Israël et l'Iran se livrent à une guerre secrète... pour l’instant

Une photo publiée le 14 avril 2018 sur la page Twitter du compte "Central War Media" du Hezbollah montre des images nocturnes de fusées éclairantes au-dessus de Damas vues à travers un dispositif de vision nocturne alors que des frappes occidentales auraient frappé des bases militaires syriennes et des centres de recherche chimique dans et autour de la Syrie. (Polycopié / STR / MÉDIA MILITAIRE CENTRAL DU GOUVERNEMENT SYRIEN / AFP)
Une photo publiée le 14 avril 2018 sur la page Twitter du compte "Central War Media" du Hezbollah montre des images nocturnes de fusées éclairantes au-dessus de Damas vues à travers un dispositif de vision nocturne alors que des frappes occidentales auraient frappé des bases militaires syriennes et des centres de recherche chimique dans et autour de la Syrie. (Polycopié / STR / MÉDIA MILITAIRE CENTRAL DU GOUVERNEMENT SYRIEN / AFP)
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Publié le Dimanche 07 novembre 2021

Israël et l'Iran se livrent à une guerre secrète... pour l’instant

Israël et l'Iran se livrent à une guerre secrète... pour l’instant
  • C'est en plein jour que se sont déroulés les bombardements, contrairement aux opérations précédentes, et les Israéliens ont utilisé des missiles surface-surface au lieu des frappes aériennes habituelles
  • Dans le long combat qu'il mène pour prévenir l'acquisition par le Hezbollah de grandes quantités d'armes plus sophistiquées, Israël s'efforce de concilier considérations opérationnelles et politiques

Lorsqu'Israël a bombardé plusieurs cibles à proximité de Damas, il visait une cargaison d'armes de pointe acheminées vers la branche militaire de l'Iran au Liban, le Hezbollah. Mais l'opération s'est déroulée de manière inhabituelle. C'est en plein jour que se sont déroulés les bombardements, contrairement aux opérations précédentes, et les Israéliens ont utilisé des missiles surface-surface au lieu des frappes aériennes habituelles. Ces détails semblent être de simples détails techniques. Ils sont pourtant plus importants que l'on pourrait le croire.

Dans le long combat qu'il mène pour prévenir l'acquisition par le Hezbollah de grandes quantités d'armes plus sophistiquées, Israël s'efforce de concilier considérations opérationnelles et politiques. En vertu des premières, Israël doit agir, et sans délai, dès qu'il obtient des renseignements pertinents et qu'il ne lui reste que peu de temps pour arrêter un nouveau transfert d'armes de pointe de l'Iran vers le Liban. Néanmoins, ce champ de bataille est particulièrement chargé de militaires syriens, russes, américains et iraniens qui poursuivent tous des intérêts politiques divergents. Ainsi, l'objectif d'Israël consiste à ne pas mettre en colère ses alliés et à ne pas exacerber les tensions avec ses ennemis, sous peine d'entraîner une confrontation frontale avec l'Iran et le Hezbollah ou de nuire aux intérêts de la Russie ou des États-Unis.

La frappe menée la semaine dernière visait les bases aériennes militaires d'Al-Dimas, de Qudsaya et d'Al-Mazzeh. Celles-ci sont situées à l'ouest de Damas, non loin de l'autoroute Beyrouth-Damas qui mène au poste frontalier principal entre la Syrie et le Liban. En effet, la vallée de la Bekaa, bastion du Hezbollah, se trouve à quelques kilomètres de là. Cela fait des années que cette région représente un important couloir permettant le transfert d'armes de l'Iran au Liban par la Syrie ; Israël redoute que ces armes ne soient dirigées contre des agglomérations denses et ne provoquent des ravages si une guerre avec le Hezbollah devait éclater. Cette problématique s'inscrit par ailleurs dans le contexte plus large du conflit opposant Israël à l'Iran et de la volonté de ce dernier de se doter de capacités militaires nucléaires.

Si les efforts consentis par la communauté internationale pour dissuader Téhéran d'acquérir une capacité nucléaire militaire retiennent toute l'attention, l'Occident ne parvient pas – semble-t-il – à traduire sa rhétorique en un plan d'action qui inciterait les dirigeants iraniens à revenir à la table des négociations, et encore moins à renoncer à l'enrichissement de l'uranium. Dans le même temps, Israël s'engage dans ce que l'on appelle la « guerre-entre-deux-guerres». L'objectif poursuivi dans cette guerre est de prévenir ou de retarder une guerre ouverte, ou encore de réduire ses répercussions dévastatrices lorsqu'elle apparaît incontournable. Israël emploie également cette stratégie contre les Palestiniens, mais il y recourt de manière plus intense dans les contextes politiques plus complexes qui entourent ses combats contre l'Iran et le Hezbollah.

Israël garde le silence sur sa responsabilité dans ces opérations, en dépit des nombreuses frappes aériennes qu'il effectue en Syrie. Ce déni soulage la pression exercée sur les cibles de ces bombardements, pressions qui les inciteraient à riposter. Après tout, l'objectif principal est de fragiliser la présence iranienne en Syrie, qui joue un rôle clé dans la stratégie de Téhéran visant à perturber et à déstabiliser la région. Cette présence permet à l'Iran de conserver la tension qui marque ses relations avec Israël tout en évitant une confrontation ouverte avec ce dernier. En réponse à cette situation, Israël s'efforce de dissimuler ses intentions vis-à-vis du régime de Téhéran :  quand et comment il entend le frapper et montrer ses faiblesses. Israël a été accusé par le passé d'avoir attaqué certaines personnalités, tant en Syrie qu'en Iran. Ainsi, Mohsen Fakhrizadeh, le principal chercheur nucléaire iranien, a été assassiné, au même titre que plusieurs autres chercheurs iraniens. En outre, l'Iran accuse Israël de se livrer à des cyberattaques contre ses installations nucléaires, mais aussi contre des services vitaux – citons à cet égard la cyberattaque qui a coupé la fourniture de carburant aux stations-service ou cette autre qui a interrompu cette année les activités dans le port de Shahid Rajaei, dans le détroit d'Ormuz –.

Pour l'instant, l'Iran reste très peu loquace quant à sa volonté de signer un nouvel accord sur le nucléaire et de renoncer à l'enrichissement de l'uranium à des fins militaires. Israël aimerait voir les États-Unis resserrer l'étau sur l'Iran par l'intermédiaire de sanctions plus rigoureuses et une éventuelle intervention militaire ; Israël se réjouirait en effet de voir qu’une opération militaire est concevable. Dans ce contexte, les Iraniens tirent parti de la situation volatile au Liban : ils se servent du Hezbollah comme d'un outil pour dissuader ou du moins amoindrir les opérations israéliennes contre l'Iran. Le Hezbollah est désormais entièrement autonome par rapport à l'État libanais et s'est doté de l'armée la plus puissante du pays. En poursuivant la politique de la corde raide avec Israël, il sert ses intérêts et ceux de Téhéran, au détriment du Liban.

Israël refuse de lancer des attaques contre le Hezbollah sur le sol libanais, dans la mesure où cela déclencherait inévitablement une guerre dévastatrice. Israël a toutefois affirmé que si le Hezbollah procédait à des tirs de missiles à grande échelle, des représailles considérables se produiraient, des représailles telles que le Liban n'en a jamais vues auparavant. Pour l'instant, Israël se contente de couper l'approvisionnement en armes à destination du Liban et de frapper des cibles en Syrie ;  cette dernière offrant une plus grande marge de manœuvre militaire en raison du chaos qui y règne depuis dix ans. Israël poursuit donc cette stratégie sans susciter une confrontation ouverte, ni donner au chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, le prétexte de convertir son discours fanfaronnant de défenseur du Liban en une guerre contre Israël.

Dans la même optique, l'armée de l'air israélienne opère de nuit afin de limiter les pertes en vies humaines et éviter d'être détectée, ce qui lui permet de nier sa responsabilité dans ces tentatives. La décision de recourir à des missiles surface-surface la semaine dernière découle probablement d'un calcul tactique de la part d’Israël : éviter d'affronter les batteries du système de défense aérienne avancé de l'Iran, installé récemment en Syrie et dont les capacités sont incertaines à ce jour pour Israël. Cette attaque s'explique peut-être aussi par la volonté de restreindre l'embarras causé à Moscou : en effet, les avions israéliens ont réussi à échapper aux systèmes de défense aérienne de fabrication russe opérés avec le concours d'experts russes. Certes, la Russie n'a aucun intérêt à voir Téhéran consolider sa position en Syrie. Elle n'a donc rien entrepris pour empêcher Israël de couper les ailes à l'Iran ou au Hezbollah. Dans le même temps, Moscou ne souhaite pas être embarrassée par les opérations aériennes israéliennes, notamment parce qu'elle désire vendre ses systèmes de défense aérienne à d'autres pays.

À ce jour, il semble qu’Israël a remporté une nouvelle victoire dans sa guerre peu intense contre le Hezbollah et, de ce fait, contre l'Iran. Néanmoins, les deux parties se rapprochent peu à peu d'une confrontation plus acharnée mais préfèrent y renoncer pour le moment. Avec le temps, elles risquent toutefois de s'engager dans cette voie.

    Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.

 

Twitter : @Ymekelberg

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com