Comment la paix a été enterrée avec Yitzhak Rabin

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Publié le Dimanche 01 novembre 2020

Comment la paix a été enterrée avec Yitzhak Rabin

Comment la paix a été enterrée avec Yitzhak Rabin

Certains mots restent gravés dans la mémoire collective des gens, et même les générations futures auront du mal à les oublier. Telle a été l'annonce, il y a 25 ans, de la mort du Premier ministre israélien Yitzhak Rabin, assassiné par un extrémiste religieux juif, le 4 novembre 1995.

Debout à l'extérieur de l'hôpital où Rabin avait été admis après avoir été abattu par deux coups de feu, l'assistant du Premier ministre, Eitan Haber,  a déclaré: « Le gouvernement d'Israël annonce dans la consternation, dans une grande tristesse et un profond chagrin, la mort du Premier ministre et ministre de la Défense Yitzhak Rabin,  assassiné par un criminel, ce soir à Tel Aviv. Haber, décédé le mois dernier, a subi le traumatisme de cette tragédie meurtrière jusqu'à son dernier jour. La société israélienne a été profondément secouée. Les coups de feu ont été tirés sur Rabin, mais le véritable objectif était de tuer le processus de paix d'Oslo avec les Palestiniens, dans lequel Rabin dirigeait l'équipe israélienne de négociateurs. Ce processus a subi une mort lente depuis lors.

C'est une terrible ironie que le dernier acte de Rabin en tant que Premier ministre avait été de participer à un rassemblement pour la paix où, avec des centaines de milliers d'Israéliens, il a chanté le « chant de la paix »,  écrit à la fin des années 1960 pour exprimer un désir ardent de  paix à une époque où elle n’était nulle part en vue.

Cet homme timide,  loin d'être à l'aise, presque maladroit lors des rassemblements de masse, avait les paroles de la chanson cachées dans la poche de son costume près de son cœur quand il se dirigea vers sa voiture après le regroupement –  des paroles qui devaient bientôt être trempées dans son propre sang –  laissant la société israélienne et la paix avec les Palestiniens saigner avec lui.

L'assassin de Rabin dépérit toujours en prison, sa vraie place, et espérons-le pour le reste de sa vie, mais ceux des deux côtés du conflit israélo-palestinien qui voulaient mettre derrière eux des années de division et ouvrir un nouveau chapitre de paix n'ont pas réussi à continuer sur la voie que Rabin a tracée avec son sang. S'il y a un seul acte dont on peut dire qu'il a conduit à l'effondrement du processus de paix d'Oslo, c'est bien l'assassinat de Rabin. Certes, il y a eu suffisamment d'opportunités depuis lors pour le ressusciter. Mais sans les qualités de leadership subtiles et l'approche pragmatique de ce héros de la guerre de 1967, les chances auraient été élevées de ne pas parvenir à un accord basé sur une solution à deux États; en particulier, lorsqu'un tel accord nécessite des compromis israéliens substantiels avec les Palestiniens, acceptant que Jérusalem soit également la capitale de la Palestine, restituant la majeure partie de la Cisjordanie occupée tout en supprimant les colonies juives, et  élaborant une solution juste et équitable au problème des réfugiés palestiniens.

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C'est une terrible ironie que le dernier acte de Rabin en tant que Premier ministre était de participer à un rassemblement pour la paix où, avec des centaines de milliers d'Israéliens, il a chanté le « chant de la paix…»

Yossi Mekelberg

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Une masse critique d'Israéliens a fait confiance à Rabin pour mener les négociations de paix avec prudence, mais avec une grande détermination et la conviction que la paix et les concessions qui devaient l'accompagner étaient dans le meilleur intérêt à long terme d’un État juif. L’état d'esprit du pays était généralement favorable, mais il restait des craintes, des préjugés et une méfiance à l’égard des Palestiniens. En Rabin, cependant, les Israéliens ont vu une personne en qui ils pouvaient avoir confiance pour avancer au bon rythme sans compromettre les intérêts vitaux de leur pays.

La capacité de Rabin de porter le processus de paix sur ses épaules et sa volonté de restituer les terres occupées et de faciliter l’établissement d’un État palestinien indépendant ont fait naître la peur parmi ceux  opposés à l’Accord d’Oslo. Ils ont réalisé que si quelqu'un pouvait gagner un soutien populaire critique pour une telle tentative historique de coexistence, c'était Rabin. Par conséquent, déjà irrités par lui, ce ressentiment s'est transformé en haine pathologique à part entière. Pour la droite fanatique, et en particulier le mouvement des colons avec ses éléments religieux-messianiques, le pragmatisme de Rabin était devenu la principale menace à leur objectif à long terme d'annexer toute la Cisjordanie, et à cette époque aussi Gaza, et rendre la vie des Palestiniens insupportable dans la mesure où ils abandonneraient leurs aspirations nationales ou seraient même contraints de partir.

À ce moment-là de l'histoire, c'était Rabin plus que tout autre politicien israélien qui était sur le point d'écraser ce plan, et par conséquent une campagne d'incitations vicieuses contre lui s'en est suivie. Un fanatique religieux juif a appuyé sur la détente, mais il n'était pas seul dans sa culpabilité; il a opéré dans une atmosphère créée par des rabbins, des politiciens d'extrême- droite laïques et des opportunistes sur  le modèle de Benjamin Netanyahu, qui a instauré, par le biais du pouvoir religieux et de la peur, un environnement fertile pour un tel acte de violence extrême. À Jérusalem, des manifestations contre les accords d'Oslo, au cours desquelles des affiches représentant Rabin en tant qu'officier SS nazi et des pancartes « Mort à Rabin » ont été distribuées, ont été menées par Netanyahu et d'autres politiciens de l’extrême droite qui ont fermé les yeux sur ces ignobles appels.

Le terroriste qui a assassiné Rabin a déclaré lors de son audience: « Selon la justice juive, à la minute où un juif cède son peuple et sa terre à l'ennemi, il doit être tué ». Ses mentors religieux, qui n'avaient jamais nié cette incitation méprisable basée sur une interprétation talmudique fragile, avaient endoctriné l'auteur et ses complices.

Immédiatement après l’assassinat, une grande partie de la société israélienne est devenue engourdie d’horreur, tandis que ceux qui avaient incité au meurtre de Rabin craignaient des représailles et atténuaient leurs propos ignobles et incendiaires contre les accords d’Oslo                          et ceux qui ont participé à ces négociations. Mais peu de temps après, ils se sont lancés dans une campagne de détournement de leur responsabilité dans le meurtre de Rabin et ont relancé leurs incitations contre le processus de paix et contre ceux qui travaillaient sans relâche pour la paix et la réconciliation avec les Palestiniens. Politiquement, le principal bénéficiaire de l'assassinat n'était autre que Netanyahu; il a remporté l'élection suivante au poste de premier ministre, se présentant contre le partenaire de paix de Rabin, Shimon Peres, qui avait répété à ses côtés le « chant de la paix » quelques minutes avant que le Premier ministre israélien ne soit mortellement blessé, enterrant avec lui les perspectives de paix.

 

  • Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales à l’université Regent de Londres, où il dirige le programme des relations internationales et des sciences sociales. Il est également membre associé du programme MENA à Chatham House. Il contribue régulièrement aux médias internationaux écrits et électroniques. Twitter: @YMekelberg

 

Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com