Le régime iranien craint une répétition des manifestations de 2019

Un manifestant à Téhéran montre une photo de l'une des victimes de l'accident d'avion ukrainien. (Photo, Getty Images)
Un manifestant à Téhéran montre une photo de l'une des victimes de l'accident d'avion ukrainien. (Photo, Getty Images)
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Publié le Samedi 07 novembre 2020

Le régime iranien craint une répétition des manifestations de 2019

Le régime iranien craint une répétition des manifestations de 2019
  • Bien que la hausse du prix du gaz ait été l'étincelle qui a déclenché les manifestations, la nature politique de ces dernières était claire dès le début
  • Certains manifestants, comme le champion de lutte Navid Afkari, ont été torturés et exécutés afin d'envoyer un message à la population

À l'occasion du premier anniversaire des manifestations nationales de novembre 2019 en Iran, alors que de nombreux Iraniens commémorent la mort de centaines de manifestants, les dirigeants du pays semblent extrêmement préoccupés par la répétition des manifestations populaires.

Les troubles de l'année dernière sont connus en Iran sous le nom de «manifestations d’Aban» ou «L’Aban sanglant», et le régime de Téhéran tente de créer un faux récit à ce sujet, en qualifiant par exemple les manifestants de «conspirateurs étrangers».

Le journal iranien Resalat a récemment publié un article intitulé A word about November 2019, qui disait: «2019 a été l'un des jalons les plus importants de l'ère postrévolutionnaire islamique.… Lorsque des groupes organisés ont été mobilisés pour profiter de l'environnement en détresse et provoquer des protestations.»

«“La sédition” de novembre (terme utilisé par les médias d'État pour diaboliser les manifestations populaires) était censée être le point de départ d'une série d'agitations et de perturbations plus étendue ... Elle a été lancée pour créer l'instabilité et l'insécurité en Iran.»

La réalité, c’est qu'en novembre de l'année dernière des manifestations populaires ont d'abord éclaté à Ahvaz, puis se sont propagées à de nombreuses autres villes, dont la capitale, Téhéran.

Les manifestants ont d'abord été irrités par la décision du régime d'augmenter le prix de l'essence de 50 %. Certains manifestants ont bloqué des routes et criaient: «L'essence est devenue plus chère, les pauvres sont devenus plus pauvres.»

Bien que la hausse du prix du gaz ait été l'étincelle qui a déclenché les manifestations, la nature politique de ces dernières était claire dès le début. On a entendu des manifestants demander que le régime se retire. Ils étaient en colère contre la corruption, la mauvaise gestion, les détournement de fonds et le blanchiment d'argent.

Le vaste gaspillage de la richesse iranienne pour les interventions dans les conflits étrangers et le soutien iranien aux mandataires terroristes étaient également préoccupants. Certains manifestants, à leurs risques et périls, ont crié: «Lâchez la Syrie, pensez à nous». Le régime iranien alloue une part importante de son budget au Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) et à ses milices et groupes terroristes.

Les autorités iraniennes ont répondu par la force brutale et l’agression. Les forces de sécurité ont attaqué des manifestants et plus de 1 500 hommes, femmes et enfants ont été tués. Des milliers d'autres ont été arrêtés. Certains manifestants, comme le champion de lutte Navid Afkari, ont été torturés et exécutés afin d'envoyer un message à la population.

Amnesty International a récemment documenté certaines des techniques de torture employées par le régime iranien. «Les recherches de l’organisation ont révélé que les victimes étaient souvent cagoulées ou avaient les yeux bandés: frappées et fouettées; battues avec des bâtons, des tuyaux en caoutchouc, des couteaux, des matraques et des câbles. Les victimes étaient également suspendues ou forcées de tenir des positions douloureuses pendant des périodes prolongées; privées de nourriture et d'eau potable en quantité suffisante; placées en isolement cellulaire prolongé, parfois pendant des semaines, voire des mois; et privées de soins médicaux pour les blessures subies pendant les manifestations ou à la suite de la torture.»

À présent, le régime de Téhéran est prévenu du risque de nouvelles manifestations, car il n’a pas répondu aux doléances de la population.

Dans une interview accordée au journal iranien Etemad, le soi-disant politicien réformiste Javad Imam a déclaré: «Les salaires n'ont pas augmenté mais les prix ont augmenté plusieurs fois, et les gens doivent endurer tous ces problèmes. La probabilité d’une contestation populaire s’est accrue.»

La situation actuelle est en effet bien plus désastreuse pour de nombreuses personnes ordinaires qu'elle ne l'était l'année dernière. Le président Hassan Rohani a admis que la monnaie iranienne, le rial, continue de perdre de sa valeur et le pays traverse sa pire crise économique depuis 1979.

L'Iran exportait environ 2,5 millions de barils de pétrole par jour, mais selon les derniers rapports, le chiffre est maintenant d'environ 100 000 barils par jour, soit une réduction de près de  95 %. Le budget du pays dépend fortement des ventes de pétrole. Sa devise, en chute libre cette année, a plongé à des niveaux historiquement bas.

Au 1er novembre, un dollar américain valait désormais environ 290 000 rials iraniens (1 rial = 0,000020 euro). L'inflation et le chômage sont à des niveaux record. Les gens ont vu la valeur de leurs salaires et de leur épargne se déprécier presque dix fois et se sont précipités pour acheter des devises étrangères.

La situation dans laquelle se trouve le peuple iranien est bien pire qu'elle ne l'était l'année dernière lorsque des manifestations à l'échelle nationale ont ébranlé les fondations du régime théocratique.

Dr Majid Rafizadeh

Si une nouvelle série de manifestations éclate en Iran, Rohani et le guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, les principales figures de la théocratie, seront les cibles privilégiées de la frustration du public alors que les principaux dirigeants iraniens sont devenus un élément permanent des slogans des manifestants.

Pendant plus de sept ans de présidence de Rohani, son peuple a été soumis à une économie en détérioration et à une répression croissante de la dissidence, impliquant des arrestations massives d'activistes, de journalistes et d'autres partisans d'une société plus libérale. En d’autres termes, le peuple iranien est maintenant non seulement furieux de la mauvaise gestion économique du régime, mais aussi des problèmes plus larges de la répression politique, des violations des droits de l’homme et de la mauvaise gestion de la pandémie de coronavirus.

Les dirigeants iraniens ont raison de s'inquiéter de nouvelles manifestations qui éclatent et s'intensifient à travers le pays. La situation dans laquelle se trouve le peuple iranien est bien pire qu'elle ne l'était l'année dernière, lorsque des manifestations à l'échelle nationale ont ébranlé les fondations du régime théocratique.

Dr. Majid Rafizadeh est un politologue irano-américain diplômé de Harvard. Twitter : @Dr_Rafizadeh.

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com