Une fin de partie réaliste aux acrobaties politiques entre l’Iran et Israël semble fort peu probable

Bâtiment du réacteur iranien à la centrale nucléaire russe de Bouchehr. (AFP)
Bâtiment du réacteur iranien à la centrale nucléaire russe de Bouchehr. (AFP)
Short Url
Publié le Dimanche 12 juin 2022

Une fin de partie réaliste aux acrobaties politiques entre l’Iran et Israël semble fort peu probable

Une fin de partie réaliste aux acrobaties politiques entre l’Iran et Israël semble fort peu probable
  • Les autorités israéliennes sont catégoriques: Téhéran ne devrait jamais acquérir une capacité militaire nucléaire ou avoir une présence incontestée à proximité des frontières d’Israël
  • Il ne s’agit pas de faire preuve de laxisme envers le régime de Téhéran, mais de créer des conditions qui servent les intérêts de tous et, ce faisant, d’éviter une guerre régionale qui n’engendrerait que destruction et incommensurable souffrance

Comme c’est le cas dans la série d’espionnage israélienne, Téhéran, qui en est actuellement à sa deuxième saison, dans la vraie vie, les tensions s’intensifient entre Israël et l’Iran. On peut difficilement savoir si l’art imite la vie ou si la vie imite l’art dans cette spirale descendante vers une confrontation à part entière qu’aucune des deux parties n’est en mesure de remporter. 

Ce qui est plus inquiétant, c’est que la voie qui mène vers une fin de partie semble floue, donnant lieu à d’autres épisodes passionnants, mais dangereux. Dans ce drame de la vie réelle, il est impossible d’imaginer une fin heureuse dans un futur proche, à moins que les deux parties ne reconnaissent, le plus tôt possible, qu’elles se dirigent vers une confrontation directe gravement nuisible pour toutes les deux.

La semaine dernière, des dizaines d’avions de combat de l’armée israélienne ont simulé des exercices de frappe aérienne. Par la suite, les Forces de défense israéliennes ont expliqué que celles-ci comprenaient «le vol à longue portée, le ravitaillement en vol et la frappe de cibles éloignées», ne laissant aucun doute sur le pays et les cibles pour lesquels cet exercice a pris place.

Les exercices se sont déroulés à la lumière de la mort d’un colonel iranien de haut rang, Ali Esmaelzadeh, dans des circonstances mystérieuses, quelques jours seulement après qu’un collègue officier, le colonel Sayad Khodayee, a été tué dans une fusillade au volant à Téhéran. En outre, les médias iraniens ont rapporté le week-end dernier que deux autres scientifiques de haut niveau, dont l’un était responsable de plusieurs projets aéronautiques majeurs et un autre qui travaillait à l’installation nucléaire de Natanz, sont décédés dans des circonstances obscures.

À ce stade, l’hypothèse de travail est qu’Israël est responsable de ces morts et, compte tenu de ses antécédents d’assassinats présumés en Iran, son déni d’implication dans les meurtres est accueilli avec scepticisme. Mais on ne sait toujours pas s’il existe une grande stratégie à long terme derrière ces assassinats ou si l’État hébreu veut dire à tout le monde qu’il planifie une opération militaire en Iran. 

La vision qu’Israël a de l’Iran – comme menace existentielle et source majeure d’instabilité dans la région – est bien documentée. Les autorités israéliennes sont catégoriques: Téhéran ne devrait jamais acquérir une capacité militaire nucléaire ou avoir une présence incontestée à proximité des frontières d’Israël, que ce soit de manière directe ou par l’intermédiaire d'un mandataire.

Pas plus tard que la semaine dernière, lors d’une réunion avec Rafael Grossi, chef de l’organisme de surveillance nucléaire de l’ONU – l’Agence internationale de l’énergie atomique –, le Premier ministre Naftali Bennett a clairement indiqué que Téhéran dissimulait ses véritables intentions de développer une capacité militaire nucléaire derrière «de fausses informations et des mensonges».

Contrecarrer les ambitions nucléaires de Téhéran nécessite une série de mesures. La dissuasion et les sanctions n’en représentent qu’un seul aspect.

- Yossi Mekelberg

M. Grossi a lui-même renforcé ce point de vue dans sa déclaration au Conseil des gouverneurs de l’AIEA quelques jours plus tard. Il a averti que depuis février de l’année dernière, la vérification par l’agence du respect du plan d’action global conjoint, plus communément appelé accord de Vienne sur le nucléaire iranien, par l’Iran, a été entravé par la décision de Téhéran de ne pas tenir ses engagements en lien avec le nucléaire dans le cadre de l’accord de 2015.

Il a également mis une nouvelle fois en garde contre le fait que l’Iran soit sur le point d’obtenir une quantité de matière nucléaire suffisante pour fabriquer une bombe. Le manque de preuves tangibles que Téhéran a réellement l’intention de se doter d’une capacité militaire nucléaire ne suffit pas pour qu’Israël et le reste de la région dorment à tête reposée. Ils continueront de trouver des moyens d’empêcher l’Iran d’acquérir une telle capacité tant qu’il n’y a pas de mécanisme de vérification fiable.

Cependant, aucune menace antérieure d’intervention militaire, de sanction ou d’opération clandestine n’a empêché l’Iran de développer son programme nucléaire ou de devenir une force déstabilisatrice dans la région, principalement parce que de telles actions manquaient d’une forte composante diplomatique et d’un moyen pour l’Iran de sauver la face.

Le message de M. Bennett à M. Grossi la semaine dernière est qu’Israël préfère la diplomatie, mais il réaffirme le droit de son pays à prendre les mesures qu’il juge nécessaires pour se défendre. Pour les besoins de la discussion, nous ferons fi de la question de la légalité des exécutions extrajudiciaires, sachant qu’elles sont illégales en vertu du droit international. Tout ce qu’elles peuvent faire, c’est ralentir la progression de l’Iran vers l’acquisition d’une bombe nucléaire et non y mettre fin.

Les assassinats de scientifiques iraniens de haut niveau et de membres du Corps des gardiens de la révolution islamique ont instauré une espèce de dissuasion par la peur et ne manqueront pas de déstabiliser les échelons supérieurs de Téhéran, comme ce fut le cas lorsque les Israéliens ont volé l’intégralité des archives nucléaires iraniennes. Le message que les autorités israéliennes cherchaient à véhiculer semble avoir été bien compris: «Nous savons où vous habitez et pouvons vous trouver quand nous le voulons.»

Néanmoins, dans le grand ordre de l’univers, de telles opérations audacieuses se sont avérées être plus une nuisance douloureuse qu’un sérieux préjudice aux ambitions nucléaires de l’Iran. Pire, elles incitent Téhéran à riposter, par des actions comme la planification de l’assassinat d’Israéliens à l’étranger ou sa récente attaque contre les intérêts israéliens en Irak.

L’accord nucléaire de 2015, qui semble pour le moment être tombé à l’eau, n’était pas une panacée qui mettrait un terme aux ambitions nucléaires et régionales de l’Iran, mais il a au moins ralenti la progression du pays vers l’acquisition d’une bombe nucléaire. En abandonnant l’accord en 2018, les États-Unis, sous la présidence de Donald Trump, ont libéré le monstre nucléaire iranien et c’est désormais Téhéran qui bloque les négociations nucléaires tandis que Washington désire revenir à l’accord.

Il y a une différence entre l’étalage de la force militaire au moyen d’exercices très médiatisés et la décision de les traduire en opération militaire. Pendant près de vingt ans, les Premiers ministres israéliens consécutifs ont rejeté cette option, pas parce qu’ils ne voulaient pas voir l’infrastructure nucléaire iranienne détruite, ou du moins gravement endommagée, mais en raison des risques et des coûts divers liés à l’exécution d'une telle opération, même si elle réussit.

L’Iran, malgré des années de sanctions et d’attaques clandestines, a réussi à faire des progrès constants pour devenir un «État à seuil nucléaire». Contrecarrer les ambitions nucléaires de Téhéran nécessite une série de mesures. La dissuasion et les sanctions n’en représentent qu’un seul aspect. Cependant, de telles mesures doivent être accompagnées d’initiatives diplomatiques globales qui permettraient à l’Iran de s’engager de manière constructive auprès d’autres pays de la région et du reste de la communauté internationale.

Le développement économique de l’Iran ne devrait pas être remis en cause mais, en retour, le pays doit renoncer aux aspects militaires de son programme nucléaire, s’abstenir de toute intervention militaire dans d’autres pays et mettre fin à son soutien aux groupes militants.

Il ne s’agit pas de faire preuve de laxisme envers le régime de Téhéran, mais de créer des conditions qui servent les intérêts de tous et, ce faisant, d’éviter une guerre régionale qui n’engendrerait que destruction et incommensurable souffrance.

 

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.

Twitter: @Ymekelberg

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com