Le Liban, endroit idéal pour l'engagement saoudien avec l'Iran

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Publié le Dimanche 28 août 2022

Le Liban, endroit idéal pour l'engagement saoudien avec l'Iran

Le Liban, endroit idéal pour l'engagement saoudien avec l'Iran
  • Le vide présidentiel au Liban accélérerait un effondrement social et économique que l'Iran et le Hezbollah ne souhaitent absolument pas
  • Le Liban a besoin d'un gouvernement fonctionnel et cohérent pour introduire des réformes globales et d'un soutien international et arabe pour relancer son économie

On entend parler d'un éventuel rapprochement entre l'Arabie saoudite et l'Iran dans le cadre de la relance de l'accord nucléaire, mais le mot «rapprochement» semble excessif. Les États du Golfe en général et l'Arabie saoudite tout particulièrement ont en ce moment des différends insurmontables avec l'Iran. Mais, alors qu'Israël a entrepris de tuer les scientifiques nucléaires iraniens, l'Arabie saoudite a décidé d’apaiser les tensions.

Bien qu'elle ne soit pas d'accord avec le Plan d'action global conjoint parce qu'il n'aborde pas la question des missiles balistiques iraniens et des mandataires régionaux, l'Arabie saoudite n'est pas un État agressif et se soucie de sa transformation économique et sociale, d'où sa décision de coopérer plutôt que d'aggraver la situation. Si la tendance générale est de s'entendre sur le désaccord, l'Arabie saoudite et l'Iran peuvent aussi œuvrer activement à la promotion de la stabilité dans la région. Et, le pays idéal pour cet engagement serait le Liban.

Le Hezbollah représente le pouvoir principal au Liban et détient la clé de toute solution. Bien entendu, l'Arabie saoudite ne peut accepter un Hezbollah armé, porte-drapeau des mandataires iraniens, imité par d'autres groupes pro-iraniens. N'oublions pas non plus que le Hezbollah forme des groupes qui menacent directement l'Arabie saoudite, comme les Houthis au Yémen. Néanmoins, il est possible de négocier avec Téhéran une certaine forme de compromis sur le Liban.

Ce pays se dirige vers des élections présidentielles qui, selon la loi, doivent avoir lieu avant la fin du mois d'octobre. Cependant, les experts s'attendent à un vide présidentiel qui viendra s'ajouter à l'impasse actuelle. Le Hezbollah a déjà réussi ce tour de force auparavant: il a imposé un blocage de 2014 à 2016 pour garantir l'élection de son propre candidat, Michel Aoun. Cette fois-ci, les deux camps utiliseront leur droit de veto pour empêcher le candidat adverse de prétendre à la présidence. Entre-temps, le Liban n'a qu'un gouvernement intérimaire, parce que l'élite politique n'arrive pas à s'entendre sur la formation du cabinet ministeriel. Dans deux mois, il se retrouvera donc sans Premier ministre, ni cabinet, ni président.

Ainsi, ce vide accélérerait un effondrement social et économique que l'Iran et le Hezbollah ne souhaitent absolument pas. Même si l'accord nucléaire est relancé, avec la levée des sanctions et le déblocage des fonds, l'Iran ne sera pas en mesure de nourrir deux millions de chiites au Liban. Les partisans du Hezbollah souffrent, pour ainsi dire, comme tout le monde. Le Hezbollah et l'Iran savent bien que le Liban a besoin d'une économie productive. Ils sont également conscients que le Liban sera isolé de la communauté arabe et internationale si jamais leur candidat accède à la présidence et si le gouvernement devient stigmatisé comme étant dirigé par le Hezbollah.

Le Hezbollah est donc confronté à un dilemme. Il ne peut pas se permettre d'isoler le Liban, et si le pays s'effondre, il s'effondrera sur lui. D'un autre côté, il ne peut pas abandonner le contrôle du gouvernement pour des raisons de sécurité.

Pour comprendre l'importance que revêtent les armes pour le Hezbollah, il est nécessaire de comprendre la valeur des mandataires pour le régime de Téhéran.

Dr. Dania Koleilat Khatib

Avant l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri en février 2005, le Hezbollah ne faisait pas partie du gouvernement et son rôle se limitait à la «résistance nationale». Il n'avait aucun besoin de participer au gouvernement parce qu'il était protégé par la présence du régime d'Assad au Liban ; il savait qu'aucun gouvernement libanais élu n'essaierait de le désarmer puisque le régime syrien ne le permettrait pas.

Cette protection a été perdue lorsque les troupes syriennes se sont retirées du Liban deux mois après l'assassinat de Hariri, et le Hezbollah a dû prendre le contrôle du gouvernement pour s'assurer qu'il ne serait pas contraint de déposer les armes. Quand le camp pro-Hariri et anti-Hezbollah a obtenu la majorité des votes aux élections parlementaires de 2005 et a formé un gouvernement, le groupe a répondu par des sit-in et des manifestations à Beyrouth. La pression a culminé lorsque le Hezbollah a pris la capitale par la force en mai 2008, ce qui a conduit à l'accord de Doha et à la création d'un gouvernement d'unité nationale dans lequel le Hezbollah détenait un «tiers bloquant» des dix postes ministériels, ce qui lui conférait un droit de veto effectif sur les décisions.

Pour comprendre l'importance que revêtent les armes pour le Hezbollah, il est nécessaire de comprendre la valeur des mandataires pour le régime de Téhéran. L'Iran est soumis à des sanctions depuis quatre décennies et est privé d'un arsenal moderne depuis l'époque du Shah, alors que ses ennemis sont armés jusqu'aux dents avec les dernières technologies américaines. Le pays a donc commencé à chercher des moyens créatifs de dissuasion, et c'est là qu'interviennent les mandataires, qui peuvent rendre toute attaque contre l'Iran très coûteuse. Par exemple, si Israël décide un jour d'attaquer l'Iran, il sait que le Hezbollah est tout près et qu'il peut faire des ravages. C'est pourquoi l'Iran considère la protection de l'arsenal du Hezbollah comme une question de sécurité nationale.

Toutefois, le dispositif par lequel le Hezbollah partage le pouvoir au Liban avec d'autres partis afin de protéger ses armes ne fonctionne plus. Un gouvernement de partage du pouvoir conduira à encore plus de paralysie et d'inefficacité, et un gouvernement contrôlé par le Hezbollah conduira à l'isolement. Le Liban a besoin, d'une part, d'un gouvernement fonctionnel et cohérent pour introduire des réformes globales et, d'autre part, d'un soutien international et arabe pour relancer son économie.

Un accord en ce sens pourrait supposer la garantie du Hezbollah sur ses armes, soit l'assurance que le nouveau gouvernement ne tentera pas de le désarmer, en échange de l'autorisation de l'élection d'un président neutre et de la formation d'un gouvernement de technocrates axé sur les réformes. Un tel arrangement permettrait au Liban d'éviter l'effondrement et de rétablir son économie, tout en donnant à l'Iran et au Hezbollah les garanties nécessaires.

En un mot, le Liban est un terrain idéal pour tester la coopération potentielle entre l'Arabie saoudite et l'Iran, qui, espérons-le, s'élargira pour inclure des accords dans toute la région.

Dania Koleilat Khatib est spécialiste des relations américano-arabes et plus particulièrement du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise axée sur la voie II. 

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français. 

Ce texte est la traduction d'un article paru sur arabnews.com