L’enquête sur les sous-marins pourrait mettre fin à la carrière politique de Netanyahou

Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, visite le sous-marin INS Rahav, arrivé au port de Haïfa, le 12 janvier 2016. (Reuters)
Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, visite le sous-marin INS Rahav, arrivé au port de Haïfa, le 12 janvier 2016. (Reuters)
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Publié le Vendredi 11 février 2022

L’enquête sur les sous-marins pourrait mettre fin à la carrière politique de Netanyahou

L’enquête sur les sous-marins pourrait mettre fin à la carrière politique de Netanyahou
  • On parle peu du rôle de la marine israélienne dans l’endiguement de l’Iran et dans le fait qu’elle ait pu dissuader ce pays de perfectionner son programme nucléaire
  • Ce qui soulève de sérieux soupçons d’actes répréhensibles en matière de corruption, c’est le nombre de personnes proches de Netanyahou qui sont impliquées dans cette affaire

Bien qu’il n’ait pas été unanime, le vote du cabinet israélien du mois dernier destiné à établir une commission d’enquête sur l’achat de sous-marins, de navires anti-sous-marins et de bateaux de surface pendant le mandat de Benjamin Netanyahou était tout à fait prévisible.

Parmi tous les dossiers de corruption associés à l’ère Netanyahou, c’est bien celui-là qui devrait constituer une source de préoccupation pour la majorité des citoyens israéliens, sans que cela les détourne d’autres affaires tout aussi graves – pots-de-vin, fraude et abus de confiance – pour lesquelles l’ancien Premier ministre est actuellement jugé. 

Contrairement à ces affaires, aussi inquiétantes soient-elles, qui tournent autour de l’hédonisme de Netanyahou ou de son obsession de la manière dont les médias parlent de lui, l’affaire des sous-marins suppose une éventuelle corruption dans l’un des achats de systèmes d’armement les plus importants du pays. Elle pose la question de savoir si la sécurité d’Israël a été compromise par pure cupidité. Il ne s’agit pas de cigares ou de bouteilles de champagne ni du fait d’obtenir une couverture médiatique favorable en échange d’une loi qui permettrait à plusieurs magnats des médias et quelques hommes d’affaires riches de se remplir les poches.

Il s’agit de savoir si les décisions qui concernent l’achat de ces navires à l’Allemagne ont été prises uniquement sur la base des besoins de sécurité d’Israël ou si elles sont ternies par la cupidité de ceux qui ont reçu une commission une fois l’accord passé. Si tel est le cas, on peut se demander jusqu’à quel point le système politique est corrompu.

Les sous-marins jouent un rôle déterminant dans la stratégie de défense globale d’Israël non seulement pour protéger ses frontières maritimes relativement longues et ses lignes de communication en Méditerranée, mais aussi pour servir de moyen de dissuasion au-delà de ses frontières immédiates.

Au cours des premières décennies de l’histoire du pays, la marine était considérée comme la branche militaire la moins importante et était négligée. Mais depuis les années 1970, alors que des attaques terroristes répétées ont été menées de la mer, puis à la fin des années 2000, avec la découverte d’importantes réserves de gaz naturel extracôtier, la marine a également pris en charge la défense des infrastructures maritimes extracôtières du pays.

On parle peu du rôle de la marine israélienne – ni de celui de ses sous-marins en particulier – dans l’endiguement de l’Iran et dans le fait qu’elle ait pu dissuader ce pays de perfectionner son programme nucléaire. Selon des publications étrangères, les cinq sous-marins de classe Dolphin que possède actuellement Israël sont capables de lancer des missiles de croisière équipés d’ogives nucléaires, ce qui dote Israël d’un potentiel de représailles de seconde frappe en cas d’attaque surprise.

L’annonce d’une enquête sur un éventuel cas de corruption qui impliquerait des accords passés avec la société allemande ThyssenKrupp Marine Systems a presque parfaitement coïncidé avec une déclaration faite par Israël et l’Allemagne selon laquelle la même société construirait trois autres sous-marins sophistiqués pour la marine israélienne dans le cadre d’un accord d’un montant de 3,4 milliards de dollars (1 dollar = 0,88 euro). Cela ne laisse aucun doute sur l’émergence de la marine comme arme majeure de la stratégie de défense d'Israël.

La commission d’enquête est également chargée d’évaluer une tentative qui consiste à transférer la responsabilité de l’entretien des sous-marins des chantiers navals israéliens à la société allemande. Il convient de noter que cette tentative a été déjouée. La question la plus controversée est sans doute la suivante: pourquoi le consentement d’Israël a-t-il été donné – très probablement par Netanyahou lui-même – pour vendre des sous-marins allemands sophistiqués à l’Égypte? Était-ce une décision stratégique de soutenir un allié dans la construction de sa capacité navale, ou était-ce plutôt parce que certaines personnes en position de force pouvaient facturer une commission supplémentaire pour cet accord? 

Cette affaire de corruption touche particulièrement les Israéliens ordinaires, qui considèrent la question de la sécurité comme sacro-sainte.

Yossi Mekelberg

Compte tenu du coût d’acquisition de tels navires, la part perçue par les courtiers de ces transactions doit s’élever à plusieurs millions et leur accès au pouvoir augmente leurs chances de promouvoir les intérêts des producteurs d’armes qu’ils représentent. En attendant que la commission fasse part des résultats de l’enquête, il est difficile de savoir jusqu’où ce scandale s’est infiltré dans la hiérarchie politique. Sept personnes impliquées dans l’acquisition des sous-marins ont déjà été accusées d’infractions, et notamment de corruption, après quatre ans d’enquête policière dans le cadre de ce qui est désormais connu sous le nom d’«affaire 3000».

Ce qui soulève de sérieux soupçons d’actes répréhensibles en matière de corruption, c’est le nombre de personnes proches de Netanyahou qui sont impliquées dans cette affaire, y compris des membres de la famille avec lesquels l’ancien Premier ministre entretenait des liens financiers étroits.

Pour aggraver son cas, Moshe Ya’alon, ancien chef d’état-major de l’Armée de défense d’Israël et allié politique de Netanyahou, affirme ne pas avoir compris, à l’époque où il était ministre de la Défense, pourquoi le Premier ministre faisait pression pour l’achat de sous-marins supplémentaires et d’autres bateaux malgré l’opposition du chef d’état-major de l’Armée de défense d’Israël et du commandant de la marine, qui voulaient orienter le budget vers d’autres systèmes militaires. 

Ya’alon évoque la raison pour laquelle le procureur général était réticent à mener une enquête auprès de Netanyahou sur cette question, tout en l’accusant d’autres dossiers de corruption. «S’il s’avère que [Netanyahou] est impliqué, ce serait un coup fatal pour la sécurité nationale et, même lorsque nous en aurons besoin, personne ne nous vendra de sous-marins», déclare-t-il. Plus tard, il a répété que cette affaire représentait «l’affaire de corruption liée à la sécurité la plus grave de l’histoire du pays». Les commentaires de Ya’alon reflètent également une opinion largement répandue selon laquelle il était impossible pour le Premier ministre de l’époque de ne pas être au courant de cette affaire et de la corruption qu’elle implique.

La politique israélienne est, malheureusement, ravagée par la corruption, mais cette affaire touche particulièrement les Israéliens ordinaires, qui considèrent la question de la sécurité comme sacro-sainte. Si la commission d’enquête conclut qu’il y a eu inconduite dans l’acquisition, elle réduira sûrement à néant la confiance que la population accorde à ses dirigeants politiques et creusera le fossé qui existe au sein de la société. Il serait d’autant plus déchirant de constater que le prétendu «M. Sécurité», Benjamin Netanyahou, mélangeait gains personnels et impératifs de sécurité, ou du moins fermait les yeux sur ceux qui le faisaient.

 

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.

 

Twitter: @Ymekelberg

 

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com