Lorsqu’on observe la jungle de gravats, de métal tordu et d’immeubles effondrés formant le cimetière de l’existence palestinienne dans la bande de terre minuscule mais surpeuplée nommée Gaza, on ne peut s’empêcher de se demander qui souhaiterait la ressusciter.
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a annoncé la semaine dernière que, contre l’avis de l’armée israélienne, y compris son chef d’état-major, son objectif révisé est l’occupation complète de Gaza, même si Israël a toujours été l’occupant légal. Le Cabinet de sécurité a approuvé un plan visant à prendre le contrôle de Gaza‑City. L’occupation par Israël de la ville pourrait durer jusqu’à six mois, ce qui signifie que cette opération se prolongera probablement jusqu’en 2026. Cela ne peut être vu que comme un prélude à l’annexion de tout ou de larges pans du territoire.
Jusqu’en octobre 2023, quiconque en Israël plaidait en faveur de la réoccupation de Gaza aurait vu sa crédibilité voler en éclats en une seconde. Pourquoi Israël s’encombrerait-il de cet enfer surpeuplé et prendrait‑il la responsabilité de 2,3 millions de Palestiniens ?
Mais les ambitions ont changé et, pour le club des fans du « Grand Israël », les opportunités sont apparues. Pour ce gouvernement israélien d’extrême droite, le génocide qu’il est en train de perpétrer a créé l’occasion de vider Gaza soit par expulsion, soit par extermination. Le déplacement forcé a été utilisé à très grande échelle, et le plan de Netanyahou prévoit de vider Gaza‑City elle-même. Environ 800 000 Palestiniens seront sans doute déplacés de force depuis la plus grande ville de l’enclave vers la soi‑disant zone sûre d’Al‑Mawasi, plus au sud.
Tout cela met en évidence combien les opérations militaires israéliennes, qui ont repris en mars lorsque Israël a rompu le cessez‑le‑feu, ont complètement échoué. Les otages n’ont pas été libérés, et certains ont été tués. Le Hamas ne s’est pas rendu.
L’occupation par Israël de la ville pourrait durer jusqu’à six mois, ce qui signifie que cette opération se prolongera probablement jusqu’en 2026.
Chris Doyle
Le gouvernement israélien mènera cette opération en sachant qu’il n’a pas le soutien de la direction militaire, notamment du chef d’état‑major Eyal Zamir. De graves questions se posent quant à la faisabilité du plan. Le nombre de divisions nécessaires est considérable, et mobiliser encore des réserves est extrêmement sensible politiquement en Israël. De plus, une part croissante de la société israélienne est prête à protester contre cela.
Alors, quel est le plan de jeu de Netanyahou ? Il en a toujours un.
S’agit‑il uniquement d’intimidation, d’une tentative de faire plier le Hamas pour qu’il libère les otages, quitte à abandonner Gaza une bonne fois pour toutes ?
Peut‑être. Mais certains à droite en Israël chérissent le rêve de prendre Gaza et de mettre en œuvre le plan « Riviera » de Donald Trump, mais avec une différence majeure. Ce serait dirigé par Israël et des entreprises israéliennes, et non américaines.
S’agit‑il d’une décision stratégique de Netanyahou ou d’un coup pour faire pression sur le Hamas afin qu’il se rende et désarme ? Se rendre et remettre les otages, sinon Israël annexe le territoire. La réponse est peut‑être un peu des deux. Et Netanyahou mise sur les deux options pour être sûr de gagner dans tous les cas. Réoccuper Gaza tout entière et vider Gaza‑City rassurerait sa base et maintiendrait sa coalition. L’effondrement du Hamas, menant à une capitulation, lui permettrait de revendiquer une victoire historique que peu auraient prévue. Netanyahou déclarera alors avoir écrasé à la fois le Hamas et le Hezbollah, repoussé l’Iran et renversé le régime Assad. Toutes ces affirmations sont douteuses, mais vendables en toute saison électorale israélienne : la priorité absolue de Netanyahou est de gagner les élections et de rester au pouvoir.
S’agit‑il d’une décision stratégique de Netanyahou ou d’un coup pour faire pression sur le Hamas afin qu’il se rende et désarme ?
Chris Doyle
Pour y parvenir, le Premier ministre va devoir amadouer Trump, la seule personne pouvant à elle seule enrayer ces œuvres génocidaires. Le stratagème jusqu’à présent a consisté à répéter aux Américains qu’il ne restait qu’une étape avant qu’Israël ne puisse faire cesser ses opérations à Gaza. Cette même tactique a été jouée tant de fois. Par le passé, c’était pour envahir Rafah. Plus récemment, c’était Deir Al‑Balah au centre. Maintenant c’est Gaza‑City.
Netanyahou a tenté de se montrer convaincant en déclarant : « À la minute où vous effondrez le centre de gravité, la dernière véritable forteresse laissée au Hamas à Gaza, le Hamas s'effondre». Il reste toujours une cible à éliminer avant d'atteindre cette victoire insaisissable.
Qui sait si cela fonctionnera. Trump a une aversion bien connue pour les perdants, donc Netanyahou devra maintenir une aura d’invincibilité et de succès politique. Cela pourrait s’avérer plus difficile alors qu’il perd des alliés ici et là, mais il n’y a aucun signe de rupture dans les relations pour l’instant. Et même si la Maison‑Blanche venait à se désenchanter du Premier ministre israélien, cela ne signifie pas qu’elle se précipiterait à l’aide des Palestiniens ou des otages.
Cette opération est un pari à très haut risque pour Netanyahou, mais quoi qu’il en advienne, les Palestiniens à Gaza se verront refuser toute issue victorieuse. Le débat en Israël se concentre surtout sur la rapidité et la puissance du coup. Quant à la paix et à la sécurité dans la région, ce ne sont pour l’instant que des fantasmes.
Chris Doyle est directeur du Conseil pour la compréhension arabo-britannique à Londres.
X : @Doylech
NDLR: Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section leur sont propres et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com