L’incitation à la haine contre Naftali Bennett: un remake de 1995?

Le Premier ministre israélien, Naftali Bennett. (Reuters)
Le Premier ministre israélien, Naftali Bennett. (Reuters)
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Publié le Samedi 14 mai 2022

L’incitation à la haine contre Naftali Bennett: un remake de 1995?

L’incitation à la haine contre Naftali Bennett: un remake de 1995?
  • Naftali Bennett et sa famille, tout comme d’autres membres du gouvernement actuel, font l’objet d’une campagne de haine virulente dans le but de les délégitimer
  • L’héritage de M. Netanyahou est celui de la provocation, de la xénophobie, de l’alarmisme et des propos diffamatoires contre ses rivaux politiques

Il y a une ressemblance effrayante entre la vile campagne haineuse contre l’ancien Premier ministre israélien, Yitzhak Rabin, après la signature des accords d’Oslo et celle actuellement menée contre Naftali Bennett. Dans le cas de M. Rabin, la campagne a pris fin en 1995 lorsqu’un extrémiste juif l’a assassiné quelques minutes après sa participation à un rassemblement pour la paix. Désormais, Naftali Bennett et sa famille, tout comme d’autres membres du gouvernement actuel, font l’objet d’une campagne de haine virulente dans le but de les délégitimer.

Pour rendre les menaces plus explicites, des lettres contenant des balles ont été envoyées, à deux reprises, au domicile familial, laissant peu de doute quant aux intentions des expéditeurs. Combien de temps encore avant que cette campagne d’intimidation ne se transforme en violences physiques ou se traduise même par un autre assassinat?

La semaine dernière, Israël a tenu sa Journée annuelle pour la commémoration des soldats tombés au combat et des victimes du terrorisme, généralement un jour sombre où l’angoisse personnelle et collective bat son plein. Cette fois, cependant, lors des événements organisés pour rendre hommage aux morts, et partout dans les cimetières, certains partisans bien connus de Benjamin Netanyahou, et ceux «inspirés» par la campagne de haine actuelle contre le gouvernement, ont bruyamment chahuté Naftali Bennett et la ministre de l’Intérieur, Ayelet Shaked, en hurlant pour qu’ils se taisent et en leur adressant des insultes comme «traîtres», «ordures» ou encore «escrocs».

Critiquer les politiciens est une chose – politiquement et idéologiquement, j’ai très peu de sympathie pour M. Bennett ou Mme Shaked –, mais les délégitimer et les intimider est inacceptable et ceux qui tentent de le faire devraient être traduits en justice avant qu’un autre acte de violence politique fatale ne se produise.

Aux yeux de ceux qui mènent la campagne de dénigrement contre les membres de la coalition gouvernementale actuelle, leur «crime» ultime est de partager le pouvoir avec Ra’am, un parti palestinien accusé sans fondement de soutenir des organisations terroristes. C’est ainsi que fonctionne ce type de campagne hostile: remettre en question la loyauté et le patriotisme des gens et sous-entendre un comportement perfide à la demande d'acteurs étrangers. À partir de là, les bannir de la politique et les soumettre à des intimidations, voire à des violences, est facile. Les instigateurs échapperont sans doute à toute responsabilité.

L’ignoble assassin de Yitzhak Rabin purge une peine d’emprisonnement à perpétuité, mais tous ceux qui ont incité à la haine contre un homme qui s’est transformé de chef de guerre en chef de file pour la paix n’ont jamais été traduits en justice. N’oublions pas que l’un d’eux a été récompensé en devenant le Premier ministre ayant exercé le plus long mandat dans l’Histoire d'Israël.

Il existe un élément majeur qui relie les événements d’il y a près de trente ans avec le comportement d’intimidation fasciste actuel dans la politique israélienne: Benjamin Netanyahou. Il n’a peut-être pas appuyé sur la détente de l’arme qui a tué M. Rabin et, avec lui, le processus de paix ni placé des balles dans des enveloppes ces derniers jours, mais ses incitations constantes et celles de ses partisans vis-à-vis de l’actuel Premier ministre et d’autres membres de la coalition ont créé un environnement propice à l’intimidation et à la violence.

Il est inévitable que les débats et les discours politiques affectent nos émotions et les exacerbent, mais ce dont Israël a été témoin ces dernières années – et avec une mesquinerie supplémentaire depuis que M. Netanyahou a perdu le pouvoir – est une campagne calculée pour établir le récit d’une élection volée et d’une trahison de l’électorat et de l’intérêt national, en plus de qualifier le gouvernement et celui qui le dirige d’«incompétents». Ces arguments fallacieux sont des tentatives de saper un gouvernement élu et de faire pression sur certains membres de la coalition dans l’espoir qu’ils succombent et quittent le navire.

Mais tous ceux qui se livrent à ces attaques haineuses n’ont pas le même but. Pour les pro-Netanyahou par exemple, l’incitation à la haine et l’intimidation font partie de leurs tentatives désespérées de reprendre le pouvoir, en partie parce qu’ils croient que c’est leur droit divin, mais surtout pour aider l’ancien Premier ministre dans sa longue bataille dans le cadre de son procès pour fraude, corruption et abus de confiance. L’hypocrisie de Benjamin Netanyahou est atroce, car il est le premier à avoir négocié avec Ra’am pour l’inciter à rejoindre un gouvernement que lui-même dirigeait et qui a honteusement accusé M. Bennett de tromperie alors que, dans ce cas, la seule différence entre les deux hommes est que ce dernier a finalement réussi à former une telle coalition.

En principe, nous devrions probablement remercier M. Netanyahou d’avoir – quoique de manière involontaire – apporté un changement tant attendu à la politique israélienne, mais aussi d'avoir exposé sa véritable nature raciste et malhonnête. Il décrit aujourd’hui l’inclusion de Ra’am dans la coalition au pouvoir comme servant les intérêts du Hamas et des Frères musulmans. Ses collègues d’extrême droite, comme Itamar Ben-Gvir, d’Otzma Yehudit, et Bezalel Smotrich, du Parti sioniste religieux, sont plus authentiques et donc probablement plus dangereux dans la promotion de mensonges sur le gouvernement actuel et dans leurs incitations qui ne peuvent que conduire à la violence, non seulement contre les Palestiniens, mais aussi parmi les juifs.

Lorsque Benjamin Netanyahou quittera définitivement la scène politique, il laissera derrière lui l’héritage toxique du «bibisme», un type de populisme adapté aux circonstances uniques de la politique israélienne, en particulier aux relations judéo-arabes. Après tout, M. Netanyahou encourageait le populisme bien avant que quiconque ait entendu parler de Viktor Orban, en Hongrie, ou de Jair Bolsonaro, au Brésil, et à l’époque où Donald Trump était plus connu comme animateur de télévision.

«Critiquer les politiciens est une chose, mais les délégitimer et les intimider est inacceptable.» Yossi Mekelberg

Son héritage est celui de la provocation, de la xénophobie, de l’alarmisme et des propos diffamatoires sans fondement contre ses rivaux politiques, y compris des membres de son propre camp politique. C’est aussi un héritage de légitimation des éléments les plus diviseurs et les plus violents de la société au service de ses propres intérêts politiques. Cet héritage consiste à qualifier tous ceux qui ne sont pas d’accord avec lui d’«antipatriotes», tout en menaçant les institutions démocratiques du pays d’attaques particulièrement vicieuses contre l’État de droit, le système judiciaire, la société civile progressiste et les médias.

Benjamin Netanyahou a clamé de manière peu convaincante son innocence après l’assassinat de Yitzhak Rabin, mais si un sort similaire devait arriver à Naftali Bennett ou l’un de ses partenaires de la coalition, les coupables seraient ceux qui n’auraient pas tiré de leçon de leur comportement méprisable à l’époque d’Oslo, en particulier M. Netanyahou lui-même.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.

 

Twitter: @Ymekelberg

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com