Pourquoi l’Irak ne peut subvenir aux besoins de ses jeunes en matière d’emploi

Des Irakiens participent à des manifestations contre la corruption et le chômage. (Photo, AFP)
Des Irakiens participent à des manifestations contre la corruption et le chômage. (Photo, AFP)
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Publié le Mardi 25 janvier 2022

Pourquoi l’Irak ne peut subvenir aux besoins de ses jeunes en matière d’emploi

Des Irakiens participent à des manifestations contre la corruption et le chômage. (Photo, AFP)
  • L’Irak ne semble pas près de se libérer de sa dépendance de longue date vis-à-vis de son seul atout: le pétrole
  • La question de l’allégement du fardeau qui pèse sur les caisses de l’État et de l’orientation des travailleurs vers des entreprises privées créatrices de richesse est difficile à résoudre pour les gouvernements successifs

DUBAÏ: Lorsque des dizaines de milliers de jeunes sont descendus dans les rues de Bagdad et des villes du sud et du centre de l’Irak fin 2019, une revendication fondamentale a résonné plus fort que toutes les autres: les possibilités d’emploi. 

Le pays, qui venait tout juste de sortir de décennies de tyrannie, de blocus, de guerres et d’insurrections, n’a que très peu apporté à la génération de jeunes Irakiens ayant atteint l’âge adulte dans les années qui ont suivi la chute de Saddam Hussein en 2003. 

Deux ans après ces manifestations, qui se sont essoufflées avec l’apparition de la pandémie de Covid-19 au début de l’année 2020, et face à la répression infligée par les puissantes milices irakiennes, les jeunes Irakiens affirment que rien n’a changé. 

«En réalité, c’est même pire qu’avant», déclare Rachid Mansour, un coiffeur de l’ouest de Bagdad, à Arab News. «Mes cousins et moi ne pouvons nous permettre de rester ici. Nous travaillons tous à temps partiel. Tout comme le reste du pays, nous avons du mal à joindre les deux bouts», poursuit-il. 

Avec peu d’indicateurs de performance qui suggèrent le contraire, l’économie vacillante de l’Irak ne semble pas près de se libérer de sa dépendance de longue date vis-à-vis de son seul atout: le pétrole. 

Même si le pays s’est ouvert à l'ensemble de la région et au monde, après avoir assoupli les restrictions de visas pour les visiteurs, il n’existe pas beaucoup de possibilités d’investissement au-delà du secteur pétrolier dans les nombreuses autres industries et entreprises longtemps défendues par ses dirigeants. 

Les appels à diversifier l’économie du pays sont restés sans réponse, tandis que les autorités continuent de faire la sourde oreille quant aux demandes de rationalisation du secteur public pléthorique. Les efforts d’efficacité sont ouvertement raillés par les citoyens, tout comme les obstacles que les investisseurs doivent franchir pour créer des entreprises privées. 

Près de deux décennies après que l’invasion menée par les États-Unis a renversé le régime baasiste, l’Irak continue d’avoir l’un des plus grands effectifs au sein du secteur public par habitant au monde. Sur le papier, le pays emploie quelque 7 millions de personnes sur une population estimée à 39,3 millions. 

La question de l’allégement du fardeau qui pèse sur les caisses de l’État et de l’orientation des travailleurs vers des entreprises privées créatrices de richesse est difficile à résoudre pour les gouvernements successifs. Aucun n’a osé agir contre un district d’électeurs qui pourrait faire basculer le résultat d’une élection, ou contre un système qui a longtemps été au cœur de la manière dont le pays est dirigé. 

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Un Irakien fume la chicha sous une peinture murale féministe qui porte le slogan arabe: «Ainsi sont nos femmes.» (Photo, AFP) 

«L’Irak se retrouve dans un cercle vicieux», confie à Arab News Ahmed Tabaqchali, stratège du fonds AFC pour l’Irak et chercheur principal à l’Institut de recherche sur les politiques Iris Mideast. «D’autres pays, à l’image de l’Arabie saoudite, prennent des initiatives comme le projet Vision 2030. C’est une bonne façon de mettre fin à la dépendance au pétrole. Mais en Irak, c’est différent. Il n’existe pas de gouvernement central puissant, mais plutôt de multiples sources de pouvoir.» 

«Les revenus pétroliers jouent un rôle primordial. Ils permettent de payer les retraites et les salaires du secteur public et ils offrent une sécurité sociale. C’est un défi d’en sortir. Il existe un accord tacite entre le gouvernement et le peuple. Les gens s’attendent à recevoir des services en échange de leur acceptation du gouvernement au pouvoir et un emploi dans le secteur public constitue l’un de ces services.» 

«Aucun parti ne veut se lancer seul dans les réformes car cela affaiblirait son pouvoir. L’Irak a besoin d’une classe politique engagée dans des plans à long terme, parce que c’est la seule façon de s’en sortir. Le secteur privé a besoin de temps pour se développer.» 

L’Irak en chiffres:

  • L’Irak compte 39,3 millions d’habitants.  
  • Le taux de croissance du PIB est de 3,9 %. 
  • Le taux de chômage s’élève à 12,8 %. 

Source: The Heritage Foundation (2021) 

Selon un profil récent du pays, dressé par la Banque mondiale, les revenus pétroliers représentent environ 85 % du budget du gouvernement irakien. Une étude des Nations unies de novembre 2021, intitulée A Diagnostic of the Informal Economy in Iraq, montre que le secteur privé du pays est largement non structuré et représente 40 à 50 % des emplois. 

Les emplois du secteur privé paient des salaires moyens inférieurs, ils offrent moins d’avantages sociaux et moins de sécurité d’emploi que les emplois du secteur public, qui sont considérés comme plus sûrs et plus confortables par rapport à l’incertitude de faire cavalier seul ou d’essayer de gérer une start-up dans un cadre réglementaire encombrant. 

«Nous avons un gros problème de chômage dans le pays», précise à Arab News Tarek Abu Abdallah, 50 ans, habitant de Bagdad. 

«De nombreux jeunes sont sans emploi et inquiets. La situation s’est encore plus détériorée avec la dévaluation du dinar irakien par rapport au dollar. Les prix ont doublé. Beaucoup de produits sont hors de prix. La situation économique épuise tout le monde.» 

Les obstacles à la mise en place d’un secteur privé fonctionnel ont été bien compris par les hauts fonctionnaires. En 2020, Ali Allawi, alors ministre des Finances, a présenté un livre blanc sur les réformes économiques visant à simplifier le processus d’investissement et de création d’entreprise. Un an plus tard, il a averti que les revenus pétroliers à eux seuls ne peuvent pas soutenir indéfiniment les salaires et les avantages dont bénéficient les employés de l’État. 

Au fil des années, la fastidieuse mais nécessaire tâche de la refonte de l’économie figée et de la bureaucratie sclérosée s’est révélée peu attrayante pour les dirigeants irakiens. Le processus laborieux de formation du gouvernement après chaque élection générale montre à quel point il est difficile de mettre d’accord les nombreuses factions politiques du pays sur presque tous les sujets. 

«La bureaucratie irakienne s’est développée en raison du système socialiste établi par le général Abdel Karim Kassem en 1958, et encore plus en 1968 lorsque le parti Baas est arrivé au pouvoir», explique à Arab News Entifadh Qanbar, président de la Future Foundation à Washington et ancien assistant du politicien irakien, Ahmad Chalabi. 

«Les vestiges de l’État socialiste irakien contrôlent toujours les lois et les règlements. Je qualifierais cela de “réglementations défavorables au milieu des affaires”. La bureaucratie était déjà massive mais, après 2003, elle a encore explosé. Les Irakiens ont développé la vision problématique suivante: «Si vous voulez trouver un emploi, il faudrait en trouver dans le secteur public.» 

«Tout Premier ministre promet de nouveaux emplois publics alors que l’État est en réalité incapable de payer plus de salaires.» 

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L’Irak continue d’avoir l’un des plus grands effectifs au sein du secteur public par habitant au monde et un secteur privé très faible. Les dirigeants savent que toute tentative de réforme poussera leurs propres partisans à manifester. (Photo, AFP) 

Dans la région kurde semi-autonome d’Irak, certains signes montrent que les choses se passent différemment. Masrour Barzani, Premier ministre du gouvernement régional du Kurdistan, a initié un programme de réforme qui a bousculé le statu quo et que les factions au pouvoir ont tout intérêt à préserver. 

«Au cours des deux dernières années, le gouvernement régional du Kurdistan a entrepris la plus grande initiative pour réformer nos finances publiques et autonomiser les entreprises privées», déclare à Arab News un haut responsable kurde proche du bureau du Premier ministre, qui a préféré garder l’anonymat. 

«Les changements que nous avons mis en place génèrent des gains d’efficacité et ils permettent de récupérer des sommes importantes qui peuvent être utilisées pour se procurer les biens et services qui comptent vraiment, comme la production d’électricité, les médicaments et les travailleurs de première ligne. Nous reconnaissons que les anciennes habitudes de finances publiques médiocres ne sont pas le moteur du progrès ou de l’amélioration du niveau de vie.» 

«La numérisation de nos dépenses publiques est au cœur de ces changements. Cette décision a permis, à elle seule, d’économiser des centaines de millions de dollars par an en éliminant le gaspillage. De meilleurs exercices de passation des marchés ont permis de réaliser des économies supplémentaires.» 

«Nous veillons également à ce que les petites entreprises aient une véritable chance d’obtenir des fonds publics. Nous avons simplifié le processus d’enregistrement d’une entreprise, qui était auparavant si compliqué qu’il avait un effet dissuasif.» 

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Les manifestations de 2019 en Irak ont montré que les dirigeants du pays, qui venaient tout juste de sortir de décennies de tyrannie, de blocus, de guerres et d’insurrections, n’avaient apporté que très peu pour la génération de jeunes Irakiens ayant atteint l’âge adulte dans les années qui ont suivi la chute de Saddam Hussein en 2003. (Photo, AFP) 

Se tournant vers l’avenir, Entifadh Qanbar affirme que la clé pour résoudre les problèmes de l’Irak réside dans une amélioration radicale de l'environnement commercial et dans l'abandon de la dépendance de l'économie politique à l'égard du pétrole. 

«La dépendance aux revenus pétroliers a pris un tournant dangereux au fil du temps», souligne-t-il à Arab News

«Le budget irakien fluctue en fonction des prix du marché pétrolier. L’instabilité du pays n’est pas attrayante pour les investissements étrangers. Il existe un risque énorme pour les investisseurs étrangers car ils auraient besoin de protection et de sécurité – des services que les compagnies d’assurance ne peuvent pas fournir.» 

La nécessité de faire les choses différemment est depuis longtemps vantée par les fonctionnaires et les organisations non gouvernementales en visite en Irak. L’utilisation de l’énergie verte est l’une de ces idées qui n’a jusqu’à présent pas réussi à s’imposer. 

«Compte tenu du manque de capacités pour investir et améliorer les services les plus élémentaires, je pense qu’il est hors de question que l’Irak puisse investir dans l’énergie verte à ce stade», ajoute M. Qanbar. 

«Le pays est inapte à fournir des services de base à ses citoyens, tels que l’eau, l’électricité, l’éducation et les infrastructures», conclut-il. 

 Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com 


Survivants traumatisés et «conditions indignes»: récit de la première mission de l'ONU à El-Facher

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  • Tombée aux mains des Forces de soutien rapide (FSR) en octobre après 500 jours de siège, la ville est "le fantôme d'elle-même"
  • A sa demande, elle s'y est rendue sans escorte armée, avec une poignée de collègues

PORT-SOUDAN: Des survivants traumatisés vivant des "conditions indignes", sans eau ni assainissement: pour la première fois depuis le siège par les paramilitaires d'El-Facher dans l'ouest du Soudan, une équipe de l'ONU a pu se rendre sur place.

Tombée aux mains des Forces de soutien rapide (FSR) en octobre après 500 jours de siège, la ville est "le fantôme d'elle-même", "une scène de crime", a résumé dans un entretien lundi avec l'AFP la coordinatrice humanitaire Denise Brown, qui n'a été autorisée à passer que "quelques heures" sur place.

A sa demande, elle s'y est rendue sans escorte armée, avec une poignée de collègues.

"De larges parties de la ville sont détruites", raconte Mme Brown: El-Facher est devenue "l'un des épicentres de la souffrance humaine" dans la guerre qui oppose depuis avril 2023 l'armée régulière aux paramilitaires.

Accès "âprement négocié" 

Fin octobre, les FSR se sont emparées du dernier bastion de l'armée au Darfour lors d'une offensive sanglante marquée par des exécutions, pillages et viols.

Depuis, ils ont imposé un black-out sur la ville, l'isolant du monde. A l'exception de vidéos d'exactions publiées par les combattants eux-mêmes, suscitant l'indignation internationale, très peu d'informations ont filtré.

Plus de 107.000 personnes ont fui, selon l'Organisation mondiale pour les migrations (OIM).

Vendredi, l'équipe onusienne a pu pénétrer dans la ville après avoir "négocié âprement", explique la responsable canadienne, chargée pour le Soudan du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (Ocha).

Elle décrit des survivants "traumatisés vivant sous bâches plastiques", dans des conditions qu'elle qualifie "d'indignes et dangereuses".

Impossible de donner des chiffres à ce stade sur combien sont restés sur place. "Nous n'avons pas encore assez d'informations", dit-elle, alors que la ville comptait avant la guerre plus d'un million d'habitants.

L'équipe pouvait se déplacer librement vers les sites sélectionnés: l'hôpital saoudien, des abris de déplacés et cinq bureaux abandonnés de l'ONU.

Le complexe hospitalier, l'un des derniers en ville, "tient encore debout" avec du personnel médical sur place, mais il est à court d'antibiotiques et d'équipements, et quasi vide de patients.

"Partie émergée de l'iceberg" 

Privée d'aide humanitaire, El-Facher s'est retrouvée à court de tout pendant les 18 mois de siège.

Pour survivre, les habitants se sont résolus à manger de la nourriture pour animaux. En novembre, l'ONU y a confirmé l'état de famine.

"Un petit marché" subsiste avec de minuscules paquets de riz, des tomates, oignons et patates, quelques biscuits: "les gens n'ont pas les moyens d'acheter davantage", a-t-elle décrypté.

L'équipe "n'a pu voir aucun des détenus, et nous croyons qu'il y en a", a précisé la responsable onusienne.

"Nous n'avons vu que la partie émergée de l'iceberg", a-t-elle admis, "soucieuse" d'éviter les zones jonchées de munitions non explosées et de mines, dans un conflit qui a déjà tué 128 travailleurs humanitaires.

Les analyses d'images satellites et les témoignages recueillis par l'AFP font régulièrement état d'exactions sommaires et de fosses communes dans la ville, mais la responsable a préféré réserver ses observations aux experts des droits humains de l'ONU, qui préparent un rapport sur les atrocités à El-Facher.

La guerre au Soudan a fait plusieurs dizaines de milliers de morts, déraciné 11 millions de personnes et provoqué ce que l'ONU qualifie de "pire crise humanitaire au monde".

 


Trois morts dans des manifestations des alaouites syriens contre le bombardement d'une mosquée

Des membres des forces de sécurité syriennes déployés lors de manifestations de la communauté alaouite à Lattaquié, dimanche. (Reuters)
Des membres des forces de sécurité syriennes déployés lors de manifestations de la communauté alaouite à Lattaquié, dimanche. (Reuters)
 Les alaouites syriens sont descendus dans la rue dimanche dans la ville côtière de Lattaquié pour protester contre l'attentat à la bombe contre une mosquée qui a tué huit personnes à Homs deux jours auparavant. (REUTERS)
Les alaouites syriens sont descendus dans la rue dimanche dans la ville côtière de Lattaquié pour protester contre l'attentat à la bombe contre une mosquée qui a tué huit personnes à Homs deux jours auparavant. (REUTERS)
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  • Des membres du régime de Bashar Assad ont attaqué les forces de sécurité et les civils, rapportent les médias d'État
  • Selon les autorités sanitaires, des dizaines de personnes ont été soignées pour des blessures causées par des coups de feu, des couteaux et des pierres

LATTAKIEH: Trois personnes ont été tuées et des dizaines d'autres blessées lors des manifestations des Alaouites de Syrie dans la ville côtière de Lattaquié dimanche.

Les responsables de la sécurité ont déclaré que les restes du régime de Bashar Assad ont attaqué les forces de sécurité et les civils lors des manifestations, a rapporté l'agence de presse nationale syrienne SANA.

Les autorités sanitaires régionales ont déclaré que 60 personnes avaient été blessées et que les hôpitaux traitaient les victimes pour des blessures causées par des coups de feu, des couteaux et des pierres.

Deux ambulances ont été attaquées alors qu'elles intervenaient sur les lieux des incidents.

Le colonel Abdulaziz Al-Ahmad, chef de la sécurité intérieure à Lattaquié, a déclaré que des "éléments liés aux vestiges du régime déchu" participant aux manifestations ont attaqué le personnel de la sécurité intérieure, faisant plusieurs blessés et endommageant des véhicules.

Les manifestations ont eu lieu en réponse à l'attentat à la bombe contre une mosquée qui a tué huit personnes dans un quartier alaouite de la ville de Homs deux jours auparavant.

M. Assad a été chassé du pouvoir il y a un an, après qu'une offensive des forces d'opposition a mis fin à la guerre civile qui a décimé le pays.

Le nouveau président, Ahmad Al-Sharaa, s'efforce de stabiliser le pays, mais il y a eu des flambées de violence sectaire.

Les représentants du gouvernement affirment que les groupes restés fidèles au régime d'Assad, qui était dominé par la minorité alaouite, ont tenté d'inciter à la violence en utilisant les manifestations civiles comme couverture pour cibler le personnel de sécurité et endommager les biens publics.

Le colonel Al-Ahmad a déclaré que des individus armés et masqués affiliés à des groupes connus sous le nom de "Saraya Deraa Al-Sahel" et "Saraya Al-Jawad" étaient présents lors des manifestations de dimanche. Ces groupes ont déjà perpétré des assassinats ciblés et posé des explosifs le long d'axes routiers importants.

Des milliers de personnes ont participé aux manifestations de dimanche organisées par une autorité religieuse en réponse à l'attaque de la mosquée, a rapporté l'AFP.

Les forces syriennes ont ensuite été déployées pour disperser les partisans du gouvernement, selon un correspondant de l'AFP.

Les manifestations de dimanche ont été organisées à l'appel du chef spirituel alaouite Ghazal Ghazal, qui a exhorté samedi la population à "montrer au monde que la communauté alaouite ne peut être humiliée ou marginalisée" après l'attentat à la bombe de Homs.

L'attentat de vendredi a été revendiqué par un groupe extrémiste connu sous le nom de Saraya Ansar Al-Sunna.

Il s'agit de la dernière attaque en date contre cette minorité religieuse, qui est la cible de violences depuis la chute, en décembre 2024, de M. Assad, lui-même alaouite.


Le pari israélien sur le Somaliland : quels risques pour la région?

Israël a officiellement reconnu le Somaliland le 26 décembre, brisant ainsi des décennies de consensus international sur l'intégrité territoriale de la Somalie. (Fourni)
Israël a officiellement reconnu le Somaliland le 26 décembre, brisant ainsi des décennies de consensus international sur l'intégrité territoriale de la Somalie. (Fourni)
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  • La situation stratégique du Somaliland près du Bab Al-Mandab fait craindre qu'une présence sécuritaire israélienne ne transforme la mer Rouge en poudrière
  • Les critiques soutiennent que la décision ravive la stratégie israélienne de "périphérie", encourageant la fragmentation des États arabes et musulmans pour un avantage stratégique

RIYAD: Les observateurs régionaux chevronnés ne seront peut-être pas surpris d'apprendre qu'Israël est devenu le premier et le seul État membre des Nations unies à reconnaître officiellement la République du Somaliland comme une nation indépendante et souveraine.

Le 26 décembre, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et le ministre des affaires étrangères Gideon Sa'ar ont signé une déclaration commune de reconnaissance mutuelle avec le président du Somaliland, Abdirahman Mohamed Abdullahi.

Pour une région qui a existé dans un état de flou diplomatique depuis qu'elle a déclaré son indépendance de la Somalie en 1991, ce développement est, comme l'a décrit M. Abdullahi, "un moment historique". Mais sous la surface se cache un pari géopolitique calculé et à fort enjeu.

Si plusieurs pays, dont le Royaume-Uni, l'Éthiopie, la Turquie et les Émirats arabes unis, ont ouvert des bureaux de liaison dans la capitale, Hargeisa, aucun n'a voulu franchir le Rubicon de la reconnaissance officielle de l'État.


Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, assisté du ministre des affaires étrangères Gideon Sa'ar, signe le document reconnaissant officiellement la région séparatiste du Somaliland, le 26 décembre 2025. (AFP)
La décision d'Israël de rompre ce consensus international vieux de plusieurs décennies constitue une rupture délibérée avec le statu quo.

En prenant cette mesure, Israël s'est positionné comme le principal bienfaiteur d'un État qui cherche depuis longtemps à s'asseoir à la table internationale. Comme l'a déclaré à Arab News Dya-Eddine Said Bamakhrama, ambassadeur de Djibouti en Arabie saoudite, une telle décision est profondément perturbatrice.

"Une déclaration unilatérale de séparation n'est ni un acte purement juridique ni un acte politique isolé. Au contraire, elle entraîne de profondes conséquences structurelles, au premier rang desquelles l'aggravation des divisions internes et des rivalités entre les citoyens d'une même nation, l'érosion du tissu social et politique de l'État et l'ouverture de la porte à des conflits prolongés", a-t-il déclaré.

Les critiques affirment qu'Israël fait depuis longtemps pression pour un nouveau découpage de la région sous diverses formes.

La reconnaissance du Somaliland est considérée par beaucoup dans le monde arabe comme la poursuite d'une stratégie visant à affaiblir les États arabes et musulmans centralisés en encourageant les mouvements sécessionnistes périphériques.
Dans le contexte somalien, cette voie est perçue non pas comme un geste humanitaire, mais comme une méthode visant à saper les accords nationaux conclus dans le cadre d'une Somalie fédérale.

Selon l'ambassadeur Bamakhrama, la communauté internationale s'est toujours opposée à de telles initiatives afin de donner la priorité à la stabilité régionale plutôt qu'aux "tendances séparatistes dont l'histoire a maintes fois démontré les dangers et les coûts élevés".

En ignorant ce précédent, Israël est accusé d'utiliser la reconnaissance comme un outil pour fragmenter la cohésion régionale.

Par le passé, Israël a souvent justifié son soutien à des acteurs non étatiques ou à des groupes séparatistes en prétextant la protection de minorités vulnérables, comme les Druzes au Levant ou les Maronites au Liban.

Cette "doctrine de la périphérie" avait un double objectif : elle créait des alliés régionaux et soutenait la revendication d'Israël en tant qu'État juif en validant l'idée d'autodétermination ethnique ou religieuse.

Toutefois, dans le cas du Somaliland, les gants ne sont plus du tout de mise. Il ne s'agit pas ici de protéger une minorité religieuse, puisque le Somaliland est un territoire à forte majorité musulmane. Il s'agit plutôt d'un raisonnement purement géopolitique.

Israël semble rechercher une profondeur stratégique dans une région où il a toujours été isolé. M. Netanyahu a explicitement lié cette initiative à "l'esprit des accords d'Abraham", indiquant que les principaux moteurs sont la sécurité, le contrôle maritime et la collecte de renseignements plutôt que la démographie interne de la Corne de l'Afrique.

La première grande victoire d'Israël dans cette manœuvre est l'élargissement de son orbite diplomatique. On pourrait faire valoir que le refus du gouvernement fédéral de Mogadiscio d'adhérer aux accords d'Abraham constituait une barrière artificielle.


Des habitants brandissent des drapeaux du Somaliland alors qu'ils se rassemblent dans le centre-ville d'Hargeisa le 26 décembre 2025, pour célébrer l'annonce d'Israël reconnaissant le statut d'État du Somaliland. (AFP)
La preuve de cette affirmation, du point de vue israélien, est que le Somaliland - un territoire comptant près de six millions d'habitants et doté de ses propres institutions démocratiques - était désireux d'adhérer à l'accord.

M. Abdullahi a déclaré que le Somaliland rejoindrait les accords d'Abraham en tant que "pas vers la paix régionale et mondiale". Toutefois, cette paix s'accompagne d'une contrepartie évidente : la reconnaissance officielle.

Israël peut désormais affirmer que le "modèle du Somaliland" prouve que de nombreuses autres entités arabes et musulmanes sont disposées à normaliser leurs relations si leurs intérêts politiques ou territoriaux spécifiques sont satisfaits.

Cela remet en question la position unifiée de la Ligue arabe et de l'Organisation de la coopération islamique, qui maintiennent que la normalisation doit être liée à la résolution du conflit palestinien.


Le deuxième gain majeur pour Israël est la possibilité d'une présence militaire dans la Corne de l'Afrique. La position stratégique du Somaliland dans le golfe d'Aden, près du détroit de Bab Al-Mandab, en fait un lieu privilégié pour la surveillance du trafic maritime.

Il s'agit d'une bombe à retardement étant donné que de l'autre côté de cette mer étroite se trouve le Yémen, où le mouvement Houthi - dont le slogan est "Mort à Israël" - contrôle un territoire important.

Israël peut prétendre qu'une présence militaire ou de renseignement au Somaliland renforcera la sécurité régionale en contrant les menaces des Houthis sur la navigation. Toutefois, les voisins de la région craignent que cette présence n'attise les tensions.

L'ambassadeur Bamakhrama a prévenu qu'une présence militaire israélienne "transformerait effectivement la région en une poudrière".


"Si Israël décidait d'établir une base militaire dans un endroit géopolitiquement sensible, cela serait perçu à Tel-Aviv comme un gain stratégique dirigé contre les États arabes bordant la mer Rouge, à savoir l'Égypte, l'Arabie saoudite, la Somalie, le Yémen, le Soudan et Djibouti", a-t-il déclaré.

La mer Rouge est un "corridor maritime international vital" et toute modification de son équilibre géopolitique aurait des "répercussions bien au-delà de la région", a-t-il ajouté.

Cette reconnaissance constitue également une violation flagrante du droit international et du principe d'intégrité territoriale inscrit dans la Charte des Nations unies.

Si les partisans de la reconnaissance font état d'exceptions telles que le Sud-Soudan ou le Kosovo, il n'en reste pas moins que ces cas impliquaient des circonstances très différentes, notamment des conflits génocidaires prolongés et de vastes transitions sous l'égide des Nations unies.

En revanche, l'Union africaine a toujours affirmé que le Somaliland faisait partie intégrante de la Somalie.
 

La réaction a été rapide et sévère. La Ligue arabe, le Conseil de coopération du Golfe et l'OCI ont tous décrié cette décision. Même le président américain Donald Trump, qui a pourtant joué un rôle dans les accords d'Abraham, n'a pas approuvé la décision d'Israël.

Lorsqu'on lui a demandé si Washington suivrait le mouvement, M. Trump a répondu par un "non" catégorique, ajoutant : "Est-ce que quelqu'un sait vraiment ce qu'est le Somaliland ?"

Ce manque de soutien de la part de Washington souligne l'isolement de la position d'Israël. L'OCI et les ministres des affaires étrangères de 21 pays ont publié une déclaration commune mettant en garde contre de "graves répercussions" et rejetant tout lien potentiel entre cette reconnaissance et les projets de déplacement des Palestiniens de Gaza vers la région africaine.

La reconnaissance du Somaliland par Israël semble être un pari calculé visant à échanger des normes diplomatiques contre un avantage stratégique.

Alors que Hargeisa célèbre une étape longtemps attendue, le reste du monde y voit un dangereux précédent qui menace de déstabiliser l'un des couloirs les plus instables du monde.

Comme le dit l'ambassadeur Bamakhrama, l'établissement de tels liens "ferait d'Israël le premier et le seul État à rompre avec le consensus international" - une décision qui donne la priorité à des "calculs stratégiques étroits" plutôt qu'à la stabilité du système international.