La doctrine Biden émergente et sa signification à l’échelle mondiale

Il n’y a rien de tel que la crise et les bouleversements pour avoir les idées plus claires et, en moins de deux ans de mandat présidentiel, Joe Biden a eu plus que sa juste part. (Arab News)
Il n’y a rien de tel que la crise et les bouleversements pour avoir les idées plus claires et, en moins de deux ans de mandat présidentiel, Joe Biden a eu plus que sa juste part. (Arab News)
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Publié le Dimanche 02 octobre 2022

La doctrine Biden émergente et sa signification à l’échelle mondiale

La doctrine Biden émergente et sa signification à l’échelle mondiale
  • Pour des raisons indépendantes de sa volonté, les premiers mois de la présidence de Biden consistaient à se concentrer sur la restauration d’un minimum de raison après le mandat chaotique de son prédécesseur
  • L’agenda que l’administration Biden est en train de promouvoir donne la priorité au leadership des États-Unis en matière de changement climatique, de crises économiques et alimentaires mondiales actuelles et de développement humain

Il n’y a rien de tel que la crise et les bouleversements pour avoir les idées plus claires et, en moins de deux ans de mandat présidentiel, Joe Biden a eu plus que sa juste part.

Il a été élu en pleine pandémie, au milieu d’hostilités entre les citoyens. Son désir d’être à la hauteur des enjeux du changement climatique échoue au moment où les tensions croissantes avec la Chine sont désignées comme le principal défi pour les États-Unis et la stabilité mondiale. Et, par-dessus tout, il y a eu l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février de cette année.

Cela fait partie d’un agenda saturé qui exige non seulement l’intervention immédiate de son administration mais aussi une réponse qui aille au-delà de la simple gestion de crise et appelle plutôt à l’élaboration d’une doctrine bien organisée capable de définir la place des États-Unis dans le monde, ainsi que sa mission. Cette démarche est absente depuis un moment.

Pour des raisons indépendantes de sa volonté, les premiers mois de la présidence de Biden consistaient à se concentrer sur la restauration d’un minimum de raison après le mandat chaotique de son prédécesseur qui a culminé avec l’insurrection du 6 janvier. L’urgence de cette tâche éclipse parfois l’importance d’élaborer une stratégie à long terme.

De plus, Biden est perçu comme un président qui serait plus soucieux durant son mandat de combler les brèches que de mettre en œuvre des réformes. Par conséquent, la doctrine Biden n’a pas vu le jour, bien qu’en quelques mois, il soit devenu clair qu’il n’a pas l’intention d’être un président provisoire, mais plutôt un politicien vétéran fort d’une riche expérience sur la scène mondiale et qui serait déterminé à apporter sa contribution.

Dans son discours le mois dernier à l’Assemblée générale des Nations unies, il a formulé un semblant de doctrine: une approche holistique des défis mondiaux auxquels sont confrontés les États-Unis et non une réponse fragmentaire à des menaces particulières qui pourraient se poser.

Qu’il se concentre sur l’agression russe dans son discours à l’ONU semble une évidence. Cependant, la réponse de Biden est allée au-delà de la simple guerre en cours. Il a insisté sur la nécessité existentielle pour les États-Unis – s’ils veulent rester en sécurité et prospérer – de rester fidèles à leurs valeurs mais aussi de diriger et de consolider leur engagement envers des organisations comme l’Otan, l’Union européenne et l’Organisation des États américains et leurs alliés du Moyen-Orient, en plus de renforcer leurs affinités avec les autres démocraties américaines. Un aperçu en avait déjà été donné, par exemple, au moyen de l’accord conclu avec le Royaume-Uni pour fournir à l’Australie des sous-marins nucléaires dans le cadre de l’alliance entre le Royaume-Uni et les États-Unis.

Au début de sa présidence, Biden s’est lancé dans une campagne diplomatique pour rassurer les membres de l’Otan et les amis européens que les États-Unis étaient de retour et désireux de raviver des liens étroits basés sur des valeurs partagées. Cette campagne a remédié à la rancœur constante, illogique et irrationnelle que son prédécesseur avait montrée à leur égard.

La guerre de la Russie contre l’Ukraine a fourni une plate-forme à Biden pour traduire ses intentions en politiques concrètes et les soutenir avec plus de 25 milliards de dollars (1 dollar = 1,02 euro) d’aide à ce jour. Son discours à l’Assemblée générale a préparé le terrain pour mettre en valeur les États-Unis comme défenseur de la charte de l’ONU, au cœur de laquelle se trouvent l’idée et l’idéal de la sécurité collective mondiale.

Il vise à renforcer la coopération internationale avec les alliés et à construire des ponts avec des rivaux là où la coopération est possible, en plus de prendre les mesures nécessaires pour dissuader ceux qui menacent l’ordre régional et mondial

Yossi Mekelberg

Cependant, le fait même qu’un membre permanent du Conseil de sécurité viole actuellement le caractère sacré de la souveraineté d’un autre pays et, ce faisant, commette d’horribles atrocités contre le peuple ukrainien, a inévitablement conduit à s’interroger sur la viabilité de l’ONU en tant que mécanisme de préservation de la paix, et à remettre particulièrement en question le rôle de son Conseil de sécurité.

Nul n’est sans savoir que cet organe, créé au lendemain des horreurs de la Seconde Guerre mondiale et chargé, du moins sur papier, de prévenir les conflits futurs ou de les arrêter lorsqu’ils éclatent, a échoué de manière spectaculaire.

Cela est principalement dû au fait que ses cinq membres permanents opèrent dans le cadre du paradigme de la realpolitik dans un contexte qui était censé favoriser la perspective de l’institutionnalisme libéral. Le Conseil de sécurité ne s’est pas mobilisé dans le domaine des affaires mondiales de manière à ce que l’ensemble représente plus que la somme de ses composants. Au lieu de cela, ses membres permanents ont été principalement préoccupés par la consolidation d’alliances pour servir leurs propres intérêts nationaux plutôt que de souscrire à l’objectif de sécurité collective de la Charte des Nations unies comme modus operandi afin de «maintenir la paix et la sécurité internationales».

Pour cette raison, un élément majeur de la doctrine Biden naissante est la réforme de l’ONU, et du Conseil de sécurité en particulier, en élargissant ce dernier pour qu’il devienne plus représentatif de l’arène internationale actuelle, plutôt que sa mission de 1945.

Dans un moment d’auto-introspection assez exceptionnel, le président américain a appelé les membres permanents du Conseil de sécurité, y compris les États-Unis, à s’abstenir d’utiliser leur droit de veto «sauf dans des situations rares et exceptionnelles, pour s’assurer que le conseil reste crédible et efficace».

Ce sont des idées plus nobles que nouvelles, mais la création de sièges permanents supplémentaires pour les pays d’Afrique, d’Amérique latine et des Caraïbes, comme l’a suggéré Biden, est un pas dans la bonne direction vers une arène internationale plus inclusive qui donne une voix et une influence à des parties du monde qui, pendant bien trop longtemps, ont été traitées comme de simples figurants sur l’échiquier des rivalités entre les grandes puissances.

Alors que la brutalité de la Russie en Ukraine exige inévitablement que le monde se mobilise pour mettre fin à la politique à l’ancienne d’un pays utilisant la force pour imposer sa volonté à un voisin, l’agenda que l’administration Biden est en train de promouvoir, et qui s’est reflété dans son discours à l’Assemblée générale , donne la priorité au leadership des États-Unis en matière de changement climatique, de crises économiques et alimentaires mondiales actuelles et de développement humain, qui sont tous des problèmes qui affectent des milliards de personnes dans le monde.

Cette doctrine Biden émergente combine les pouvoirs de la contrainte et de la persuasion. Cela commence par l’adoption d’actions visant à créer une économie plus juste et plus verte, à renforcer la coopération internationale avec les alliés, à construire des ponts avec les rivaux là où la coopération est possible et à prendre les mesures nécessaires pour dissuader ceux qui menacent l’ordre régional et mondial.

L’instinct de l’administration Biden est d’adopter un programme mondial conforme aux principes fondateurs de l’ONU, ajusté pour tenir compte des défis du XXIe  siècle et combiné à une dynamique réformiste.

Cependant, pour qu’un nouveau programme mondial américain réussisse, il faudra déployer beaucoup d’efforts pour convaincre les autres, y compris les pays amis, que les États-Unis sont prêts à diriger sans dicter, à partager le pouvoir et à démontrer qu’ils ont accepté l’idée que leur intérêt personnel est compatible avec la sécurité et la prospérité d’autres qui ne jouissent pas du même pouvoir politique, militaire et économique.

Le discours du président américain Joe Biden à l’ONU comprenait suffisamment d’indices à ce sujet: il est désormais temps pour son administration de retrousser ses manches et d’inclure le tout dans une doctrine à la formulation claire.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.

 

Twitter: @Ymekelberg

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com