Envolée des prix à la consommation: l'Égypte et la Tunisie pourraient s'endetter davantage

Le taux d'inflation vertigineux de l'Égypte est dépassé par la hausse des prix des denrées alimentaires, qui a franchi la barre des 20 % (Photo, AFP).
Le taux d'inflation vertigineux de l'Égypte est dépassé par la hausse des prix des denrées alimentaires, qui a franchi la barre des 20 % (Photo, AFP).
Short Url
Publié le Vendredi 30 septembre 2022

Envolée des prix à la consommation: l'Égypte et la Tunisie pourraient s'endetter davantage

Envolée des prix à la consommation: l'Égypte et la Tunisie pourraient s'endetter davantage
  • Dans les deux pays, la réduction des importations, dans le contexte de la pandémie de Covid-19 et de la guerre en Ukraine aggrave une situation économique déjà difficile
  • Les plans de sauvetage financier du FMI pourront aider à court terme, mais ils endetteront également davantage deux pays déjà extrêmement endettés

Les perturbations de la chaîne d'approvisionnement causées par la pandémie de Covid-19 puis par la guerre en Ukraine n'ont pas été tendres pour les pays arabes. La Tunisie et l'Égypte postrévolutionnaires ont été particulièrement touchées, leurs gouvernements s'efforçant de limiter la crise du coût de la vie. Les défis dans les deux pays sont cependant différents. En Tunisie, il n'y a tout simplement pas d'argent disponible pour importer des produits, tandis qu'en Égypte, le gouvernement, soucieux de ne pas épuiser ses réserves de devises étrangères, fait obstacle au flux de marchandises importées. Dans les deux cas, la réduction des importations aggrave une situation déjà difficile.

Le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, a effectué ce mois-ci sa première visite au Qatar depuis la fin de la rupture diplomatique de quatre ans entre les deux pays. Bien qu'il ne soit pas tout à fait inattendu, ce déplacement reflète la tension dans laquelle vit l'Égypte. Le pays a beaucoup souffert de la guerre en Ukraine, 80 % de ses céréales ayant été importées de Russie ou d'Ukraine en 2021.

En signant des accords d'investissement d'une valeur de 5 milliards de dollars (un dollar = 1,02 euro), et avec environ 350 000 expatriés égyptiens à Doha, le renforcement des relations bilatérales devrait contribuer à atténuer l'inflation de 13 % que connaît actuellement le Caire. Cela fait partie d'un afflux plus important d'investissements du Golfe, notamment en provenance d'Arabie saoudite et des Émirats arabes unis (EAU), qui devraient être une planche de salut pour l'économie égyptienne. Cependant, alors qu'il s'agissait autrefois de transferts directs à la Banque centrale d'Égypte pour équilibrer les comptes, ils prennent désormais la forme d'investissements, ce qui nécessitera des rendements versés aux investisseurs.

Les problèmes de l'Égypte sont profonds. Le taux d'inflation vertigineux est dépassé par la hausse des prix alimentaires, qui a franchi la barre des 20 %. Avec 30,6 millions d'Égyptiens vivant sous le seuil de pauvreté en 2021, le gouvernement peine à gérer l'économie. Alors que les investisseurs internationaux se sont désengagés de leurs avoirs égyptiens, le gouvernement est devenu de plus en plus préoccupé par les pénuries de devises étrangères.

Les réglementations complexes concernant les importations ont ralenti les sorties de devises, mais compte tenu de la pression qu'elles ont exercées sur les biens de consommation, le gouvernement a dû changer de cap. Face à une pénurie d'approvisionnement en thé dans les semaines à venir, les banques ont dû débloquer des dollars américains indispensables pour permettre la reprise des importations.

Néanmoins, de telles mesures ne résolvent pas les problèmes structurels auxquels l'Égypte est confrontée. Avec un ratio dette/produit intérieur brut de 94 %, le gouvernement ne peut pas financer les prêts antérieurs du pays sans emprunter davantage au Fonds monétaire international (FMI). Il s'agit d'un prêt qu'elle recevra en attendant une nouvelle dévaluation de la livre égyptienne, mais aucun nouveau projet d'infrastructure reluisant ne pourra sortir l'Égypte du cycle de la dette dans lequel elle se trouve depuis des décennies.

C'est vers le FMI que se tourne également la Tunisie, qui espère sortir de sa situation actuelle. La «guerre populiste du président Kaïs Saied contre les thésauriseurs» n'a pas permis de remplir le panier de la  ménagère. Bien que la thésaurisation et le marché noir aient nui à l'économie, le fait est que les cargaisons restent bloquées dans le principal port du pays et que les réserves en devises de la Tunisie couvriront à peine les importations jusqu'à la fin de l'année.

«Les problèmes économiques permanents des deux pays n'ont pas été causés par les chocs actuels sur les produits de base, mais ont plutôt été exacerbés par eux»

Zaid M. Belbagi

Cela a eu un impact considérable sur la disponibilité des produits de base, des produits laitiers et même l'eau en bouteilles. Les rayons des supermarchés de Tunis sont vides depuis des semaines, les consommateurs devant passer des heures pour s'approvisionner en huile de cuisson et autres produits essentiels. La crise est la plus aiguë au niveau des biens subventionnés par l'État et révèle l'incapacité du gouvernement à acheter et à livrer ces articles en raison de la mauvaise situation économique.

La dette publique étant actuellement estimée à environ 87 % du PIB, le gouvernement ne sait pas comment procéder. Deux récentes tranches d'aide internationale de la Banque mondiale et de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd) n'ont pas évité les graves difficultés économiques du pays. Quant à l'actualité de politique intérieure, qui a connu une centralisation rapide du pouvoir, défaisant la fragile démocratie, elle a rendu hésitants les partenaires internationaux potentiels.

Tentant d’obtenir un prêt compris entre 2 et 4 milliards de dollars, la Tunisie est en négociation avec le FMI. Mais l'incapacité du gouvernement à équilibrer ses comptes a entraîné des grèves sans précédent ainsi que les plus importants troubles publics depuis le printemps arabe. Le FMI étant susceptible de demander des réductions au niveau de la masse salariale colossale du gouvernement dans un pays où l'État est le plus gros employeur, l’on s’attend à davantage de frictions.

En prévision d’un mouvement de protestation, le syndicat le plus puissant du pays, l'Union générale tunisienne du travail (UGTT), s’est mis d’accord en septembre avec le gouvernement sur une augmentation de salaire de 5 % pour les employés du secteur public. Cependant, cette mesure à court terme ne limite pas la possibilité pour le syndicat de rançonner à nouveau le gouvernement – une perspective qui retarde un accord avec le FMI.

Les problèmes économiques permanents en Égypte et en Tunisie n'ont pas été causés par les chocs actuels sur les produits de base, mais ont plutôt été exacerbés par eux. L'inefficacité du gouvernement, la faiblesse des institutions, la croissance démographique et l'urbanisation massive ont conduit à des circonstances où le pays n'est pas en mesure de se nourrir, et où l'État a dû assumer d'énormes dépenses pour maintenir les besoins essentiels largement subventionnés.

Les plans de sauvetage financier du FMI pourront aider à court terme, mais ils endetteront également davantage deux pays déjà extrêmement endettés. Les défis économiques et démographiques auxquels sont confrontées aujourd’hui la Tunisie et l'Égypte sont révélateurs de problématiques similaires ailleurs dans le monde arabe. Ceux-ci ne feront que s'aggraver à mesure que les pays de la région chercheront à faire face aux effets du changement climatique, étant en première ligne de l’urgence climatique.

 

Zaid M. Belbagi est chroniqueur politique, et conseiller de clients privés entre Londres et le CCG. Twitter: @Moulay_Zaid

Clause de non-responsabilité: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com