La reconnaissance de l'État palestinien par les pays occidentaux, c’est un peu comme attendre un bus à Londres : on attend pendant des lustres, puis trois arrivent en même temps. Il est toujours difficile de comprendre pourquoi cela a pris 45 ans depuis la désormais presque oubliée Déclaration de Venise de 1980, dans laquelle les neuf États membres de la Communauté européenne, ancêtre de l’Union européenne, reconnaissaient le droit à l’autodétermination du peuple palestinien. Il a fallu une guerre atroce, et c’est lentement, à pas hésitants, que certains États membres ont finalement franchi ce pas.
Le dernier revirement en date a vu la France, le Royaume-Uni, Malte et le Portugal, ainsi que le Canada, exprimer leur intention de reconnaître un État palestinien. Historiquement, ils ont pris un retard considérable, puisque 147 des 193 membres des Nations unies l'ont déjà fait. Mais mieux vaut tard que jamais, d’autant plus que la France, le Royaume-Uni et le Canada sont les premiers membres du G7 à s’engager ainsi. Les deux premiers sont également membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, laissant les États-Unis isolés dans leur refus de cette démarche. Ce n’est donc pas un simple geste symbolique, mais un message fort de puissances internationales majeures, surtout si cela marque le début d’un engagement actif en faveur du processus de paix.
La question qu’il faut poser n’est pas pourquoi davantage de pays reconnaissent actuellement l’État palestinien, mais pourquoi cela leur a pris autant de temps.
Bien avant les événements terribles des 22 derniers mois, le processus visant à instaurer la paix entre Israéliens et Palestiniens sur la base de deux États était dans l’impasse, un blocage total. Depuis l’échec de l’initiative de paix menée par le secrétaire d’État américain John Kerry en 2014, pratiquement tous les développements ont nui à la résolution du conflit. Il est désormais nécessaire d’introduire un changement radical pour relancer des négociations susceptibles de déboucher sur un accord de solution à deux États.
La majorité de la communauté internationale, y compris ceux qui n'ont pas encore reconnu un État palestinien, s’accorde à dire que la seule solution viable à ce conflit interminable est celle de deux États — Israël et Palestine — coexistant pacifiquement côte à côte. Depuis le processus de Madrid en 1991 et les accords d’Oslo deux ans plus tard, on partait du principe que la reconnaissance de l’État palestinien serait l’aboutissement de négociations de paix réussies entre Israéliens et Palestiniens, censées se conclure après une période intérimaire de cinq ans. Cela ne s’est jamais concrétisé. En lieu et place, les années ont vu émerger, volontairement ou par défaut, des conditions défavorables à une telle issue, tandis que les opposants à cette solution ont pris le dessus, principalement en recourant à la coercition. La communauté internationale a de plus en plus adopté une posture de spectateur, laissant tragiquement la situation se dégrader jusqu’à son état actuel.
Reconnaître un État palestinien aujourd’hui signifie inverser l’ordre initial : résoudre d’abord toutes les questions litigieuses entre les deux parties — frontières, réfugiés, Jérusalem, colonies, sécurité, etc. — avant de reconnaître l'État palestinien au niveau international. Ce qui devait initialement servir d'incitation à conclure les négociations de paix est devenu un obstacle. Cela met en lumière l’asymétrie des rapports de force entre Israël et les Palestiniens, ainsi que leur méfiance mutuelle, qui mène à des attentes irréalistes de part et d’autre.
Du côté israélien, consciemment ou inconsciemment, trop de décideurs n’ont jamais véritablement accepté l’idée d’un État palestinien voisin, pour des raisons idéologiques ou sécuritaires. Du côté palestinien, lors des rares occasions où les dirigeants israéliens étaient prêts à accepter un État palestinien, ils ont eu le sentiment que les conditions étaient insuffisantes ou se sont ravisés au dernier moment.
La question qu’il faut poser n’est pas pourquoi davantage de pays reconnaissent actuellement l’État palestinien, mais pourquoi cela leur a pris autant de temps.
Yossi Mekelberg
La reconnaissance internationale d’un État palestinien n’est pas une solution miracle, mais elle constitue une étape importante. Elle permet à la communauté internationale de rappeler qu’il s’agit d’un conflit entre deux entités souveraines — même si l’une d’elles est encore en devenir — qui ont des droits égaux à l’autodétermination, mais aussi une responsabilité commune de mettre fin à leur conflit.
Cette reconnaissance aurait eu plus de poids si la France, le Royaume-Uni et le Canada l’avaient annoncée ensemble. Néanmoins, l’effet domino semble enclenché et d’autres pays pourraient leur emboîter le pas d’ici à la déclaration officielle prévue à l’Assemblée générale des Nations unies en septembre. De plus, une reconnaissance annoncée depuis la tribune de l’ONU lui confère le plus haut degré de légitimité, en l’absence d’un aval du Conseil de sécurité, toujours bloqué par Washington.
Cependant, le manque d’enthousiasme, voire la peur d’une réaction américaine, a conduit le Royaume-Uni et le Canada à s’éloigner de la position française, qui consiste à reconnaître l’État palestinien sans condition. Le Premier ministre Keir Starmer a annoncé que le Royaume-Uni reconnaîtrait un État palestinien en septembre, sauf si Israël « prend des mesures concrètes pour mettre fin à la situation épouvantable à Gaza, accepte un cessez-le-feu et s’engage dans un processus de paix durable, relançant la perspective d’une solution à deux États », ce qui inclut la reprise de l’aide humanitaire par l’ONU et une garantie de non-annexion en Cisjordanie.
Il était évident qu’Israël n’accepterait pas ces conditions ; mais cela a déformé le message, en présentant cette reconnaissance comme une punition infligée à Israël, plutôt que comme une décision positive et nécessaire pour changer la dynamique entre les deux camps. Le Premier ministre canadien, Mark Carney, a quant à lui déclaré que la reconnaissance dépendrait de réformes démocratiques de l’Autorité palestinienne et de la tenue d’élections l’année prochaine sans la participation du Hamas. Ce calendrier semble peu réaliste, car de telles réformes ne peuvent être menées à bien en quelques semaines.
Le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a immédiatement rejeté la suggestion, comme on pouvait s’y attendre, affirmant que reconnaître la Palestine reviendrait à récompenser le Hamas et le terrorisme. Cet argument ne tient pas, car la Ligue arabe elle-même a appelé au désarmement du Hamas. Il s’agit ici de renforcer les modérés des deux côtés, pour œuvrer ensemble à un avenir meilleur pour Israéliens et Palestiniens. Nétanyahou aurait réagi de la même manière si cette reconnaissance avait eu lieu avant le 7 octobre, en répétant son refrain habituel et infondé selon lequel toute critique d’Israël ou tout soutien au droit des Palestiniens à l’autodétermination serait anti-israélien et antisémite, et donc à ignorer.
Cependant, la reconnaissance n’est pas une fin en soi pour résoudre ce conflit, mais une étape cruciale vers la paix au Moyen-Orient. Si elle s’accompagne d’un engagement international sérieux en faveur d’un processus de paix concret, avec des objectifs clairs et des échéances précises, elle pourrait bien changer le cours de l’histoire de ce conflit.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du programme Mena à Chatham House. X: @YMekelberg
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com