L'élite individualiste du Liban est incapable d'empêcher la chute libre

Le nouveau Premier ministre libanais, Najib Mikati, au palais présidentiel de Baabda, au Liban, le 26 juillet 2021. (Photo, Reuters)
Le nouveau Premier ministre libanais, Najib Mikati, au palais présidentiel de Baabda, au Liban, le 26 juillet 2021. (Photo, Reuters)
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Publié le Samedi 25 septembre 2021

L'élite individualiste du Liban est incapable d'empêcher la chute libre

L'élite individualiste du Liban est incapable d'empêcher la chute libre
  • Le pays traverse sa dépression économique la plus importante depuis le milieu du XIXe siècle
  • L'ONU estime que 78% de la population du pays vit désormais dans la pauvreté

Rien de nouveau au sujet du «nouveau Premier ministre» du Liban. En effet, Najib Mikati, ce milliardaire d'un certain âge, a déjà occupé ce poste deux fois. Son projet, se rapprocher des «frères arabes pour prendre le Liban par la main et arrêter sa chute libre», n'est malheureusement pas nouveau non plus.

Les problèmes que rencontre aujourd’hui le Liban sont le résultat direct d’une absence d'État fort. Le pays est devenu dépendant de l'aide au lieu de construire une économie forte. L’Organisation des nations unies (ONU) estime que 78% de la population du pays vit désormais dans la pauvreté. Là où les factions belligérantes ont autonomisé et enrichi leurs dirigeants, l'État a successivement échoué à fournir les services essentiels et les ouvertures dont la population a besoin.

Au cours du présent mois, Mikati a repris les mêmes pour former un nouveau cabinet. Son désir de soulager les malheurs du pays est tombé dans l'oreille d'un sourd, alors que le Liban connaît l'un des pires effondrements économiques de l'histoire moderne. Selon la Banque mondiale, le pays traverse sa dépression économique la plus importante depuis le milieu des années 1800, caractérisée par des problèmes systémiques chroniques, l’absence de gouvernement et les effets de la pandémie.

La livre libanaise (LBP), autrefois indexée sur le dollar, a perdu 90% de sa valeur au cours des deux dernières années en raison de ce qui apparaît comme la plus grande crise économique et financière du pays en temps de paix. Le mois dernier, Riad Salamé, gouverneur de la Banque centrale du Liban, a déclaré que l'État ne pouvait plus s’autoriser de subventions car les réserves de change du pays étaient largement épuisées.

Le coût des denrées de base a augmenté de 200% au cours de l'année écoulée et la situation financière est désastreuse. Le nouveau gouvernement a défendu la suppression des subventions comme un mal nécessaire pour conduire le pays vers la reprise économique. Sans subventions en dollars, ils ont choisi d'émettre des bons alimentaires, tout comme le Hezbollah l'a fait avec son système de cartes Sajjad, pour garantir l'essentiel à bas prix.

Le gouvernement a alloué 556 millions de dollars (1 dollar = 0,85 euro) à distribuer via des cartes de paiement à 500 000 personnes parmi les plus nécessiteuses.

Le gouverneur de la Banque centrale a été intercepté avec 90 000 euros en espèces au cours de ce mois; le projet de rapport sur le crime organisé et la corruption a signalé le mois dernier que ses sociétés offshore possédaient des actifs d'une valeur de près de 100 millions de dollars. Il n'est donc pas surprenant que le nouveau gouvernement semble incapable de soulager les malheurs du peuple libanais.

 

10% les plus riches de la population possèdent près de 70% de la richesse totale: les inégalités conduisent à la situation économique désastreuse dans laquelle se trouve le pays aujourd'hui.
Zaid M. Belbagi

 

Plus tôt cette année, le Carnegie Endowment a alerté sur le fait que, sans réforme, le Liban se transformerait en État failli. 10% les plus riches de la population possèdent près de 70% de la richesse totale: les inégalités conduisent à la situation économique désastreuse dans laquelle se trouve le pays aujourd'hui. Les élites politiques et commerciales qui sont imbriquées ont créé une économie de laissez-faire dans laquelle les riches ne sont pas taxés et les services publics profitent aux hommes d'affaires privés.

Human Rights Watch a averti que des millions de personnes sont menacées de famine dans le pays, et l’éternelle désinvolture des élites libanaises a conduit le pays vers la ruine.

Alors que les députés libanais se réunissaient la semaine dernière pour accorder le vote de confiance au nouveau cabinet, une panne de courant et de générateur a retardé la réunion de quarante minutes. Cet épisode a donné aux députés une idée de la réalité qu’endurent des millions de personnes qui font la queue jusqu'à six heures par jour pour acheter du carburant, repartent souvent bredouilles et n’ont pas la possibilité d’alimenter de générateurs à la maison.

Alors que les propriétaires de stations-service accumulent du carburant dans l'espoir d’augmenter leurs revenus lorsque les prix augmentent et que le reste de l'approvisionnement est bloqué sur des pétroliers qui attendent que la Banque centrale décaisse de précieux dollars, la vie quotidienne du peuple libanais s'aggrave. Les hôpitaux ne sont pas en mesure de fournir des soins de base sans carburant et ils doivent compter sur les dons de mazout. À l'hôpital universitaire Rafic-Hariri, comme ailleurs, on demande aux patients d'apporter leurs propres médicaments ou, tout simplement, de rentrer chez eux.

La solution du gouvernement, sans surprise, consistait à augmenter les prix du pétrole vendredi dernier de près de 38% dans le but de préparer l'économie à un assouplissement des subventions. Ce n’est donc pas étonnant que, là où le gouvernement fait défaut, le Hezbollah trouve une brèche pour intervenir et importe, comme il l’a fait cette semaine, plus d'un million de gallons de carburant iranien.

Arrivée par voie terrestre à un autre endroit qu’un poste frontière et en l'absence totale de tout contrôle douanier ou policier, la cargaison – première d'une longue série – a non seulement soulagé de nombreux Libanais, mais elle a également mis en lumière l'incompétence d'un gouvernement que la milice ne prend même pas la peine de consulter. Le fait que cette livraison ait été accueillie à bras ouvert souligne l'impuissance du gouvernement à obtenir l'aide de ses partenaires internationaux traditionnels.

Alors que les donateurs internationaux attendent que l'élite politique libanaise mette en route des réformes économiques et politiques pour faciliter un plan de sauvetage, les factions corrompues et autocomplaisantes du pays sont de plus en plus enracinées et inefficaces, aux dépens du peuple libanais.

 

Zaid M. Belbagi est commentateur politique et conseiller de clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe (GCC). Twitter : @Moulay_Zaid

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com