En Occident, on ferme facilement les yeux sur l'islamophobie

Le Premier ministre britannique, Boris Johnson, lors d'une conférence de presse consacrée au coronavirus, à Londres, le 3 mars 2020. (Reuters)
Le Premier ministre britannique, Boris Johnson, lors d'une conférence de presse consacrée au coronavirus, à Londres, le 3 mars 2020. (Reuters)
Short Url
Publié le Samedi 05 juin 2021

En Occident, on ferme facilement les yeux sur l'islamophobie

En Occident, on ferme facilement les yeux sur l'islamophobie
  • Une enquête portant sur l'islamophobie a été menée au sein du Parti conservateur britannique a fait état de signaux préoccupants
  • Aux yeux des musulmans, le muslim-bashing (ou «dénigrement des musulmans») s’avère le plus souvent très rentable électoralement

Une enquête portant sur l'islamophobie a été menée au sein du Parti conservateur britannique. Le verdict est tombé la semaine dernière. Si l’enquête n'a pas reconnu ce parti coupable de racisme institutionnel, elle a cependant fait état de signaux préoccupants. Au-delà de cette enquête, le débat se poursuit toujours en Grande-Bretagne – dans un pays où la haine à l'égard des musulmans continue d’être omniprésente –, mais également dans de nombreux pays à majorité non musulmane.

Sans revenir dans le détail sur les constats de l’enquête, une chose est sûre: les membres du Parti conservateur ont proféré, ces dernières années, bon nombre de déclarations antimusulmanes. C'est la direction du parti qui en porte la responsabilité, en particulier le Premier ministre, Boris Johnson. Avant d’occuper ce poste, Johnson a comparé dans un article publié dans un journal en 2018 les femmes musulmanes portant la burqa à des «boîtes aux lettres», et à des «voleuses de banque». La semaine dernière, il a de nouveau refusé de présenter des excuses. Il a cependant admis qu'il «s'abstiendrait de faire de telles remarques comme Premier ministre». Sa déclaration est en réalité proche d’un aveu.

Fait remarquable, le comité chargé de l’enquête a estimé que «dans une société démocratique, il faut veiller à éviter tout excès de zèle dans la surveillance ou la censure du langage». Essayez d'imaginer ce qui se serait passé si les propos désobligeants sur les musulmans avaient porté sur les Noirs ou des juifs: un tollé général. La politique du deux poids, deux mesures fait des musulmans, mais aussi des Arabes, une proie facile. Ceux qui se montrent islamophobes ne sont pas assujettis aux normes qui s'appliquent aux propos antisémites ou racistes.

Peu de réactions ont suivi la publication de l’enquête, alors même que M. Johnson s'apprêtait à accueillir à Downing Street le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, un politicien notoirement hostile aux musulmans. Le passé d'Orban, empreint de déclarations antisémites, a également été occulté, même par ceux qui se sont montrés si virulents sur cette question au cours des dernières semaines. L'homme est en effet toléré par certains dans la mesure où il est membre du club des antisémites favorables à Israël, et ami proche de Benjamin Netanyahou.

Pour d'éminents musulmans du Parti conservateur, comme la baronne Warsi, son ancienne présidente, il convient de mener une enquête entièrement indépendante, et non pas seulement mandatée par le parti. C’est ce qui s’est produit, lorsque le Parti travailliste a été accusé d'antisémitisme institutionnel. Il convient de traiter l'islamophobie au sein du parti conservateur avec le même sérieux.

Là encore, l'islamophobie ne retient pas l'attention qu'elle mérite, n’est pas reconnue à la hauteur de son ampleur. Il en va de même pour le racisme antiarabe, qui fait rarement surface dans le discours dominant. Bien qu'il soit lui aussi répandu et vicieux, il est souvent intégré dans le débat sur l'islamophobie. Imaginez l'indignation que susciterait l'invasion de l'une des synagogues les plus vénérées du judaïsme par l'armée d'un État étranger, à l'aide de grenades assourdissantes, de gaz lacrymogènes et de balles, comme ce qui s’est produit à la mosquée Al-Aqsa.

Les conflits nourrissent la haine. Les escalades dans les Territoires occupés et en Israël observées ces deux derniers mois ont été accompagnées de tensions dans d'autres parties du globe. Cette fois encore, les rues d'Europe, des États-Unis et d'autres pays ont été polluées par des flambées d'islamophobie et d'antisémitisme. Les fanatiques se croient autorisés à déverser leur fureur refoulée sur ceux qui ne sont en rien responsables des événements au Moyen-Orient. Tout semble en quelque sorte justifié dans leur petit univers nauséabond. Parmi les pires exemples, figure un incident survenu à Londres: six voitures ont traversé un quartier à majorité juive, et les passagers ont vociféré des obscénités inexprimables à l'encontre des juifs.

Ces extrémistes semblent croire que les conflits les autorisent à déverser leur haine tous azimuts. Ainsi, les communautés juives d'Europe ne sont nullement responsables des crimes israéliens, tout comme les musulmans du monde entier n’ont rien à voir dans les crimes perpétrés par Al-Qaïda ou Daech.

Malheureusement, cette haine va au-delà de manifestations de rue. On la retrouve dans les journaux, les médias et, avant tout sur Internet. La diabolisation collective est monnaie courante. Les quelques banderoles ouvertement antisémites brandies lors d'une manifestation à Londres ont conduit certains à diaboliser les 180 000 manifestants, les accusant d'antisémitisme et de soutien au Hamas. Par ailleurs, on a vu des stars du football comme Paul Pogba et Mo Salah critiquées pour avoir affiché leur solidarité avec les Palestiniens, comme si c'était un crime de défendre la liberté et les droits des Palestiniens. Le New York Times, qui a mis en une des photos des 67 enfants palestiniens abattus récemment à Gaza, a vu certains de ses lecteurs se désabonner du quotidien.

Nombreux sont les exemples d'islamophobie et d'attitudes antiarabes que l'on peut déceler dans les médias occidentaux, et dans le discours politique. Cependant, ce qui révèle réellement l'ampleur du problème, ce sont les politiques des gouvernements occidentaux vis-à-vis des mondes arabe et islamique, et la réponse globale aux événements qui ont frappé le Moyen-Orient. Ainsi, personne ne bronche lorsque Daech exécute un Arabe devant les caméras. Mais lorsqu'il s'agit d'un Occidental, cela fait la une. Si des milliers d'Américains étaient tués, croyez-vous que les dirigeants américains diraient qu’ils ne comptent pas les corps des victimes? Mais lorsque deux millions de Palestiniens à Gaza sont enfermés dans une prison à ciel ouvert, soumis à un blocus depuis quatorze ans, vivent dans des conditions sous-humaines, et que le monde ne réagit pas, quel message cela envoie-t-il sur la position des Américains et des Européens à l'égard des Arabes et des musulmans?

C'est surtout l'immigration qui fait ressortir les attitudes racistes des Américains et des Européens. Plutôt que d'accueillir les réfugiés syriens qui fuient un régime extrêmement brutal et les extrémistes de Daech, nombre d'États de l'Union européenne (UE) ont dressé des obstacles. Le Danemark tente même de renvoyer les Syriens dans leur pays, sous prétexte qu'il est désormais sûr. En 2015, Donald Trump a appelé à  «interdire entièrement» l'entrée des musulmans aux États-Unis, et il a tenté de concrétiser cet objectif, lorsqu'il a accédé à la présidence. À ce jour, le Parti républicain n'a pas pris de distance suffisante avec cette politique.

Aux yeux des musulmans, le muslim-bashing (ou dénigrement des musulmans) s’avère le plus souvent extrêmement rentable électoralement.

Chris Doyle

Les politiciens ne perdent pas leur poste lorsqu’ils prennent de telles positions. Aux yeux des musulmans, le muslim-bashing (ou «dénigrement des musulmans») s’avère le plus souvent extrêmement rentable électoralement. Cette vérité est particulièrement criante en France, où le président Emmanuel Macron a durci sa rhétorique, décrivant un islam «en pleine crise à travers le monde». Marine Le Pen, son opposante probable au second tout de l'élection présidentielle de l'année prochaine, n'a pas manqué de clamer récemment que la France courait le risque d'une «guerre civile».

Faire assumer aux membres d'un seul parti politique la responsabilité de leur racisme est certes admirable. Cependant, ce n'est qu'une démarche minime, si l’on considère que le changement véritable et durable doit aussi être mené depuis le sommet. Cela exige qu'un leadership remette en question toute une série d'attitudes et de préjugés hérités du passé vis-à-vis des musulmans et des Arabes. À l'heure actuelle, il est difficile de percevoir d’où proviendra ce leadership.

 

Chris Doyle est directeur du Conseil pour la compréhension arabo-britannique à Londres.

 

Twitter: @Doylech

 

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com