêt à se renier" -

"On est prêt à faire des efforts mais on n'est pas prêt à se renier", glisse un proche du président Larcher, pour qui "trop de concessions ont été faites à la gauche".

"Ce n'est pas à la droite sénatoriale d'aller parler au PS, c'est à Sébastien Lecornu d'aller voir les socialistes pour leur dire que maintenant ça suffit, qu'ils ont tout obtenu dans le budget de la Sécu", explicite Christine Lavarde, sénatrice LR qui devrait siéger en CMP.

Une commission mixte paritaire conclusive ne suffirait pas, néanmoins, car il faudrait ensuite que le texte de compromis soit adopté par l'Assemblée nationale, avec au minimum une abstention de la gauche qui paraît impensable à ce stade.

Et certains cadres du bloc central en appellent au retour du 49.3 pour valider cet hypothétique accord.

"Le 49.3 n'est pas une baguette magique, si le gouvernement l'utilise sans compromis préalable, il s'expose à une censure immédiate", a menacé le premier secrétaire du PS Olivier Faure dans Libération.

Lui, comme beaucoup, anticipe déjà l'alternative: l'adoption d'une loi spéciale avant le 31 décembre, afin de permettre la poursuite des activités de l'Etat, et la reprise des débats début 2026. Avec un nouveau casse-tête budgétaire en perspective...


Paris incite le Liban à adopter des mesures pour éviter l’explosion

Un convoi transportant une délégation du Conseil de sécurité des Nations unies lors d'une visite de la frontière avec Israël près de la région de Naqura, dans le sud du Liban, le 6 décembre 2025. (AFP)
Un convoi transportant une délégation du Conseil de sécurité des Nations unies lors d'une visite de la frontière avec Israël près de la région de Naqura, dans le sud du Liban, le 6 décembre 2025. (AFP)
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  • La France intensifie ses efforts diplomatiques pour prévenir une escalade israélienne au Liban en renforçant un mécanisme vérifiable de désarmement au Sud-Litani, avec l’appui de la FINUL et l’implication des partenaires internationaux
  • Paris presse également les autorités libanaises de lever le blocage politique afin de débloquer l’aide internationale, soutenir les Forces armées libanaises et relancer la reconstruction du Sud

PARIS: À peine deux semaines après la visite au Liban d’Anne-Claire Legendre, conseillère Afrique–Moyen-Orient à l’Élysée, l’envoyé spécial du président français, Jean-Yves Le Drian, s’est à son tour rendu à Beyrouth pour mener une série d’entretiens avec les responsables libanais.

La proximité de ces deux déplacements ne relève pas du hasard, mais traduit une inquiétude française croissante face au risque d’une nouvelle escalade israélienne sur le territoire libanais.

Paris observe attentivement la dynamique régionale actuelle et, selon son analyse, si Israël se heurte en Syrie à une vigilance américaine accrue, qui a conduit Washington à intervenir verbalement lorsque certaines frappes menaçaient la stabilité du pays, il n’en va pas de même pour le Liban.

C’est précisément là que réside, aux yeux de la France, le principal danger, dans un contexte régional marqué par le cessez-le-feu à Gaza et les tensions préélectorales en Israël.

Les déclarations israéliennes se sont récemment durcies, tout comme les frappes dans le Sud-Liban, et cette montée de la tension est, selon Paris, directement liée au cessez-le-feu du 9 octobre à Gaza.

Elle s’inscrit aussi dans un contexte politique intérieur israélien où le Premier ministre Benjamin Netanyahou aurait davantage à gagner, en termes de popularité, en poursuivant les hostilités régionales qu’en y mettant un terme.

L’absence de contraintes américaines fortes au Liban ouvre ainsi à Israël une marge de manœuvre plus large et alimente le risque d’un dérapage.

Face à ce risque, la diplomatie française tente d’agir sur un levier central, celui de la mise en œuvre et de la vérification du plan de désarmement élaboré par les Forces armées libanaises (FAL), connu sous le nom de Nation Shield.

Cette initiative prévoit, dans une première phase, un désarmement effectif au sud du Litani avant le 31 décembre, une échéance qui coïncide avec la montée de la pression israélienne.

Jusqu’à présent, le mécanisme franco-américain reposait essentiellement sur des déclarations des FAL, dont aucune n’était rendue publique ni documentée de manière indépendante, mais pour Paris, il devient indispensable de passer d’un système déclaratif à un système vérifiable.

Ce système est capable de convaincre autant Israël que les partenaires internationaux, en particulier les États-Unis et l’Arabie saoudite, acteurs clés du dossier libanais, du bien-fondé des agissements du Liban.

La FINUL dispose, selon Paris, de la capacité d’accompagner systématiquement les opérations des Forces armées libanaises (FAL) sur le terrain. Pour cela, les propositions françaises visent à établir un tableau de bord précis, zone par zone, démontrant que le travail est effectivement accompli au Sud.

Un tel dispositif doit permettre, du point de vue français, d’opposer des faits aux narratifs israéliens affirmant l’absence de progrès.

Le Drian a ainsi finalisé à Beyrouth le cadre d’un mécanisme renforcé. Désormais, les opérations des FAL devront être accompagnées, vérifiées et cartographiées afin de produire une évaluation destinée aux partenaires internationaux.

L’une des priorités de Paris est de convaincre l’Arabie saoudite, qui suit de très près le dossier du désarmement du Hezbollah et souhaite pouvoir constater sur pièces les avancées réelles sur le terrain avant de s’engager davantage, notamment dans la conférence de soutien aux FAL.

Paris estime que cette prudence est légitime et entend démontrer que les progrès réalisés méritent un soutien financier accru. 

Dans ce contexte, les contacts s’intensifient et des échanges étroits ont lieu avec l’émissaire américaine Morgan Ortagus et avec le conseiller du ministre saoudien des Affaires étrangères Yazid Ben Farhane.

Le chef des Forces armées libanaises, Rodolphe Haykal, est attendu à Paris dans les prochains jours. 

Même si aucune réunion trilatérale France–Arabie saoudite–États-Unis n’est officiellement confirmée pour le 18 décembre à Paris, des consultations régulières témoignent d’une coordination active.

Au-delà des questions sécuritaires, la France s’inquiète également du blocage politique interne au Liban, qui paralyse la reconstruction du Sud et la mise en œuvre de plusieurs programmes internationaux.

Le Parlement étant suspendu dans le cadre de la bataille politique autour des échéances électorales, les lois déjà votées ne sont pas adoptées, ce qui empêche l’exécution du programme de la Banque mondiale, essentiel à la reconstruction des zones affectées.

Il en va de même pour le document « GALPO », crucial pour relancer la coopération avec le FMI et convoquer une conférence internationale de reconstruction.

Ce document est en voie de finalisation du côté du gouvernement, mais son adoption dépend du Parlement.

Le Drian a insisté auprès du président et des responsables politiques libanais sur l’urgence de lever ce blocage, estimant qu’il s’agit d’un impératif vital pour l’ensemble des Libanais, et surtout pour ceux du Sud, les premiers touchés par les tensions actuelles.

Reste la question la plus délicate, celle du Hezbollah, d’autant plus que Paris constate que le mouvement chiite n’a pas renoncé à sa posture militaire et continue certains transferts d’armes.

Le Sud-Litani constitue un point de friction, mais le Nord-Litani pourrait, à terme, devenir un enjeu encore plus complexe, et la France considère néanmoins que le premier objectif doit être de prouver les progrès au Sud, base indispensable pour toute discussion ultérieure.

Le renforcement du mécanisme de vérification vise précisément, pour Paris, à établir un tiers de confiance permettant de distinguer déclarations politiques et réalité opérationnelle.

La France se trouve donc engagée dans une course diplomatique et technique pour éviter une explosion au Liban, mais elle estime qu’en renforçant la transparence des actions des forces libanaises, en mobilisant les partenaires régionaux et internationaux, et en poussant Beyrouth à débloquer ses institutions, il est possible de créer les conditions d’un apaisement durable sur la Ligne bleue.