Rami Ghandour, directeur général de Metito Utilities, une société de distribution d'eau dont le siège est aux EAU, connaît ces chiffres par cœur. Il peut vous indiquer la proportion de la population de l'Égypte qui habite des villes à forte consommation d'eau (97 %) et la quantité d'eau consommée par habitant dans la région du Conseil de coopération du Golfe (CCG) en comparaison avec les États-Unis (une quantité nettement supérieure).
« La première chose à faire est de réaliser que l'eau n'est pas gratuite. Elle est assez coûteuse. Ainsi, les gens sont tenus de s'en occuper », déclare-t-il à Arab News.
Depuis plus de 60 ans, Metito gère l'eau dans la région et dans le monde, depuis sa création au Liban en 1958 par la famille d'entrepreneurs Ghandour, dont les membres demeurent à ce jour des actionnaires importants.
En effet, cette entreprise est un leader mondial en matière d'infrastructures de l'eau. Elle exploite des installations d'assainissement, de traitement de l'eau et de dessalement dans 46 pays et joue un rôle de plus en plus important dans l'initiative mondiale en faveur d'une utilisation plus renouvelable et durable des ressources de la planète.
Peut-on donc qualifier Metito de fournisseur de services publics, d'entreprise d'infrastructure ou de prestataire de services environnementaux ?
« Vous pouvez cocher toutes ces cases. Historiquement, nous sommes une entreprise environnementale dans le sens où nous dessalons de l'eau, fournissons de l'eau aux gens, traitons et recyclons les eaux usées, qu'elles soient industrielles ou domestiques. Plus récemment, nous avons étendu nos activités aux énergies renouvelables », précise M. Ghandour.
Le groupe Metito, qui bénéficie du soutien de grands investisseurs tels que la société japonaise Mitsubishi et la branche d'investissement de la Banque mondiale, s’articule autour de trois axes d'activité : une unité de conception et de construction qui couvre l'ensemble du processus d'ingénierie, d'approvisionnement et de construction – et dont les projets dépassent, à ce jour, les 3 000 à travers le monde – ; la division des services publics et des investissements qui offre le financement de projets, des services de conseil et de gestion ; enfin, l'unité des produits chimiques qui conçoit des produits chimiques écologiques ainsi que des solutions de traitement pour les clients.
« Nous conservons volontairement une certaine autonomie entre les différentes entreprises. Nous sommes toutefois en mesure de développer des projets – ce qui constitue le cœur de notre activité –, et de les proposer aux populations afin de favoriser à la fois un environnement plus sain ainsi que l'amélioration des besoins fondamentaux de l'homme », ajoute M. Ghandour.
L'eau – qu'elle soit bon marché, gratuite ou subventionnée – a longtemps été perçue comme acquise au Moyen-Orient, en dépit de la pression croissante, sur les ressources en raison de la croissance démographique et des usages tant agricoles qu'industriels. Pour M. Ghandour, cet état d'esprit doit être revu.
« La région dispose évidemment de juridictions, y compris ici aux Émirats arabes unis, où les prix du marché sont payés en totalité, où le coût est entièrement amorti et où les taxes sont exigées. Mais il existe d'autres zones où l'eau est subventionnée en grande quantité, ce qui encourage le gaspillage", souligne-t-il.
BIOGRAPHIE
NAISSANCE
Beyrouth 1975
FORMATION
Maîtrise en génie chimique de l'Université de Cambridge
MBA en finance et gestion d'entreprise de la Wharton Business School
CARRIÈRE
Ingénieur des procédés, Bechtel Londres
Consultant en gestion, Boston Consulting Group, New York
Directeur général, Metito Utilities
Directeur, Metito Group
Les programmes d'éducation publique – qui encouragent par exemple les gens à fermer les robinets et à laver leur voiture moins souvent – jouent évidemment un rôle de sensibilisation du public, mais les plus grands défis sont de nature plus structurelle.
À titre d'exemple, c'est l'agriculture qui consomme le plus d'eau dans la région, et non la consommation domestique des particuliers.
Les gouvernements – dont celui de l'Arabie saoudite – ont réussi à encourager un usage plus efficace de l'eau pour l'agriculture, et les nouvelles technologies telles que les cultures hydroponiques et verticales peuvent également promouvoir un usage optimal des ressources en eau.
Par ailleurs, certains pays se sont engagés dans une démarche plus radicale : ils achètent des terres agricoles dans d'autres parties du monde dotées de meilleures ressources en eau, y cultivent des denrées qu'ils importent par la suite dans le Golfe.
Toutefois, M. Ghandour souligne qu'il existe d'autres moyens simples et efficaces d'optimiser l'utilisation de l'eau. Les fuites et les vols d'eau constituent des problèmes de taille dans certains pays.
« Les gens ne font que s'aider au niveau personnel et la règlementation n'est pas assez contraignante pour éviter ce problème », ajoute-t-il.
En outre, la réutilisation de l'eau offre un grand potentiel. Singapour en est un exemple : ce pays a fait de grands progrès dans la réutilisation de l'eau à des fins domestiques, industrielles et agricoles.
Dans la région du Golfe, un des phénomènes qui met les environnementalistes sur les nerfs est l'utilisation abusive de l'eau précieuse dans les terrains de golf ou les espaces verts publics, dans des régions qui ne sont que des déserts arides.
Toutefois, M. Ghandour souligne que cette eau provient de plus en plus souvent d'une eau recyclée qui n'est pas forcément consommable par l'homme, mais qui est parfaitement utilisable pour l'irrigation. Dubaï, par exemple, possède une installation novatrice de recyclage des eaux usées qui met à la disposition des utilisateurs deux robinets pour différents usages de l'eau.
La société Metito a présenté une offre pour un projet au Botswana, en Afrique, où les eaux usées sont directement recyclées en eau potable, l'un des deux projets de ce type dans le monde.
La société examine également la technologie utilisée dans un projet pionnier en Californie, qui consiste à recycler les eaux usées directement dans les aquifères souterrains qui alimentent à nouveau le cycle de consommation.
En effet, le golfe Arabique, aride, nécessitera toujours le recours au dessalement, même si la région optimise sa consommation, évite les fuites et adopte des stratégies de facturation efficaces.
Le dessalement a été le pilier principal de l'infrastructure qui a permis à la région de bénéficier de hauts taux de croissance économique pendant des décennies. Cependant, il a également fait l'objet de critiques de la part des écologistes, et ce pour deux raisons : la consommation de combustibles à base de carbone, comme le pétrole et le gaz, dans le processus coûteux de conversion de l'eau de mer en eau utilisable, mais aussi le surplus de saumure (eau salée) expulsé en mer en tant que produit dérivé de ce processus.
D'après M. Ghandour, la deuxième réserve est moins significative, dans la mesure où le golfe Arabique et la mer Rouge constituent des voies maritimes à marée ouverte, mais aussi parce que certaines installations de dessalement aux EAU sont construites du côté de l'océan Indien, ce qui permet à la saumure de se répandre dans un bassin d'eau plus étendu. L'utilisation de combustibles fossiles hydrocarbonés pour produire de l'eau, en revanche, est une préoccupation bien différente.
« Je dissocierais la question de la consommation d'énergie de celle du dessalement. Heureusement, le modèle économique des énergies renouvelables est devenu largement plus compétitif. Aujourd'hui, les énergies renouvelables sont souvent moins coûteuses que les énergies fossiles », a-t-il ajouté.
Les mégaprojets d'Arabie saoudite ont constitué un terrain d'essai idéal pour ce nouveau modèle. La société Metito est engagée dans deux installations de dessalement alimentées par l'énergie solaire dans le cadre du développement de la ville de NEOM. Ces installations fonctionnent avec de l'énergie renouvelable et des sources provenant du réseau électrique du pays. Metito a aussi remporté un contrat pour la construction d'une énorme usine de dessalement dans la zone industrielle de Jubail, dans la province orientale. M. Ghandour fait allusion à d'autres gros contrats en perspective en Arabie Saoudite.
De l'autre côté de la mer Rouge, en Égypte, Metito mène également d'énormes projets, notamment un programme ambitieux pour irriguer le désert du Sinaï avec de l'eau recyclée et provenant du canal de Suez.
Les besoins de l'Arabie saoudite en eau propre, efficace et réutilisable, vont probablement croître de manière exponentielle au cours de la prochaine décennie. Ainsi, outre les mégaprojets tels que NEOM et Qiddiya à la périphérie de Riyad, il existe des plans gigantesques qui prévoient de doubler la taille de la capitale de l'Arabie saoudite d'ici 2030, sans compter l'initiative destinée à planter 10 milliards d'arbres dans le Royaume en vue d'atténuer les émissions de carbone. M. Ghandour juge-t-il que ces plans ambitieux sont envisageables, du point de vue d'un expert en eau ?
En effet, la manière dont l'Arabie saoudite et les autres pays du Golfe abordent cette tâche est prometteuse, selon lui, notamment en raison des investissements de plus en plus importants du secteur privé. « Je dirais que c'est le moyen le plus efficace de réaliser ces projets en appliquant des normes de conformité environnementale très rigoureuses », dit-il, en tenant compte des normes plus strictes désormais exigées par les investisseurs internationaux du secteur privé, en conformité avec les normes ESG (environnementales, sociales et de gouvernance).
« Cette tendance incite chacun à prendre en compte les priorités ESG, de façon à ce que tout le monde cherche à réaliser des projets de manière durable. Les Saoudiens sont certes particulièrement impliqués dans ce processus », ajoute-t-il.
Et pense-t-il que le Royaume sera en mesure d'arroser tous ces arbres ?
« Je ne dispose pas des détails du plan d'irrigation de ces arbres, mais je dirais oui, en tant que spectateur. Le pays développe ses capacités de dessalement à un rythme élevé grâce à ces projets de partenariat entre le secteur public et le secteur privé.
« Il possède des sources d'eau supplémentaires, les eaux usées qui peuvent être réutilisées dans l'irrigation des arbres. Aujourd'hui, un grand volume d'eaux usées est gaspillé dans le Royaume. Voilà donc un domaine dans lequel la réutilisation de l'eau présenterait un avantage considérable pour l'environnement », ajoute-t-il.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com.