Le monde doit agir pour que la sécheresse ne devienne pas la prochaine pandémie

Un homme pousse son vélo dans une tempête de poussière sur les rives du fleuve Gange à Allahabad, en Inde, en mai 2016. (Reuters)
Un homme pousse son vélo dans une tempête de poussière sur les rives du fleuve Gange à Allahabad, en Inde, en mai 2016. (Reuters)
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Publié le Samedi 10 juillet 2021

Le monde doit agir pour que la sécheresse ne devienne pas la prochaine pandémie

Le monde doit agir pour que la sécheresse ne devienne pas la prochaine pandémie
  • L'ampleur des souffrances occasionnées par la sécheresse ne doit en aucun cas être sous-estimée
  • Il est urgent de mener des recherches sur les mécanismes météorologiques qui régissent les périodes de sécheresse et leur évolution

Peu importe si c'est pour créer un effet de choc ou pour traduire la réalité avec fidélité qu'un rapport publié récemment par les Nations unies établit un parallèle entre la sécheresse et le coronavirus. Cette association ne se limite pas aux conséquences désastreuses de ces phénomènes, mais porte également sur leur progression rapide dans bien des régions du monde.

L'écrivaine sud-coréenne Kim Bo-Young a un jour avoué se sentir «constamment inquiète, car à chaque sécheresse succède inévitablement une tempête de sang diabolique». C’est ce que les auteurs du rapport des Nations unies montrent du doigt. Ils ne le font pas par désespoir mais pour sensibiliser les gens et inciter les gouvernements et la communauté internationale dans son ensemble à agir d’urgence et avec détermination afin de minimiser les conséquences des épisodes de sécheresse.

La pandémie et la sécheresse présentent d’évidentes similitudes au niveau de leurs impacts dévastateurs. Elles représentent toutes deux des dangers mortels pour la santé, pour l'économie et la stabilité sociopolitique, et frappent plus durement les personnes les plus vulnérables de la société.

La sécheresse se définit comme «une période de temps excessivement longue, durant laquelle les précipitations sont trop faibles, ce qui entraîne un grave déséquilibre hydrologique dans la région touchée». La sécheresse prend des formes différentes et produit ainsi des effets distincts sur l'homme comme sur la nature. Il s'agit parfois d'une humidité du sol insuffisante pour les cultures; dans d'autres cas, les eaux de surface et souterraines sont inférieures à la normale ou encore, la pénurie d'eau touche les populations au point qu'elle menace leur bien-être voire leur vie, les obligeant à quitter leur maison.

L'ampleur des souffrances occasionnées par la sécheresse ne doit en aucun cas être sous-estimée. Pour les seules vingt dernières années, ce phénomène a gravement touché près de 1,5 milliard de personnes, entraînant insécurité alimentaire, déplacements, dégradation des terres et des pertes économiques à hauteur de 124 milliards de dollars (1 dollar = 0,85 euro). L'une des observations les plus cruciales du rapport des Nations unies est que les gouvernements ne réagissent pleinement que lorsque les sécheresses sont extrêmement graves et qu’ils ne prennent pas de mesures préventives, ou que leur intervention est insuffisante lorsque la sécheresse devient moins évidente, quoique de plus en plus fréquente. Cette constatation révèle que les gouvernements, tout comme dans le cas des pandémies ou même des guerres et autres conflits armés, ne parviennent pas à élaborer des stratégies, si bien qu'ils sont contraints de recourir à la gestion de crise.

Toutefois, comme le fait remarquer Mami Mizutori, représentante spéciale du secrétaire général des Nations unies pour la réduction des risques de catastrophes: «La sécheresse est sur le point de devenir la prochaine pandémie et aucun vaccin ne pourra y remédier. Dans les prochaines années, la plupart des pays du monde vivront dans un contexte de stress hydrique.»

La sécheresse est pourtant douloureuse et dévastatrice. Elle affecte la vie de plusieurs millions de personnes et de nombreux secteurs économiques et sociaux, tels que la production agricole, l'accès à l'eau, la production d'énergie, les transports maritimes, le tourisme, la santé ainsi que la biodiversité, et entraîne insécurité alimentaire, pauvreté et inégalités croissantes. Très peu de pays disposent pourtant d'une stratégie permettant de renforcer la résilience face à la sécheresse, sans oublier que la coopération internationale dans ce domaine laisse à désirer.

La hausse des températures dans le monde conjuguée aux précipitations extrêmes et imprévisibles engendrent des périodes de sécheresse de plus en plus fréquentes, sévères et longues dans de nombreuses régions. Une approche concertée s'impose pour combattre cette tendance. À l'instar de bien d'autres crises humaines, la sécheresse se concentre dans les pays les moins développés qui ne disposent pas des ressources suffisantes pour y faire face. Pour les pays moins touchés qui possèdent de solides ressources, aider les moins fortunés ne constitue pas une priorité.

Le Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (Mena) ne réchappent pas aux préoccupations liées à l'environnement, notamment la pénurie d'eau dont souffrent les millions de personnes qui n'ont pas accès à l'eau potable ou qui y ont un accès limité. Certains souffrent du manque d'eau combiné à une gestion défaillante des ressources en eau. À titre d'exemple, la désertification, un phénomène qui touche des pays comme l'Iran, l'Iraq, la Syrie et la Jordanie, complique de manière considérable et quelquefois irréversible la gestion des ressources en eau ainsi que des terres propices à la culture et à la production de denrées alimentaires.

L'agriculture est une source essentielle pour la production de denrées alimentaires dans la région Mena, aussi bien pour l'exportation que pour la consommation domestique. Elle représente 85 % de la consommation d'eau dans la région, alors que les périodes de sécheresse deviennent de plus en plus fréquentes en raison de la consommation excessive d'eau pour l'irrigation, qui entraîne également des modifications du paysage régional. D’une certaine façon, en exportant leurs produits agricoles vers des régions comme l'Europe et l'Amérique du Nord, les pays de la région Mena exportent de l'eau vers des pays riches en eau.

Si le monde prend au sérieux l'Agenda 2030 pour le développement durable, il est essentiel de réduire le risque et les effets de la sécheresse afin de lutter contre la pauvreté, éradiquer la faim, garantir la santé et le bien-être des populations, l'égalité des sexes, l'accès à l'eau potable et l'assainissement, ainsi que d’assurer la durabilité des villes et des communautés. Compte tenu du caractère imprévisible de la sécheresse et des nombreux facteurs qui la provoquent, il convient de mesurer les vulnérabilités des communautés face à ce phénomène et de renforcer leur résilience pour en atténuer les impacts dévastateurs.

Il est urgent de mener des recherches sur les mécanismes météorologiques qui régissent les périodes de sécheresse et leur évolution.

Yossi Mekelberg

Le rapport des Nations unies concède qu'«aucune solution globale à ce phénomène naturel excessivement complexe et étendu ne semble exister». Toutefois, cela ne doit pas servir d'excuse pour renoncer à gérer l'accès à l'eau, en particulier dans les régions exposées à la sécheresse, ni pour se contenter d'y réagir. Au contraire, il est urgent de mener des recherches sur les mécanismes météorologiques qui régissent les périodes de sécheresse et leur évolution.

Le renforcement de la résilience et le soutien aux communautés menacées de pénurie d'eau représentent l'un des aspects de l'équation. Il convient en revanche d'investir, par exemple, dans le dessalement de l'eau, un procédé de plus en plus accessible et peu gourmand en énergie. L'eau est abondante sur notre planète – elle recouvre 70 % de sa surface. Toutefois, l'eau douce ne représente que 2 à 3 % de cette eau, et l'eau potable en représente une proportion encore plus faible. Ainsi, le dessalement pourrait constituer une source importante d’approvisionnement en eau potable. Les effets de la sécheresse peuvent être en outre atténués par des méthodes telles que la collecte de l'eau de pluie et de l'eau présente dans l'air, l'irrigation au goutte-à-goutte (micro-irrigation) ou le recyclage de l'eau. Bien entendu, au-delà de ces mesures, la lutte contre le changement climatique et la hausse des températures, reste une priorité d'envergure mondiale destinée à stopper les catastrophes de toutes sortes et à atténuer les effets des périodes de sécheresse.

Aucun vaccin ou formule magique ne permet de vaincre la sécheresse. C'est par une approche holistique, nationale et mondiale, que l'on peut cependant réduire considérablement la souffrance qu'elle engendre. Cet objectif revêt une importance capitale, que ce soit du point de vue humanitaire ou pour la stabilité sociale et politique.

 

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du programme Mena à Chatham House. Il contribue régulièrement à la presse écrite et électronique internationale. Twitter : @YMekelberg

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français

 Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com