La Russie entend resserrer les rangs avec ses partenaires d'Astana

Dans la foulée du voyage du président américain Joe Biden au Moyen-Orient, son homologue russe Vladimir Poutine prévoit de se rendre dans la région la semaine prochaine (Photo, AFP).
Dans la foulée du voyage du président américain Joe Biden au Moyen-Orient, son homologue russe Vladimir Poutine prévoit de se rendre dans la région la semaine prochaine (Photo, AFP).
Short Url
Publié le Lundi 18 juillet 2022

La Russie entend resserrer les rangs avec ses partenaires d'Astana

La Russie entend resserrer les rangs avec ses partenaires d'Astana
  • La Turquie, la Russie et l'Iran collaborent étroitement sur des questions liées au sommet de l'OTAN, à la guerre en Ukraine et à l'accord sur le nucléaire iranien
  • Téhéran s'inquiète de constater qu'Ankara a amélioré ses relations avec les rivaux de l'Iran, en particulier Israël et les États du Golfe

Dans la foulée du voyage du président américain Joe Biden au Moyen-Orient, son homologue russe Vladimir Poutine prévoit de se rendre dans la région la semaine prochaine.

Il s'agit du premier déplacement à l'étranger de Poutine, à l'exception des visites dans les républiques de l'ancienne Union soviétique, depuis qu'il a ordonné l'invasion de l'Ukraine par la Russie le 24 février dernier. L'annonce par le Kremlin de sa visite à Téhéran, où il rencontrera les dirigeants de l'Iran et de la Turquie, est intervenue après que le conseiller américain à la sécurité nationale, Jake Sullivan, a accusé l'Iran de fournir des centaines de drones pour aider la Russie dans sa guerre en Ukraine.

Poutine tiendra une réunion trilatérale avec le président iranien Ebrahim Raisi et le président turc Recep Tayyip Erdogan dans le cadre du processus de paix d'Astana visant à mettre fin à la guerre en Syrie. Le Kremlin a indiqué que Poutine a également prévu de rencontrer Erdogan séparément pendant son séjour à Téhéran.

Resserrer les rangs avec Téhéran et Ankara sera la principale priorité de Poutine lors de sa visite dans la capitale iranienne. Il est important de comprendre comment la Turquie, la Russie et l'Iran collaborent étroitement, et ce pour de multiples raisons liées au sommet de l'OTAN à Madrid le mois dernier, à la guerre en Ukraine et à l'accord sur le nucléaire iranien.

La Turquie coopère, séparément ou ensemble, avec la Russie et l'Iran dans certains domaines. Le premier est le processus de paix d'Astana, initié par les trois pays et axé sur le système constitutionnel de la Syrie, la transition politique, la sécurité et la réinstallation.

La première réunion d'Astana s'est tenue en Turquie en janvier 2017 pour faciliter les négociations de paix réalisées sous l'égide des Nations unies à Genève. Après la 16e réunion du processus d'Astana, qui s'est tenue dans la capitale du Kazakhstan, Nur-Sultan, en juillet 2021, la troïka d'Astana s'est engagée à maintenir sa coopération en Syrie pour contribuer à rapprocher les camps belligérants et à trouver une solution permanente à la guerre qui dure depuis une décennie.

 

La rencontre de Poutine avec Raisi et Erdogan vise à contrer la tentative de Biden de raviver les relations tendues des États-Unis avec les dirigeants régionaux.

Sinem Cengiz

 

Toutefois, la vision d'Ankara sur le conflit diffère de celle des deux autres. Alors que la Russie et l'Iran sont les principaux soutiens militaires et politiques de Bachar Assad, la Turquie a, pour sa part, fourni une assistance militaire à l'opposition luttant contre les forces d'Assad et a mené plusieurs opérations militaires en Syrie contre la volonté de ses deux partenaires. L'Iran a récemment critiqué la Turquie pour avoir menacé de lancer une autre opération dans le nord du pays.

À une échelle régionale plus large, Téhéran s'inquiète également de constater qu'Ankara a amélioré ses relations avec les rivaux de l'Iran, en particulier Israël et les États du Golfe. Le double rapprochement de la Turquie, couplé aux préoccupations liées à ses opérations en Syrie, a donné l'impression à Téhéran qu'Ankara pourrait faire partie d'un front régional visant à affronter l'Iran.

Cependant, la Turquie semble continuer d'avancer avec prudence dans cet équilibre régional et tenter de ne pas mettre trop de pression sur sa relation de «meilleur ennemi» avec Téhéran. La dernière visite du plus haut diplomate iranien en Turquie a permis de tâter le terrain à Ankara alors que les équilibres dans la région changent à grande vitesse.

Le deuxième domaine dans lequel la Turquie est impliquée avec la Russie concerne le conflit en Ukraine, dans lequel Ankara entend jouer le rôle de médiateur. Erdogan tente d'utiliser ses bonnes relations avec Poutine et le dirigeant ukrainien Volodymyr Zelensky pour placer Ankara au cœur des négociations de paix.

Kiev a accusé Moscou de voler des céréales dans les territoires saisis par les forces russes. Le Kremlin, qui décrit ses activités en Ukraine comme une «opération militaire spéciale», a démenti ces allégations. Mercredi, la Turquie a accueilli à Istanbul une réunion de délégations militaires russes, ukrainiennes et turques, ainsi que de responsables des Nations unies, afin de discuter de la reprise des exportations de céréales ukrainiennes depuis le grand port d'Odessa sur la mer Noire, alors que la crise alimentaire mondiale s'aggrave. La Turquie a joué un rôle clé dans les pourparlers et a collaboré avec les Nations unies pour négocier un accord, après que le conflit a provoqué une flambée des prix des céréales, de l'huile de cuisson, du carburant et des engrais dans le monde.

L'Ukraine et la Russie sont les principaux fournisseurs mondiaux de blé, la Russie est un grand exportateur d'engrais et l'Ukraine est un important producteur de maïs et d'huile de tournesol. Ankara a envoyé des délégations de défense à Moscou et à Kiev pour tenter de débloquer la situation concernant les céréales ukrainiennes.

Ankara joue également un rôle dans les relations de Téhéran avec les pays occidentaux et du Golfe. La semaine dernière, le ministre des Affaires étrangères qatari Mohammed ben Abdelrahman Al-Thani s'est rendu en Iran pour rencontrer son homologue, Hossein Amir-Abdollahian. Le Qatar, allié clé de la Turquie, tente d'accueillir des pourparlers indirects, sous la médiation de l'Union européenne, entre les États-Unis et l'Iran dans le cadre des efforts visant à relancer l'accord nucléaire de 2015, plus officiellement connu sous le nom de Plan d'action global conjoint. Dans ce contexte, le rapprochement entre le Qatar et la Turquie et l'Iran est à la fois symbolique et important.

La rencontre de Poutine avec Raisi et Erdogan, quant à elle, vise à contrer la tentative de Biden de raviver les relations tendues des États-Unis avec les dirigeants régionaux. Pour Ankara, le voyage du président américain au Moyen-Orient revêt un autre sens.

La Turquie pratique actuellement une diplomatie double. Elle continue de coopérer avec Téhéran sur certaines questions tout en s'efforçant de rétablir ses relations avec ses rivaux. En ce qui concerne la Russie, la Turquie maintient les canaux ouverts avec Moscou dans le cadre de la guerre russo-ukrainienne. Mais dans le même temps, Erdogan a rencontré Biden lors du sommet de Madrid et la Turquie a également signé un mémorandum trilatéral avec la Finlande et la Suède au cours du sommet afin de soutenir l'adhésion de ces deux pays à l'OTAN. La Turquie a ainsi pu éviter de perdre davantage de terrain dans ses relations avec l'Occident.

 

- Sinem Cengiz est une analyste politique turque spécialisée dans les relations de la Turquie avec le Moyen-Orient. Twitter : @SinemCngz

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com