Le seul moyen pour le Hezbollah d'aider la Palestine est de garder ses distances

Un Palestinien se tient devant des magasins endommagés par des frappes aériennes israéliennes, le premier jour de l'Aïd al-Fitr, dans la ville de Gaza, le 13 mai 2021. (Reuters)
Un Palestinien se tient devant des magasins endommagés par des frappes aériennes israéliennes, le premier jour de l'Aïd al-Fitr, dans la ville de Gaza, le 13 mai 2021. (Reuters)
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Publié le Jeudi 20 mai 2021

Le seul moyen pour le Hezbollah d'aider la Palestine est de garder ses distances

Le seul moyen pour le Hezbollah d'aider la Palestine est de garder ses distances
  • Israël a construit le soutien qui lui vient du monde occidental en bénéficiant du sentiment de culpabilité qui s’exprime envers le peuple juif
  • L'Occident estime désormais qu'il a suffisamment soutenu Israël et qu’il lui a permis de devenir puissant

À la fin de la semaine dernière, le cheikh Naïm Kassem, numéro 2 du Hezbollah, a rencontré des représentants du Jihad islamique et du Hamas au Liban. Les médias pro-Hezbollah ont annoncé que le groupe avait exprimé son soutien au soulèvement en Palestine. Trois missiles ont été tirés jeudi du Liban vers Israël, mais ils ont terminé leur course dans la mer, le Hezbollah a nié toute implication.

Toutefois, l’expression de ce soutien a affecté plusieurs Libanais: cela mènera-t-il à une confrontation entre le Liban et Israël, ce dont le pays du Cèdre n’a vraiment nul besoin? À la lumière des événements actuels, une intervention du Hezbollah serait non seulement catastrophique pour le Liban, mais nuirait également aux Palestiniens.

D’ailleurs, cette dernière confrontation israélo-palestinienne est différente de celles qui datent de 2008 et de 2014, non pas parce que les roquettes du Hamas sont capables de percer le système de défense antimissile Iron Dome ou que le Hamas possède des drones, mais parce que l'opinion publique internationale commence à changer.

Les transgressions du gouvernement Netanyahou, poussées par l’état d’esprit des colons qui continuent à s'emparer des terres palestiniennes et à expulser les gens de leurs maisons, ne sont plus tolérées par certaines parties de la communauté internationale. Il n'y a pas si longtemps que cela, toute critique à l’égard d’Israël était qualifiée d'«antisémite». Mais, aujourd’hui, les gens osent s'exprimer.

Sentiment de culpabilité

Israël a construit le soutien qui lui vient du monde occidental en bénéficiant du sentiment de culpabilité qui s’exprime envers le peuple juif. C'est pourquoi l’Occident, qui n’est pas parvenu à empêcher les nazis de massacrer des millions de Juifs, s'est senti la responsabilité d’abriter et de protéger les victimes qui avaient survécu à la torture, leur proposant un nouveau foyer. Israël fut ainsi implanté au cœur des mondes arabe et islamique, suscitant la résistance des Palestiniens et de leurs voisins. Israël savait très bien comment se prendre pour David face au Goliath des Arabes. Il existe une quasi-obsession de la conscience occidentale à maintenir l'État d'Israël; cela explique la frénésie qui entoure son droit à l’autodéfense.

Toutefois, les perceptions commencent à changer. L'Occident estime désormais qu'il a suffisamment soutenu Israël et qu’il lui a permis de devenir puissant. Aujourd’hui, devant la belligérance de son Premier ministre, Benjamin Netanyahou, et de la droite israélienne, l'Occident commence à se demander si cela n’a pas contribué à la création d’un monstre.

Il est surprenant de voir le journal britannique The Guardian – qui fête son 200e anniversaire ce mois-ci – admettre qu’il avait eu tort de soutenir la déclaration Balfour. En 1917, l'éditeur C.P. Scott avait écrit un important éditorial dans lequel il déclarait: «La population arabe actuelle de Palestine est petite et demeure à un bas stade de civilisation.» Le journal concède aujourd’hui que le soutien de Scott au sionisme «l’avait aveuglé quant aux droits des Palestiniens».

Un alibi qui tombe à l’eau

C’est un fait nouveau pour les médias et pour le glossaire intellectuel: l'expression «droits des Palestiniens» apparaît partout. Néanmoins, le discours passe du droit d’Israël à l’autodéfense aux droits des Palestiniens. Le monde se rend compte des abus d’Israël, liés à la sympathie qui entoure le sentiment de culpabilité – cela pour garder les gens sous occupation, en tentant de les calmer à travers l’oppression.

En outre, l’histoire des attaques contre Israël ne tient plus. Ce pays entretient en effet des relations diplomatiques avec les pays arabes. Le scénario sur lequel s’appuie Netanyahou est le suivant: «Si les Arabes rendaient leurs armes aujourd'hui, il n'y aurait plus de violence. Si les Juifs rendaient leurs armes aujourd'hui, il n'y aurait plus d'Israël.» Toutefois, l’idée d'une société militarisée sous attaque perpétuelle apparaît comme un alibi qui tombe à l’eau. Le monde se rend compte que les pays arabes ne s’en prendront pas d’Israël. En effet, c'est Israël qui fait vivre les gens sous son occupation, les humiliant jour après jour. Les Palestiniens nient la réalité qui leur est imposée par leur occupant.

Cet élan fait d’ailleurs du bien aux Palestiniens. Un groupe de législateurs américains a pris la parole la semaine dernière, accusant le président Joe Biden d’être d’accord avec l'occupation de la Palestine. Dans le même temps, cent cinquante organisations de défense libérales ont publié une déclaration commune qui appelle à soutenir les Palestiniens dans ce qu'ils considèrent comme une lutte pour la dignité. La meilleure façon de maintenir cette dynamique est de faire en sorte que les affrontements actuels soient présentés comme une lutte pour l'État et la dignité.

Une intervention du Hezbollah altérerait cette perception, car ce dernier représente l’Iran – le Goliath d’aujourd’hui, aux yeux du monde occidental. L'Iran a promis de bannir Israël de la surface de la Terre. Son mandataire, le Hezbollah, possède des missiles de précision qui peuvent atteindre le cœur du pays.

Israël a besoin d'une confrontation avec le Hezbollah afin d’en finir avec l’histoire palestinienne, tout en se complaisant dans le rôle de la victime.

Dr Dania Koleilat Khatib

Il se pourrait qu'Israël ait besoin d'une confrontation avec le Hezbollah afin d’en finir avec l’histoire palestinienne, tout en se complaisant dans le rôle de la victime. Cela donnerait également à Netanyahou l’occasion de justifier la brutalité d’Israël contre Gaza et d’obtenir un soutien international. Sur le plan intérieur, il semble entretenir la crainte selon laquelle la population, de plus en plus idéologique, pourrait se mobiliser autour de lui.

L’Iran et le Hezbollah, s’ils sont vraiment honnêtes dans leur soutien au peuple palestinien, devraient le laisser tranquille, car toute intervention mettrait fin à l’espoir que les Palestiniens ont élaboré aux yeux du monde occidental. Ils déplaceraient le discours de la lutte des Palestiniens pour la liberté vers le droit d’Israël à l’autodéfense.

 

 

Le Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, et en particulier du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise qui se concentre sur la Track II [la diplomatie parallèle, NDLR]. Elle est également chercheure affiliée à l’Institut Issam Fares pour les politiques publiques et les affaires internationales de l’université américaine de Beyrouth.

 

L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com