Vivre avec la Covid-19 doit être guidé par la science, non par la politique

Des personnes marchant le long d'un quai à Kings Cross Station à une heure de pointe le matin, dans un contexte d’épidémie de Covid-19, à Londres, le 1er  décembre 2021. (Reuters)
Des personnes marchant le long d'un quai à Kings Cross Station à une heure de pointe le matin, dans un contexte d’épidémie de Covid-19, à Londres, le 1er décembre 2021. (Reuters)
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Publié le Jeudi 03 février 2022

Vivre avec la Covid-19 doit être guidé par la science, non par la politique

Vivre avec la Covid-19 doit être guidé par la science, non par la politique
  • En levant les restrictions, les gouvernements devraient veiller à éviter les erreurs passées consistant à réagir à des pressions politiques à court terme
  • Les fortes campagnes de vaccination dans les pays riches, tout en laissant le reste du monde non vacciné et vulnérable, ont surtout visé à apaiser les électeurs

Le scepticisme est la réponse presque inévitable à la levée des restrictions liées à la Covid-19 dans un certain nombre de pays européens. La méfiance est telle que de pareilles mesures proviennent davantage de politiciens qui préfèrent rassurer leurs électeurs plutôt que de faire appel à la science ou au bon sens.

Le Danemark, la France, les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont déjà lancé des stratégies d'ouverture de leurs économies et de leurs sociétés, en partie en réponse à l'analyse de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) selon laquelle le variant Omicron, qui domine actuellement, peut être géré sans confinement. Les dirigeants de ces pays veulent également apporter une réponse à ce que l’on qualifie de «fatigue pandémique», et au nombre croissant de personnes qui s'opposent aux confinements et  aux restrictions sur les personnes non vaccinées. 

Leurs affirmations ne sont pas tout à fait sans fondement, mais lors de la levée des restrictions, les gouvernements devraient veiller à éviter les erreurs passées consistant à réagir à des pressions politiques à court terme, qui n'ont entraîné que davantage de souffrances, des confinements plus longs et de nouvelles restrictions.

Après deux ans de pandémie, certains des paramètres pour y faire face ont en effet changé. La vitesse record à laquelle les vaccins ont été développés et déployés a changé la donne, et bien que cela n’ait pas empêché le virus de se propager encore plus rapidement, cela a considérablement réduit le nombre de personnes gravement malades, d'hospitalisations et de vies perdues.

Nous avons également appris à vivre avec la Covid-19 grâce à de simples mesures de prévention, comme le port du masque dans les lieux publics, une attention constante à l'hygiène, et le travail à domicile autant que possible. Ce faisant, nous avons réduit la menace d'une spirale incontrôlable de la pandémie. De plus, la coopération internationale s'améliore, et nous apprenons collectivement comment faire face à cette maladie mortelle. Omicron en est un exemple, l'identification rapide et le partage immédiat d'informations sur ce variant par l'Afrique du Sud ayant aidé d'autres pays à y répondre plus efficacement, contrairement aux précédents variants. Cela a permis à certains pays de voir la lumière au bout du tunnel et d’amorcer un retour à la vie normale.

Cependant, nous sommes également confrontés au danger que des arrière-pensées politiques dans certains pays continuent de nuire à l'effort mondial pour sortir de cette crise de santé publique, qui a déjà coûté la vie à plus de 5,6 millions de personnes et provoqué un Covid long chez des millions d’autres.

Le débat ne porte pas sur un choix entre supprimer imprudemment toutes les restrictions liées au virus ou les conserver indéfiniment jusqu'à ce qu'il ne reste plus un seul cas. La question est plus complexe. La reprise après cette pandémie sera un marathon, et non pas un sprint. Nous devons non seulement faire face aux défis d’ordre pratique, mais aussi à l'impact psychologique de taille qui restera inscrit dans les esprits d'une génération. Par conséquent, les hésitations des gouvernements qui sont enclins à appliquer des confinements stricts puis à les lever rapidement aggravent une situation déjà extrêmement difficile.

Il est impératif de trouver un équilibre fragile entre la nécessité de contenir la propagation du virus d'une part, et de minimiser l'effet des longs confinements et autres restrictions sur certains éléments comme l'économie d'un pays et la santé mentale de sa population.

Il faudra de nombreuses années pour chiffrer avec précision le coût de la pandémie pour l'économie mondiale, mais on estime qu'au cours de la première année, le PIB mondial a reculé de 4,3 %, avec un coût possible de 10 trillions de dollars (un dollar = 0,88 euros). Mais maintenant que l'économie mondiale se porte mieux que prévu, même si les marchés sont toujours instables, il existe une marge de manœuvre pour garantir que le retour à une économie totalement ouverte est possible, tout en tenant compte des risques sanitaires qui y sont liés.

De plus, la peur du chômage et de l'instabilité financière, l'isolement social et la solitude, la perturbation de l'éducation, la contamination par la Covid-19 et ses conséquences – sans parler de la perte d'êtres chers – tout cela continuera d'avoir un impact énorme sur les habitants de la planète. Le retour à une sorte de normalité supposera un long cheminement vers le dépassement de ces peurs et de ces traumatismes, qui ont augmenté de façon exponentielle ces deux dernières années. Cela nécessitera probablement un investissement considérable dans les services de santé mentale, qui  ne fera qu'augmenter en cas d’application de nouvelles restrictions sévères.

Toutes ces difficultés concrètes soulignent la nécessité de créer une feuille de route pour sortir de la pandémie, une feuille de route engageant des responsabilités et insufflant de l'espoir, mais non pas un faux espoir, une feuille de route ne se pliant pas aux groupes de pression politiques ou aux intérêts personnels, et ne devant en aucun cas être utilisée pour détourner l'attention d'autres problèmes.

 

«Les hésitations des gouvernements qui sont enclins à appliquer des confinements stricts puis à les lever rapidement aggravent une situation déjà extrêmement difficile»

 

Yossi Mekelberg

En temps de crise – et la crise actuelle est la plus meurtrière et la plus destructrice que le monde ait vécu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale – l'accent doit être mis sur l'endiguement, et si possible l'éradication de la menace par des mesures calculées, guidées par la science. Il faut également distinguer clairement les mesures incommodantes, voire irritantes pour la population, mais néanmoins nécessaires pour retrouver progressivement une vie normale, et celles qui pourraient soulager à court terme, mais causer une souffrance à long terme. 

Porter un masque en public peut être gênant pour un grand nombre de personnes, mais tant que cela n'affecte pas la santé, il n'y a aucune raison pour que cela ne reste pas obligatoire.

Les fluctuations que nous avons constatées entre l'application de mesures strictes et leur suppression brusque relèvent davantage de considérations politiques que d'une analyse coûts-avantages réfléchie et globale pour l'ensemble de la société.

En outre, le prochain grand effort devrait être non seulement de convaincre davantage de personnes non vaccinées de se faire vacciner, mais plus important encore, de veiller à ce que les pays à faible revenu reçoivent une aide afin de vacciner leurs propres populations.

À maintes reprises, il a été démontré que, malgré le succès des campagnes de vaccination dans les pays à revenu élevé, l'absence de vaccination dans d'autres pays entraînait inévitablement l'apparition de nouveaux variants, prolongeant ainsi la pandémie. Les décisions des pays les plus riches d’effectuer une double vaccination et des doses de rappel à leurs citoyens, tout en laissant le reste du monde non vacciné, souffrant et mourant, ont surtout visé à apaiser les électeurs plus qu'à adopter une approche globale. Elles démontrent également que des considérations politiques limitées sont peu clairvoyantes et vouées à l'échec.

 

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.     
Twitter: @YMekelberg

Clause de non-responsabilité: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com