Nous devons lutter contre le racisme antipalestinien qui s'est tant répandu

Fresque à l'effigie d'Iyad Hallaq et George Floyd, à Bethléem, en Cisjordanie, le 18 juin 2020 (Photo, Reuters).
Fresque à l'effigie d'Iyad Hallaq et George Floyd, à Bethléem, en Cisjordanie, le 18 juin 2020 (Photo, Reuters).
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Publié le Vendredi 13 mai 2022

Nous devons lutter contre le racisme antipalestinien qui s'est tant répandu

Nous devons lutter contre le racisme antipalestinien qui s'est tant répandu
  • Les Palestiniens ont-ils été réduits au silence? Font-ils l’objet de stéréotypes? Ont-ils été déshumanisés? La réponse à toutes ces questions est oui, sans équivoque
  • Les Palestiniens parlent du racisme dont ils souffrent, mais la véritable préoccupation est de savoir pourquoi personne d’autre ne le fait

L’un des déséquilibres les plus évidents dans le débat autour d’Israël et de la Palestine est que l’antisémitisme reçoit toute l’attention possible et imaginable, alors que le racisme anti-palestinien est tout simplement ignoré. Pire, on n’admet même pas que cela pose un problème. C’est à peine s’il existe quelques allusions à ce sujet dans les discours politiques occidentaux ou les médias. Par ailleurs, toute référence à la question plus large du racisme anti-arabe est absente.
Il faudrait remédier à ce déséquilibre. Un pas dans la bonne direction serait de s’entendre sur une description adéquate du racisme anti-palestinien. L’Arab Canadian Lawyers Association a publié un rapport révélateur sur le racisme anti-palestinien, notamment sur la manière de le décrire et de le formuler. La description établie au moyen d’un processus consultatif et d’une enquête est une tentative louable de résumer le défi, mais, comme toujours, elle pourrait être améliorée au fil du temps et des nouvelles consultations. Elle représente certes la pierre angulaire d’une discussion mondiale plus large.
Cette description considère le racisme anti-palestinien comme une forme de racisme anti-arabe. Le vrai défi est que la forme plus large de racisme est également totalement ignorée. La discrimination contre les Palestiniens doit être abordée tout autant que le racisme anti-arabe devrait l’être. Il est impossible de traiter l’un et de négliger l’autre.
Les Palestiniens ont-ils été réduits au silence? Font-ils l’objet de stéréotypes? Ont-ils été déshumanisés? La réponse à toutes ces questions est oui, sans équivoque.
Nombreux sont ceux qui, encore aujourd’hui, nient l’existence des Palestiniens en tant que peuple. L’ancien président de la Chambre des représentants des États-Unis, Newt Gingrich, a décrit les Palestiniens comme un «peuple inventé» – un commentaire qui ne lui a causé aucun tort politique. Tous les Palestiniens sont fréquemment décrits comme des êtres intrinsèquement violents et antijuifs, au lieu de personnes qui luttent contre leur oppresseur. Leur déshumanisation, particulièrement en Israël, a atteint des niveaux dangereux. Un commentateur israélien a fait allusion à «la culture de la mort et du mal qui domine la vie des Palestiniens aujourd’hui».
Un autre grand classique est de tenir les opprimés responsables des actions de l’oppresseur et les occupés, des crimes de l’occupant. Les Palestiniens sont en quelque sorte censés être responsables de la sécurité de l’occupant. De nombreux politiciens mentionnent le droit des Israéliens de vivre dans la paix et la sécurité, sans pour autant étendre ce droit aux Palestiniens, qui vivent sous occupation militaire depuis cinquante-cinq ans.
Jared Kushner, qui était chargé d’élaborer le plan de paix de Donald Trump sur la question des droits des Palestiniens, a clairement déclaré: «Je pense qu’ils devraient avoir le droit à l’autodétermination.» Mais il ajoute que les Palestiniens ne sont toujours pas capables de se gouverner eux-mêmes. Ces propos s’inscrivent dans le cadre du racisme classique qui qualifie les autochtones de peuple arriéré et inutile, généralement pour justifier le colonialisme et la supériorité de l’oppresseur vis-à-vis de l’opprimé.
Le rapport de l’Arab Canadian Lawyers Association souligne que le racisme anti-palestinien «est subi par: les Palestiniens; ceux perçus comme palestiniens ou intrinsèquement pro-palestiniens; et les non-Palestiniens qui expriment leur soutien aux droits des Palestiniens». Un député britannique a qualifié les manifestants pro-palestiniens de «primitifs». Imaginez s’il en avait fait de même pour décrire les manifestants anti-palestiniens (je préfère utiliser le terme anti-palestinien plutôt que pro-israélien lorsque la motivation principale n’est pas d’aider Israël, mais de perpétuer l’oppression et l’assujettissement des Palestiniens). Le député n’a été en aucune façon réprimandé. Les militants pro-palestiniens sont généralement dénigrés comme étant des partisans des terroristes.
De nombreux Palestiniens signalent également que cette situation les affecte dans leur vie personnelle. Ils constatent une discrimination en matière d’obtention d’emplois, de postes à l’université ou de parrainage de projets.
Il n’est pas choquant de découvrir que les gouvernements israéliens successifs se sont livrés quotidiennement au racisme anti-palestinien. Le déni de la nakba (fondation de l'État d' Israël en 1948, suivi de l' expulsion des résidents arabes de la Palestine) est la norme. Les Palestiniens de Gaza sont punis collectivement pour les crimes du Hamas en raison de la manière dont ils sont systématiquement déshumanisés dans les médias israéliens. Sans parler de l’appropriation de la culture et du patrimoine palestiniens.
La communauté mondiale des droits de l’homme s’accorde pour dire qu’Israël commet le crime d’apartheid contre les Palestiniens. Selon Amnesty International, Israël a mis en place «un système conçu pour privilégier les juifs israéliens au détriment des Palestiniens». En bref, de la Méditerranée au Jourdain, les juifs israéliens ont des droits supérieurs à ceux de n’importe quel Palestinien, qu’il soit citoyen d’Israël, qu’il vive en Cisjordanie occupée ou qu’il soit assiégé dans la bande de Gaza.
Les rapports détaillés sur les droits de l’homme et la législation auraient dû mériter une discussion politique approfondie. On a plutôt assisté à une campagne haineuse pour tirer sur le messager et calomnier les organismes de défense des droits de l’homme sans s’attarder sur le fond. Les groupes anti-palestiniens ont rejeté ces rapports, les considérant comme mensongers. Ceux qui ont évoqué le crime d’apartheid sont, en grande partie, accusés d’antisémitisme.
C’est le signe que les politiciens européens et occidentaux ne sont pas préoccupés par cette situation d’oppression systématique contre les Palestiniens. Presque universellement, ces mêmes politiciens ont, dans le cas de l’Ukraine, soutenu la politique et les positions que les Palestiniens réclament depuis des décennies, notamment la fin de l’occupation et la responsabilité pour les crimes israéliens. Les boycotts, les désinvestissements et les sanctions sont salués et encouragés pour lutter contre les crimes russes, mais criminalisés dans le cas des infractions israéliennes.

«Les Palestiniens et tous les Arabes doivent avoir la confiance nécessaire pour signaler, documenter et parler du racisme et de la discrimination dont ils souffrent.» - Chris Doyle

Si vous appliquez la description du racisme anti-palestinien proposée par l’Arab Canadian Lawyers Association à de nombreux communiqués de presse, déclarations et positions du gouvernement occidental, le constat est alarmant. Mais le plus alarmant reste indéniablement le silence – l’absence de critique et de responsabilité pour les actions israéliennes lorsqu’elles oppriment les Palestiniens.
Pourtant, comme le soutient le rapport, aucune définition ne devrait être considérée comme une menace, car les descriptions de l’antisémitisme ont trop souvent été utilisées pour étouffer le débat sur Israël et la Palestine. Un débat sain est vital. Certains commentaires sur les Palestiniens peuvent très bien être motivés par la politique et non par le racisme, ou peuvent être offensants ou irréfléchis, mais pas racistes. Ce n’est pas non plus une excuse pour que les gens fassent des commentaires antisémites.
Ce rapport doit être favorablement accueilli. La question doit être explorée, le sectarisme reconnu. Les Palestiniens et tous les Arabes doivent avoir la confiance nécessaire pour signaler, documenter et parler du racisme et de la discrimination dont ils souffrent.
Les Palestiniens parlent du racisme dont ils souffrent. La véritable préoccupation est de savoir pourquoi personne d’autre ne le fait. C’est le reflet de l’ampleur du problème.

Chris Doyle est le directeur du Council for Arab-British Understanding, situé à Londres.
Twitter: @Doylech

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com