Ben & Jerry's offre à Israël le dessert qu'il mérite

Des automobilistes passent devant un magasin de glaces Ben & Jerry's fermé, dans la ville israélienne de Yavne, à environ 30 kilomètres au sud de Tel-Aviv, le 23 juillet 2021. (AFP)
Des automobilistes passent devant un magasin de glaces Ben & Jerry's fermé, dans la ville israélienne de Yavne, à environ 30 kilomètres au sud de Tel-Aviv, le 23 juillet 2021. (AFP)
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Publié le Mercredi 28 juillet 2021

Ben & Jerry's offre à Israël le dessert qu'il mérite

Ben & Jerry's offre à Israël le dessert qu'il mérite
  • Pourquoi le bombardement par Israël, en mai dernier, de la fabrique de crème glacée d’Al-Jalil, à Gaza, n'a-t-il pas déclenché un tollé?
  • Les pays auraient dû interdire tout échange commercial avec les colonies depuis bien longtemps

En décidant de rompre son accord avec son franchisé israélien, le géant des glaces Ben & Jerry's a déclenché un tollé au sein du gouvernement israélien et auprès de ses partisans antipalestiniens.

En effet, la décision de l'entreprise basée dans le Vermont est motivée par sa volonté de cesser de vendre ses produits dans des colonies illégales. Bien que cette décision soit conforme au droit international et à une résolution du Conseil de sécurité des nations unies, la société a été accusée de tous les maux, de l'antisémitisme au terrorisme.

La contre-attaque antipalestinienne a été exceptionnellement virulente. Le coup d'envoi a été donné par Isaac Herzog, le président israélien nouvellement élu. «Le boycott d'Israël est une nouvelle forme de terrorisme, un terrorisme économique, un terrorisme qui veut nuire aux citoyens et à l'économie d'Israël», déclare-t-il dans un commentaire qui a dû heurter ceux qui ont perdu des êtres chers à cause du terrorisme, ou ceux qui ont vu leur vie ruinée par des attentats à la bombe et des enlèvements. Pour ne pas rester en marge, le nouveau ministre israélien des Affaires étrangères, Yaïr Lapid, a qualifié la décision de «soumission honteuse à l'antisémitisme». Ici encore, l'antisémitisme qui a bouleversé la vie de millions de personnes est banalisé.

Les colons israéliens ne pourront peut-être plus déguster le Chunky Monkey ou le Cookie Dough. Mais qu'a fait Israël aux Palestiniens friands de glaces? Pourquoi le bombardement par Israël de la fabrique de crème glacée d’Al-Jalil, à Gaza, en mai, n'a-t-il pas déclenché un tollé? Celle-ci a été détruite ainsi que la fabrique de glaces de Maatouq gravement endommagée une semaine plus tard. En 2014, les bombes israéliennes se sont également abattues sur la plus grande usine de Gaza, qui produisait des glaces et des biscuits. Si vous remontez dans le temps, vous trouverez d'autres exemples, notamment l'opération Cast Lead («Plomb durci») au cours de laquelle Israël a détruit l'usine Al-Ameer en 2009. La définition du terrorisme correspond bien plus à ces attaques qu'à la suspension des ventes de glaces.

 

Israël clame que cette mesure s'inscrit dans le cadre du programme Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) dirigé contre Israël. Ce n’est pas le cas. Les colonies se situent en dehors de l'État souverain d'Israël. Elles constituent une exploitation illégale. Ben & Jerry's n'a pris aucune mesure contre les produits en provenance d'Israël. Il s'agit plutôt d'une décision de désengagement. La position de Ben & Jerry's est donc éthique: s'engager dans l'économie croissante des colonies équivaut à se lancer dans le commerce de l'ivoire ou des diamants de conflits, voire dans un commerce qui profite à des activités criminelles. Les responsables israéliens affirment également que le ciblage des colonies fait du tort aux ouvriers palestiniens, bien que cette décision recueille un soutien quasi unanime de l’ensemble de la classe politique palestinienne.

Un autre argument veut qu'Israël soit injustement pointé du doigt. Pourtant, lorsque la Russie a occupé la Crimée, elle a été sanctionnée par nombre de pays qui refusent aujourd'hui de prendre des mesures contre Israël. Une occupation militaire, quelle qu'elle soit, doit, et est généralement, dénoncée.

Le plus exaspérant, ce sont sans doute les défenseurs de la cause qui cherchent à amplifier les conséquences de cette décision sur les employés israéliens de Ben & Jerry's. Ils prétendent que le problème réside là, et passent outre le vol des terres et des ressources des Palestiniens, l'exploitation des ouvriers palestiniens et tous les abus qui découlent de cinquante-quatre ans d'occupation.

Le plus exaspérant, ce sont sans doute les défenseurs de la cause qui cherchent à amplifier les conséquences de cette décision sur les employés israéliens de Ben & Jerry's.

Chris Doyle

Le lobby des colons israéliens, qui inclut depuis un certain temps le gouvernement israélien, est conscient qu'il faut frapper fort et vite. Il ne veut pas que la vague d'entreprises qui se retirent des colonies se transforme en un véritable tsunami. Le message qu'il envoie est on ne peut plus clair: si vous essayez d’obliger Israël à rendre des comptes pour ses crimes et ses violations du droit international, attendez-vous à une colossale riposte. L'ambassadeur d'Israël aux États-Unis a écrit aux gouverneurs des trente-cinq États américains dans lesquels les lois interdisent le programme BDS. Ainsi, les États de Floride et du Texas ont menacé de sanctionner Ben & Jerry's ainsi que sa société mère Unilever. Le maire de New York a annoncé qu'il boycotterait Ben & Jerry's, ce qui constitue une curieuse contradiction dans la mesure où les opposants à la campagne BDS prétendent être hostiles aux boycotts à caractère politique.

La campagne anti-BDS a toutefois connu de nombreux revers. Les tribunaux ont annulé les lois anti-BDS dans cinq États, dont la Géorgie. Cette décision intervient après que le plus grand fonds de pension de Norvège a décidé, au début du mois de juillet, de se retirer de seize entreprises actives dans les colonies israéliennes. Parmi celles-ci figure le géant des télécommunications Motorola. Aux Pays-Bas, un grand fonds de pension a retiré en 2014 ses fonds de cinq importantes banques israéliennes; elles opéraient toutes dans les colonies.

Mais le géant de la crème glacée survivra-t-il ou fondra-t-il sous cette chaleur intense, à l'instar d'Airbnb en 2018? Plus précisément, sa démarche encouragera-t-elle d'autres entreprises de taille à s'engager dans la même voie? Ben & Jerry's prend probablement cette décision à ce moment précis, après avoir mesuré les réactions suscitées par le bombardement israélien de Gaza en mai dernier. En effet, le discours sur la question israélo-palestinienne, en particulier aux États-Unis, a nettement changé. Même une entreprise américaine comme Ben & Jerry ne peut espérer que son gouvernement la protège des agressions israéliennes.

Les efforts visant à persuader les entreprises de suspendre leurs activités commerciales avec les colonies ne datent pas d'hier. Les Nations unies ont constitué une base de données répertoriant cent douze entreprises actives dans les colonies israéliennes illégales. Certaines entreprises ont envisagé d'interdire la vente de produits provenant des colonies. Ainsi, le grand magasin londonien Harrods a refusé pendant un certain temps, plus précisément en 2002, de vendre du vin produit dans le Golan occupé. Airbnb a choisi de se retirer des colonies, avant de revenir sur sa décision et de promouvoir à nouveau des propriétés situées dans des colonies. D'autres prestataires de services touristiques, tels qu'Expedia, poursuivent leurs activités dans les colonies. En 2013, la franchise McDonald's en Israël a fait savoir qu'elle n'ouvrirait pas de succursales en Cisjordanie. Plus préoccupant encore est le fait que de nombreuses entreprises continuent de fournir les bulldozers utilisés pour la démolition des maisons des Palestiniens dans les territoires occupés.

Il n’est pas du ressort des entreprises de prendre des mesures visant à éviter de faire des affaires avec les colonies. Cette responsabilité incombe aux États. En effet, le Conseil de sécurité des nations unies a adopté la résolution 2 334 qui stipule que tous les pays doivent «distinguer, dans leurs relations commerciales pertinentes, entre l'État d'Israël et les territoires occupés depuis 1967».

Les pays auraient dû interdire tout échange commercial avec les colonies depuis bien longtemps. Les États-Unis ne l'ont certainement pas fait et l'Union européenne (UE), tout en qualifiant régulièrement les colonies d'«illégales» et de «contraires à la paix», n'a pas non plus pris de mesures pour restreindre le commerce avec ces dernières. La seule mesure que l’UE a initiée est de veiller à ce que les marchandises produites dans les colonies ne bénéficient pas de privilèges commerciaux. Le gouvernement de Benjamin Netanyahou a de surcroît signé un accord de partenariat avec l'UE qui ne s'applique pas aux colonies. Israël n'a pas non plus annexé officiellement la Cisjordanie, à l'exception de Jérusalem-Est, de sorte que même le gouvernement israélien ne peut pas déclarer légalement que cette ville fait partie d'Israël.

Sur le plan éthique, les grands États du monde entier devraient faire valoir l'absurdité de dénoncer les actions entreprises contre le commerce dans les colonies illégales. Les dirigeants ne peuvent pas qualifier les colonies d'«illégales» tout en gardant le silence lorsque des entreprises et des particuliers agissent pour ne pas être complices de violations des droits de l'homme.

Le moment est donc venu pour les dirigeants du monde de se joindre à l'indignation de l’opinion publique et de déclarer que les colonies israéliennes sont non seulement illégales mais également un fléau qui ne doit être toléré sous aucun prétexte.

 

Chris Doyle est le directeur du Council for Arab-British Understanding, situé à Londres.

Twitter : @Doylech

 

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com