Netanyahou: entre homme d'État et arriviste

Benjamin Netanyahu assiste à une session spéciale de vote pour un nouveau gouvernement à la Knesset à Jérusalem. (AFP)
Benjamin Netanyahu assiste à une session spéciale de vote pour un nouveau gouvernement à la Knesset à Jérusalem. (AFP)
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Publié le Lundi 21 juin 2021

Netanyahou: entre homme d'État et arriviste

Netanyahou: entre homme d'État et arriviste
  • Netanyahou était toujours très sûr de lui et cette confiance s’est transformée en arrogance au fur et à mesure qu’il restait au pouvoir
  • Dans les mois et années à venir, le sort de Benjamin Netanyahou sera étroitement lié à son procès pour corruption et au verdict du tribunal

Cela aurait pu être le dernier épisode de Benjamin Netanyahou Premier ministre israélien. Il pourrait même disparaître de la politique israélienne plus tôt que son discours d'adieu à la Knesset ne l’a laissé entendre. Semblable à d'autres dirigeants dominants longtemps au pouvoir, il quitte ses fonctions en démontrant tous les attributs mégalomanes de quelqu'un qui refuse d'accepter la défaite, ou de reconnaître que n'importe qui d'autre dans tout le pays est digne de prendre sa place.

C'est un défi de taille d'examiner l'héritage de Netanyahu dans son intégralité et d'évaluer son impact total sur le pays, ses habitants et ceux d'ailleurs, compte tenu de sa longue carrière politique qui a duré près de 40 ans, au cours de laquelle il a occupé des postes influents au sein du gouvernement et a été impliqué dans les événements les plus fatidiques de ces années. Il s’est d’abord fait un nom comme l’un des ambassadeurs d’Israël auprès de l’ONU les plus titrés, plaidant et défendant la cause de son pays avec éloquence et conviction. Comme la plupart des politiciens, il a probablement commencé sa carrière avec plus d'honnêteté et d'intégrité que lorsqu'il a quitté ses fonctions la semaine dernière, bien que peu le fassent après avoir été inculpés de trois cas de corruption. Ceux qui l'ont connu dès ses premières années en politique témoignent que la vérité n'a jamais été nécessairement son fort ; le discours populiste a toujours été son modus operandi préféré, prenant le pas sur l'analyse de fond et stratégique, bien qu'il soit doté de telles compétences ; et son penchant pour un style de vie qu'il ne pouvait pas se permettre à moins que d'autres ne le payent le caractérise depuis ses débuts sur la grande scène, jusqu'à le rattraper ultérieurement.

Netanyahou était toujours très sûr de lui et cette confiance s’est transformée en arrogance au fur et à mesure qu’il restait au pouvoir. 

– Yossi Mekeberg

Netanyahou était toujours très sûr de lui et cette confiance s’est transformée en arrogance au fur et à mesure qu’il restait au pouvoir. Il s'est façonné, et peut-être même convaincu, qu'il était l'élu pour défendre le peuple élu de ses ennemis éternels et existentiels. Il n'est pas le seul parmi les Israéliens qui perçoivent l'Iran, leur mandataire libanais le Hezbollah, ou le Hamas, comme une menace immédiate et sérieuse pour Israël et la stabilité de la région. Mais sa vision stratégique inflexible l'amène à les percevoir comme des ennemis absolus, laissant peu de place à l'engagement diplomatique. Pourtant, ses actions sont la preuve vivante qu'il n'y a pas de solutions militaires à ces problèmes. En fin de compte, tout au long des 12 années de son deuxième mandat, malgré le blocus de Gaza et plusieurs séries d'effusions de sang entre Israël et le Hamas semant la mort et la destruction, la sécurité d'Israël ne s'est pas améliorée d'un iota. Le Hamas a plutôt démontré qu'il améliore continuellement ses capacités et, face à l'une des machines militaires les plus puissantes au monde, peut réussir à frapper des cibles au cœur d’Israël pendant une période prolongée. De même, il est certainement impératif de mettre un terme au programme nucléaire iranien et à son aventurisme déstabilisateur, mais le besoin de Netanyahu de vilipender et d'humilier ce pays n'a servi qu'à durcir la position du régime de Téhéran et à en autonomiser les éléments les plus extrêmes.

L'histoire donnera sans aucun doute à Netanyahou un large crédit pour les accords d'Abraham et la normalisation des relations avec quatre pays arabes, qui ont été sans l'ombre d'un doute des événements importants dans les relations régionales d'Israël. Mais la chance a également joué un rôle crucial dans la conclusion de ces accords, en termes de combinaison de changements profonds dans la région et de conditions uniques dans le système international. À son honneur, Netanyahou a saisi l'opportunité à bras le corps. Pourtant, cela ne lui a pas inculqué le courage ni la vision nécessaire pour tendre la main de la paix aux Palestiniens, ce qui de toute façon devrait être la priorité absolue d'Israël. Personne n'a compromis le rêve sioniste déclaré d'être juif et démocrate plus que Netanyahou, et personne n'a accéléré la progression vers un État d'apartheid plus que lui, en enracinant l'occupation et en légalisant la discrimination contre les citoyens palestiniens d'Israël. Il a cyniquement et déplorablement incité à s'en prendre à eux et remis en cause leur loyauté dans le seul but de consolider sa base politique raciste. Ce côté de sa personnalité, qui ne connaissait pas de limites pour vilipender les opposants politiques et les médias, le caractérisait dans sa quête du pouvoir. Quelques mois à peine avant d'être élu Premier ministre pour la première fois en 1996, il était l’instigateur des violences contre les accords d'Oslo, créant l'atmosphère fébrile qui a conduit à l'assassinat de l'ancien Premier ministre Yitzhak Rabin. Tout au long de la carrière de Netanyahou, les différences politiques légitimes se sont transformées en un discours toxique qui a empoisonné non seulement la politique, mais la société dans son ensemble, et a paralysé le débat politique constructif et civilisé, qui est l'un des fondements d'une démocratie fonctionnelle. Netanyahou a adopté la stratégie de diviser pour régner.

L'adhésion de Netanyahu à la realpolitik dans les affaires internationales, ainsi que son mépris des valeurs démocratiques, ont conduit à un réchauffement des relations avec des pays comme la Chine et la Russie, et avec les gouvernements populistes de droite en Europe et ailleurs, au détriment des relations avec son plus proche allié les États-Unis, ainsi qu'avec les partis plus libéraux-progressistes en Europe. Dans cet acte de diversification des alliés il a fait montre de stature d’homme d’Etat, mais aussi d’un mépris total pour les principes fondamentaux sur lesquels son pays a été établi, aveuglé par ses délires de grandeur en tant qu’acteur capable de défier les pressions extérieures, quelque chose que les Israéliens, surtout ses partisans, apprécient chez leur leader.

Cependant, même en Netanyahu il y avait un homme d’Etat, aussi controversé soit-il, ce qui l'a finalement emporté sur l’individu et le leader est son obsession du pouvoir et de l'argent, qui fait qu’il ne recule devant rien pour rester au pouvoir indéfiniment, combinant pur hédonisme avec arrogance et paranoïa face aux rivaux politiques et aux médias. Cela a culminé dans ses derniers jours au pouvoir, lorsqu'il a fait preuve d'un manque extraordinaire de dignité, d'intégrité et de respect pour le processus démocratique. Dans les mois et années à venir, le sort de Benjamin Netanyahou sera étroitement lié à son procès pour corruption et au verdict du tribunal. S'il souhaite préserver l'un des aspects positifs de sa longue période au pouvoir, il serait sage qu’il cesse d'exprimer son mépris pour le système judiciaire et qu’il s’abstienne d'exploiter cyniquement la nature fracturée de la société israélienne à des fins personnelles. Sinon, c'est cela qu'on retiendra de lui.

 

*Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du programme MENA à Chatham House. Il contribue régulièrement à la presse écrite et électronique internationale. Twitter : @YMekelberg

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Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com