Biden entend-il durcir le ton envers l’Iran?

Le lieutenant général Michael Erik Kurilla arrive au Sénat pour témoigner devant le Comité des forces armées, Capitol Hill, Washington, D.C., le 8 février 2022. (AFP).
Le lieutenant général Michael Erik Kurilla arrive au Sénat pour témoigner devant le Comité des forces armées, Capitol Hill, Washington, D.C., le 8 février 2022. (AFP).
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Publié le Vendredi 11 février 2022

Biden entend-il durcir le ton envers l’Iran?

Biden entend-il durcir le ton envers l’Iran?
  • Biden a enregistré la semaine dernière les sondages les plus bas depuis le début de son mandat
  • Les Iraniens ont la réputation de placer la barre toujours plus haut jusqu’à ce que quelqu’un leur tape sur les doigts

Récemment nommé par le président Joe Biden à la tête du commandement central américain, le lieutenant général Michael Kurilla s’est exprimé cette semaine face au Congrès. Dans sa déclaration, il a affirmé que l’Iran était le premier agent de déstabilisation au Moyen-Orient. Il a expliqué que tout allègement des sanctions qui permettrait l’afflux de fonds vers l’Iran serait immédiatement utilisé par le pays pour financer ses intermédiaires et leurs activités terroristes dans la région. Les propos que la personne nommée par Biden a tenus apparaissent surprenants à l’heure où l’administration américaine actuelle semble résolue à revenir dans l’accord sur le nucléaire. S’agirait-il d’un revirement politique qui amorcerait un éventuel changement du rapport de forces au sein du Congrès lors des élections de mi-mandat au mois de novembre?

Les républicains durcissent leur position et insistent pour disposer d’un droit de regard sur tout nouveau deal, sous peine de le saborder. Entre-temps, Biden a enregistré la semaine dernière les sondages les plus bas depuis le début de son mandat. Il y a donc fort à parier que la composition du Congrès, voire celle du Sénat, change lors des élections de mi-mandat. Si cela venait à arriver, les républicains rendraient la vie dure à l’équipe de l’administration Biden chargée de la politique étrangère.

Dans une lettre présentée la semaine dernière, trente-trois sénateurs signataires ont mis en garde Biden. Ils ont expliqué que le Congrès bloquerait la mise en œuvre de toute renégociation de l’accord sur le nucléaire s’ils n’avaient pas de droit de regard sur le texte. Voilà qui constituerait un obstacle certain à tout deal négocié avec l’Iran dans l’hypothèse où la majorité change au Sénat au mois de novembre. Les républicains ne toléreront pas les activités déstabilisantes de l’Iran au profit d’un accord sur le nucléaire qui devient de moins en moins pertinent étant donné la réduction progressive du breakout time de l’Iran (le temps qu’il faudrait à Téhéran pour produire une bombe nucléaire s’il le décidait, NDLR). En effet, depuis la sortie de l’accord, décidée par Donald Trump, l’Iran a augmenté ses activités d’enrichissement d’uranium par rapport au deal initial de 2018.

Par ailleurs, l’Iran n’aide pas Biden, car il refuse de faire preuve de bonne volonté. Dans les milieux républicains, on parle d’une humiliation américaine: les Iraniens refusent toujours de parler directement avec leurs homologues américains lors des négociations en cours à Vienne. Ce sont en effet les diplomates européens qui font la navette entre les salles pour faire passer les messages.

Si Biden entend opérer un revirement progressif dans sa politique envers l’Iran en prévision d’un changement au sein du Congrès et du fait de l’obstination sans précédent de l’Iran, il ferait donc preuve d’intelligence. Les Iraniens revendiquent la levée de toutes les sanctions et ils demandent dans le même temps à Biden de leur garantir que le deal ne sera pas révoqué par un prochain président. Il n’en demeure pas moins que leurs revendications ne pourraient être satisfaites. Biden ne peut lever toutes les sanctions. Celles qui sont en lien avec les activités déstabilisatrices de l’Iran ne sauraient en effet être levées tant que Téhéran ne changera pas d’attitude. Par ailleurs, il est impossible pour Biden de garantir la pérennité de l’accord.

Pour leur part, les Iraniens ont le sentiment d’avoir enduré avec succès les pressions américaines. Ils ont survécu à Trump et à ses sanctions. Ainsi, s’ils n’ont pas fait de concessions avec ce dernier, pourquoi en feraient-ils avec Biden? En outre, le régime iranien se trouve aujourd’hui contraint d’augmenter ses activités régionales, non à les restreindre. En effet, que ce soit en Irak ou au Yémen, l’Iran est en perte de vitesse. Dans ce contexte, toute concession sur ses activités régionales serait perçue comme un constat de défaite.

Le leadership iranien est décidé à prouver à son électorat qu’il ne s’incline pas devant les États-Unis et qu’il négocie en position de force. Les partisans de la ligne dure, qui ont longtemps critiqué Hassan Rohani et Djavad Zarif, les accusant de céder aux États-Unis lors de l’accord initial sur le nucléaire, ne peuvent aujourd’hui continuer à le faire. Par conséquent, Biden se retrouve au pied du mur. Il a fait campagne en promettant un accord plus solide et plus durable, mais, face à une administration iranienne plus rigide, il devra céder davantage pour obtenir un accord plus faible et moins durable, assorti d’un breakout time encore plus réduit.

 

Si le président des États-Unis montre clairement qu’il ne tolérera pas les activités déstabilisatrices de Téhéran, les Iraniens pourraient être amenés à revoir leur copie.

Dr Dania Koleilat Khatib

L’une des tactiques de négociation de Biden pourrait consister à augmenter la pression sur l’Iran. Les Iraniens ont la réputation de placer la barre toujours plus haut jusqu’à ce que quelqu’un leur tape sur les doigts. Si Biden montre clairement qu’il ne tolérera pas les activités déstabilisatrices de l’Iran et qu’il ne cédera pas au chantage, quitte à éliminer complètement l’accord, les Iraniens pourraient être amenés à revoir leur copie. Il y a deux semaines, Robert Malley, l’envoyé spécial des États-Unis, affirmait qu’un retour à l’accord initial était impossible tant que les Iraniens détenaient quatre otages américains. Certains acteurs régionaux se sont montrés critiques à son égard: ils ont déploré le fait que les États-Unis ne revendiquent que les quatre otages en faisant abstraction des quatre capitales prises en otage par le régime à travers une allusion claire à l’influence iranienne destructrice au Liban, en Syrie, en Irak et au Yémen. Cette revendication est un message adressé par Washington aux Iraniens: le retour à l’accord ne se fera pas à n’importe quel prix.

L’approche positive de Biden ne semble pas avoir porté ses fruits avec l’Iran. Une remise en question est donc nécessaire. On note d’ailleurs que Kurilla a souligné combien il était important de travailler avec les alliés dans la région. Cela pourrait sans doute amener l’administration Biden à une prise de conscience. Jusque-là, elle avait tenté de se distancier des pays de la région alliés depuis des décennies aux Américains. Le président se rend sans doute compte aujourd’hui qu’il lui faut travailler avec les pays du Golfe et qu’un accord boiteux avec une administration iranienne peu fiable ne suffira pas à garantir la stabilité dans la région. À l’échelle interne, une approche plus stricte envers l’Iran permettrait également à Biden d’affronter l’opposition des républicains, qui ne manquera pas de s’exprimer avec force au mois de novembre.

Le Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, et notamment du lobbying. Elle est titulaire d'un doctorat en sciences politiques de l'université d'Exeter et est une chercheuse affiliée à l'Institut Issam Fares pour les politiques publiques et les affaires internationales à l'Université américaine de Beyrouth.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com