La crise de la Covid-19 en Tunisie incite toute la région à tirer la sonnette d'alarme

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Publié le Mercredi 21 juillet 2021

La crise de la Covid-19 en Tunisie incite toute la région à tirer la sonnette d'alarme

La crise de la Covid-19 en Tunisie incite toute la région à tirer la sonnette d'alarme
  • Dans les dix années tumultueuses qui ont succédé au «Printemps arabe», l’une des rares lueurs d'espoir était venue de la démocratie balbutiante de Tunisie
  • La Tunisie traverse en ce moment une période si inquiétante que le gouvernement a annoncé l'«effondrement» de son système de santé

Dans les dix années tumultueuses qui ont succédé au «Printemps arabe», l’une des rares lueurs d'espoir était venue de la démocratie balbutiante de Tunisie, où les aspirations de la majorité de la population ont évincé la kleptocratie délabrée de la minorité. Les défis auxquels l'ancien régime a été confronté en termes de développement se sont néanmoins avérés accablants pour les gouvernements qui se sont succédé dans le pays. Cette année est marquée par des mouvements de protestation qui témoignent de la désapprobation de la population vis-à-vis du processus politique, du harcèlement par la police et des répercussions de la pandémie sur l'économie.

Le méli-mélo inouï des expériences vécues par le Maghreb en raison de la pandémie de coronavirus (Covid-19) a gagné en complexité la semaine dernière, ce qui a amené le ministère tunisien de la Santé à qualifier la situation de «catastrophique». Les nouveaux variants ne cessent de révéler à quel point la politique et l'économie se mélangent dans cette région qui lutte contre un virus incroyablement obstiné.

Cela fait un peu plus d'un an que les pays du Maghreb, en réponse à la première vague, ont déclaré l'état d'urgence, et la persistance de la crise fragilise davantage leurs économies. Si l'on compare les pays à faible revenu – où 1% seulement de la population a été vaccinée – aux pays d'Afrique du Nord, on a l’impression que ces derniers s'en sortent bien. Pourtant, les divergences entre les pays du Maghreb, associées à la vulnérabilité des systèmes de santé face aux petites flambées du virus, aggravent encore la crise. En effet, quelque 20 millions de doses du vaccin contre le coronavirus ont été administrées au Maroc, contre 2,5 millions dans la riche Algérie et 2,2 millions en Tunisie. Étant donné que ces pays présentent les mêmes caractéristiques en matière de commerce et de tourisme, cette différence dans les réponses apportées à la pandémie est essentiellement imputable aux enjeux politiques.

En effet, la Tunisie traverse une période si inquiétante que le gouvernement a annoncé au cours de ce mois l'«effondrement» de son système de santé. La moyenne hebdomadaire, qui dépasse actuellement le seuil des cent cinquante décès par jour, établit un record macabre pour ce petit pays de la Méditerranée et témoigne, non sans susciter une certaine appréhension, de la propagation accélérée du variant Delta au moment où une grande partie du pays observe, depuis le 20 juin, un confinement total. Dans ce contexte tragique, le président tunisien, Kaïs Saïed, a sollicité l'aide de la communauté internationale. Ainsi, l'Arabie saoudite et la France ont fourni 1 million de doses de vaccin, les États-Unis 500 000, et le Maroc a offert des ventilateurs et des lits de soins intensifs, dont l’absence se fait cruellement sentir en Tunisie. Il faut espérer que cette aide parviendra en temps voulu pour changer la donne sur le terrain. Toutefois, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) est convaincue que les événements que traverse la Tunisie préfigurent ceux que connaîtra la région dans l'avenir.

Le variant Delta, associé à la rareté des vaccins, risque d'entraîner une recrudescence importante des infections en Libye, en Iran, en Irak, au Liban et même au Maroc.

Zaid M. Belbagi

Les gouvernements des pays de cette région se trouvent aujourd’hui confrontés à un problème: la fête de l'Aïd al-Adha s'accompagne traditionnellement de visites familiales. Bien que le pèlerinage du Hajj, qui est au cœur des festivités, soit limité à 60 000 fidèles qui ont reçu tous les vaccins requis, la région risque d'enregistrer une recrudescence importante des infections.

L'OMS a averti la semaine dernière que la pandémie «n'était pas terminée»; elle s'est montrée préoccupée par la propagation rapide du variant Delta, associée à la rareté des vaccins. Tout cela pourrait se traduire par une recrudescence des infections en Libye, en Iran, en Irak, au Liban et même au Maroc, pays où les campagnes de vaccination ont été exemplaires en dépit de situations complexes.

La crise persistante en matière de santé publique et le besoin qu’ont eu de nombreuses personnes de reprendre le travail ont suscité une forme d’indifférence accrue à l'égard des mesures sanitaires et des mesures de distanciation sociale, ce qui a considérablement accru le taux d'infection. Selon l'OMS, ce sont ces facteurs qui ont affecté la Tunisie; le pays affiche le plus fort taux de mortalité par habitant dû à la Covid-19 dans la région et en Afrique. Les scènes où l’on voit les corps des victimes du Covid-19 placés pendant vingt-quatre heures à côté d'autres patients dans des chambres à cause d'un système de santé saturé sont choquantes. Elles ont éveillé les esprits dans une région qui semble être à deux doigts d'une catastrophe sanitaire.

Le pic de contamination était inévitable en Tunisie, où 6% seulement de la population a reçu les deux doses de vaccin. Si les épidémiologistes avaient prévu que les mois d'été verraient un répit au niveau des infections et des décès, tous les indices révèlent la virulence particulière de la nouvelle souche.

En dépit de l'agressivité du virus, les pays d'Afrique du Nord sont confrontés à un problème plus urgent: l'incidence des longues périodes de confinement sur l'économie et la capacité de l'État à imposer des mesures sanitaire, étant donné la lassitude de la population. Le ministère marocain des Affaires islamiques a ainsi interdit les prières de l'Aïd pour éviter une flambée du virus.

Au moment où la Tunisie, ravagée par les crises, se retrouve une nouvelle fois contrainte de se tourner vers ses pays voisins, Yasmina Abouzzohour, membre du Brookings Doha Center, fait remarquer que «les dons mettront en avant les objectifs d'Abou Dhabi, d'Ankara, d'Alger et de Riyad en matière de diplomatie». Dans un contexte marqué par une 4e vague d'infections, il ne fait aucun doute que le cas de la Tunisie devrait alerter les pays qui commencent à abandonner les mesures rigoureuses qu'ils avaient adoptées. En outre, cet exemple montre que les États de la région offrent vaccins et aide médicale pour promouvoir leurs objectifs à long terme en matière de politique étrangère.

 

Zaid M. Belbagi est un commentateur politique et un conseiller auprès de clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe (CCG). Twitter: @Moulay_Zaid

 

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com