L’unité de l’Union européenne en question

(Kenzo TRIBOUILLARD/AFP)
(Kenzo TRIBOUILLARD/AFP)
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Publié le Lundi 20 juillet 2020

L’unité de l’Union européenne en question

L’unité de l’Union européenne en question
  • Les dirigeants européens sont englués dans des discussions interminables pour décider d’un plan de relance post Covid-19
  • Il est clair que l’Europe est à la croisée des chemins

Europe à deux vitesses, Europe à géométrie variable: les expressions ne manquaient déjà pas, avant même la crise de la Covid-19, pour qualifier le mode de fonctionnement de l’Union européenne. Alors que les dirigeants européens sont englués depuis plusieurs jours dans des discussions interminables pour décider d’un plan de relance post Covid-19, c’est l’avenir même de l’Europe qui est remis en question.

Avec un recul attendu de 10 % du Produit intérieur brut (PIB), la question de la dette et de sa mutualisation se trouve au cœur des discussions. Celle-ci qui augmente de façon exponentielle ces derniers mois : pour certains pays, le risque est que le ratio « dette sur PIB » atteigne des niveaux très élevés, plongeant les économies dans une situation insoutenable.

En 2019, ce ratio se situait déjà à 170 % du PIB pour la Grèce; à un taux supérieur à 100% pour le Portugal et l’Italie. La France était à 98 %, alors que l’Allemagne atteignait quant à elle à 60 %. Les bons élèves étaient, entre autres, le Danemark et la Suède, avec un taux aux alentours de 30 % ou moins. La moyenne européenne naviguait environ à hauteur de 80 % en 2019 mais, à la suite de la pandémie, ce taux va s’envoler et atteindre les 100 %. Une explosion similaire est attendue pour les déficits fiscaux.

Cette double dégradation appelle à une transformation et conduit donc à s’interroger sur une mutualisation de la dette et une plus grande intégration des économies européennes et des mécanismes de décision. Les pays européens dont les taux « dette sur PIB » sont les plus élevés se déclarent favorables à une mutualisation, alors que les « bons élèves » s’y opposent.

À un niveau mondial, nous constatons que les politiques menées pour faire face au Covid-19 ont généré une explosion des dettes gouvernementales. Les États-Unis ont vu la leur augmenter de 3,5 trillions de dollars en quelques mois et leur dette publique atteindra les 135 % en septembre 2020. Les États-Unis et l’Europe ont cependant un avantage : celui de l’indépendance monétaire.

Avant de prendre des décisions, les dirigeants ont plusieurs points à évaluer: s’assurer tout d’abord de  la volonté de tous les Etats-membres de soutenir la croissance économique de tous les pays, afin d’éviter de passer d’une Europe à deux vitesses à une Europe en miette avec l’effondrement de certains pays. Mais en même temps, exercer un plus grand contrôle afin d’éviter le gaspillage des ressources de certains pays aux frais de l’ensemble des pays de l’Union.

Deux exemples permettent de mieux comprendre les tensions. L’Allemagne est considérée comme un « bon élève », mais avait hérité, lors du passage à l’euro, de taux d’emprunt privilégiés. Ce pays avait en outre vu le lancement de l’euro favoriser ses exportations, bénéficiant ainsi de coûts de production plus réduits. Certains analystes ont analysé cet avantage comme un acquis pour l’Allemagne aux dépens d’autres pays.

De son côté, la Grèce a vu sa dette s’accroître sans qu’un véritable contrôle n’ait été effectué sur son accumulation. Elle souffre toujours d’un surendettement qui remonte à la crise financière de 2008. Alors que le pays voyait sa croissance repartir, la crise de la Covid-19 a de nouveau plongé le pays dans la récession. Il est aussi intéressant de noter que le Danemark et la Suède ne sont pas intégrés à la zone euro, tout comme la Grande Bretagne avant le Brexit.

Il est clair que l’Europe est à la croisée des chemins. Après le Brexit, une question essentielle se pose: l’Europe économique peut-elle continuer son intégration et véritablement devenir une force unie ? La réponse à cette question sera en partie déterminée par le plan de relance post-Covid 19.

Il est facile de comprendre le point de vue des « bons élèves » de l’Europe, qui ont pu respecter leur taux d’endettement et qui risquent, pour soutenir les autres pays qui ont moins bien géré leur politique fiscale, d’accroître leurs dettes. Cependant, un emprunt contracté par la Commission elle-même peut se faire à un taux d’intérêt faible, et donc à un coût peu couteux. Il s’agit peut-être là d’une opportunité unique.

Cette réponse européenne va déterminer si l’Europe peut exister ou pas. Il faut à mon sens accepter une mutualisation des dettes, mais à la condition de donner plus de contrôle aux « bons élèves » tout en prenant en compte la contribution de chaque pays. Le contrôle du respect des ratios économiques doit être pris en compte afin d’obtenir en quelque sorte la garantie que les fonds seront employés de façon efficace. Une autorité fiscale et économique de l’Europe doit donc s’affirmer.

Dans la prise de décision, il est important de prendre en compte les opinions des populations de l’UE. Depuis la crise financière de 2008 et le plan de sauvetage de la Grèce, les opinions nationales se sont polarisées. Les Grecs, par exemple, ont ressenti l’intervention allemande et européenne comme une agression, alors que les Allemands ont considéré que la Grèce n’avait pas contrôlé leurs dépenses. Le sentiment à l’égard de l’Union européenne ne peut être négatif ; sinon, la construction d’une Europe unifiée restera fragile. Il est donc temps de commencer un nouveau chapitre.

La chancelière allemande a déclaré au sujet du plan de relance Covid-19 de 750 milliards d’euros : « Je dois dire que les différences [entre les positions des dirigeants européens, NDLR] sont encore très, très grandes. [....] Je m'attends à de très difficiles négociations. Un plan soutenu par Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne (BCE), prévoit que 500 milliards de subventions ne soient pas remboursés par les États bénéficiaires, ce qui pourrait se traduire par une acceptation plus facile du concept de mutualisation.

Ce plan semble mettre en évidence la nécessité que la BCE joue un rôle plus important qui pourrait à l’avenir être assimilé à celui de la Réserve fédérale des États-Unis (FED). Les mesures nécessaires peuvent engendrer des conflits, mais il semble nécessaire pour l’Europe de passer à la vitesse supérieure afin d’éviter d’être dominée par les autres grandes puissances économiques et politiques du monde. Il est également temps de compléter l’intégration monétaire de tous les pays et de trancher une fois pour la question du retrait de certains Etats-membres de traités européens. L’Europe ne peut exister à deux vitesses. Cette proposition traduit une faiblesse, alors que l’Europe se doit d’être forte.

Cela, bien évidemment, implique une renonciation d’une partie de la souveraineté des Etats-membres, si celle-ci s’entend comme un contrôle complet sur la politique économique. Cependant, depuis la création de l’euro et la conclusion d’accords commerciaux européens, cette étape semble déjà avoir été franchie.

Pour penser la souveraineté européenne, il est désormais nécessaire d’adopter une nouvelle vision. Cette transition vers une intégration économique peut également être le prélude à une politique étrangère commune. Face à une compétition croissante de la Chine, de la Russie et des États-Unis, l’Europe doit parler d’une seule voix, au niveau économique et politique. Comme l’a dit Winston Churchill lorsque l’Organisation des nations unies (ONU) a été fondée après la Seconde Guerre mondiale : « Il ne faut jamais gaspiller une bonne crise. » Le temps d’une Europe unique est venu.

Khaled Abou Zahr est PDG d'Eurabia, une société de médias et de technologie. Il est également le rédacteur d'Al-Watan Al-Arabi. Twitter: @KhaledAbouZahr

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