Avec l’attaque du Capitole, le fossé se creuse au sein de la société américaine

Des partisans de Donald Trump prennent d’assaut le Capitole, le 6 janvier 2021. (Reuters)
Des partisans de Donald Trump prennent d’assaut le Capitole, le 6 janvier 2021. (Reuters)
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Publié le Jeudi 12 août 2021

Avec l’attaque du Capitole, le fossé se creuse au sein de la société américaine

Avec l’attaque du Capitole, le fossé se creuse au sein de la société américaine
  • Cette nation est divisée, et elle se trouve en proie à l’une de ses plus graves crises internes
  • Ces parlementaires qui, bien qu’ils connaissent toute la vérité sur Trump, continuent malgré tout de le soutenir le font parce que cela sert leurs intérêts politiques

Lorsque la commission spéciale de la Chambre des représentants qui enquête sur l’attaque du 6 janvier au Capitole a tenu sa première audience en juillet dernier, six mois s’étaient déjà écoulés depuis cet acte terroriste local. Cependant, les émotions étaient toujours aussi vives.

Les témoignages poignants des officiers qui ont héroïquement défendu la démocratie américaine – parfois à la seule force de leurs bras – ont révélé les dessous de l’histoire: cette nation divisée est divisée, et elle se trouve en proie à l’une de ses plus graves crises internes. Leur gestuelle, les larmes de frustration et ces voix qui, de temps en temps, s’élèvent lorsqu’elles relatent les horreurs de la prise d’assaut du Capitole par une foule violente, témoignent du traumatisme extrême auquel les policiers ont dû faire face ce jour-là.

Les émeutiers ont physiquement et mentalement agressé les officiers, proférant même des insultes raciales à leur égard, tant et si bien que certains d’entre eux ne seront plus en mesure de reprendre leurs fonctions. Hélas, au cours de cette triste journée, quatre agents présents lors de l’émeute ont mis fin à leur vie.

L’opinion américaine a désespérément besoin de savoir ce qui s’est réellement passé à Washington et d’affronter la réalité, même si, pour beaucoup, il s’agit d’une vérité qui dérange: qui a commandé l’attaque, et pour quelles raisons? Quel rôle a joué le président Donald Trump dans l’incitation à la violence en propageant des mensonges au sujet d’élections prétendument truquées et en disant aux personnes rassemblées autour de Capitol Hill: «Si vous ne vous battez pas corps et âme, vous n’aurez plus de pays»?

Il n’est donc pas surprenant que la plupart des Américains soutiennent cette commission parlementaire chargée d’enquêter sur les événements, bien que les électeurs démocrates soient plus nombreux que les républicains. À la lumière d’un discours sociétal conflictuel, on assiste à une forte polarisation de la nation en fonction des clivages politiques, avec le désir de connaître la vérité sur un moment déterminant de l’histoire du pays – lorsque les forces antidémocratiques étaient sur le point de réaliser quelque chose d’impensable.

Cependant, cette situation ne représente que la partie visible de l’iceberg dans une société profondément partagée sur pratiquement toutes les questions importantes et qui ne dispose pas des mécanismes nécessaires pour établir un dialogue constructif susceptible de combler ces divisions. La situation se trouve aggravée par un système politique qui pouvait, par le passé, dépasser les luttes partisanes – du moins à huis clos – pour le bien du pays. Récemment, il fait exactement le contraire en attisant les discordes et les tensions existantes.

La mise en place d’une commission d’enquête sur les événements qui ont conduit à l’attaque du 6 janvier aurait dû être une évidence. Tous les parlementaires qui représentent la démocratie américaine, et plus particulièrement ceux qui étaient présents lors de l’attaque, auraient dû exiger une enquête pour comprendre pourquoi l’un des piliers du système démocratique américain a failli être victime de l’inimaginable, mais aussi traduire les personnes concernées en justice et s’assurer qu’un tel outrage ne se reproduirait plus jamais.

Pourtant, malgré le choc ressenti par les parlementaires républicains à l’égard de Trump et de l’action violente menée par ses partisans pour annuler les résultats d’une élection libre et équitable, près de deux cents républicains du Congrès, à peine quelques mois plus tard, ont voté contre la destitution du président, tandis que la plupart se sont opposés à l’enquête, évoquant toutes sortes de théories du complot sans fondement.

Il est trop facile de se moquer de Trump et de le présenter comme un accident historique ou une anomalie. Cependant, si l’attaque du 6 janvier était un accident, elle n’attendait que cela pour éclater.

Ces parlementaires qui, bien qu’ils connaissent toute la vérité sur Trump, continuent malgré tout de le soutenir le font parce que cela sert leurs intérêts politiques. Nombreux sont ceux qui, cyniquement, préfèrent ne pas s’opposer au trumpisme parce qu’ils ne le perçoivent pas comme une excentricité passagère. Au contraire, ils le voient comme un aimant pour des millions d’Américains qui possèdent des valeurs et des croyances sur le danger que représente le libéralisme inclusif des États-Unis. Ils sont par ailleurs favorables à un populisme basé sur les convictions et les sentiments nationalistes religieux et rejettent tout ce qui se fonde sur des données scientifiques.

Un sondage récent, mené par le Pew Research Center, confirme malheureusement que, sur les questions les plus fondamentales, c’est-à-dire l’économie, la justice raciale, le changement climatique, l’application des lois et l’engagement international, il existe un gouffre colossal au sein de la société américaine.

À l’approche de l’élection présidentielle du mois de novembre 2020, non seulement les électeurs ont exprimé leur préférence légitime pour l’un ou l’autre des candidats, mais 90% des personnes interrogées des deux bords pensaient qu’une victoire du candidat opposé constituerait une source de grande préoccupation sur l’avenir du pays et qu’elle causerait des préjudices durables aux États-Unis.

Ce niveau de méfiance montre que ceux qui n’auront pas voté pour le candidat gagnant ne lui accordent même pas le bénéfice du doute, et encore moins un véritable soutien. Étant donné que 46,9% des électeurs américains – soit plus de 74 millions de personnes – n’ont pas voté pour Joe Biden, mobiliser tout le pays, ou du moins une grande partie des citoyens, autour de son programme national ou international représente une tâche titanesque. Ce fossé est mis en évidence par la réaction populaire qui s’est exprimée face aux tentatives pour contenir et éradiquer la pandémie de Covid-19. Les avis sont partagés sur le fait qu’il faille se fier ou non à la science et vont dans le même sens que les préférences de vote.

«Un sondage récent confirme malheureusement qu’il existe un gouffre colossal au sein de la société américaine.»

Yossi Mekelberg

Les divisions américaines telles qu’elles s’expriment dans les sondages montrent que les opinions de base sont diamétralement opposées. Cet esprit partisan a des répercussions non seulement sur l’aptitude de l’administration à gouverner un pays, mais également sur sa capacité à mener sa politique étrangère en position de force. Les débats dégénèrent de plus en plus en attaques personnelles ou en diffamations qui remettent en question les valeurs morales et la sincérité des opposants. Dans une société dotée de l’un des meilleurs systèmes éducatifs du monde, où la pensée scientifique et critique est sacrée, les sondages montrent qu’un nombre préoccupant d’Américains doutent de la capacité des scientifiques à prendre des décisions en se basant uniquement sur des faits.

Il n’est donc guère surprenant que, en lieu et place de débats constructifs fondés sur des faits, on assiste à des conflits qui émanent d’idées préconçues et de préjugés, ceux qui ont permis aux soutiens populistes de Trump d’arriver au pouvoir et d’empoisonner le discours politique à l’échelle du pays, portant le coup fatal à Washington le 6 janvier.

Les témoignages déchirants de ces policiers qui ont empêché le Capitole d’être envahi devraient alerter – des rives de l’Atlantique jusqu’à la côte du Pacifique – sur la fragilité de la société américaine et sur la nécessité qu’elle se lance d’urgence dans un processus de reconstruction et de renouveau.

 

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du programme Mena à Chatham House. Il contribue régulièrement à la presse écrite et électronique internationale. Twitter : @YMekelberg 

 

NDRL : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com