L’opposition israélienne se livre au détournement cognitif sur l’accord maritime avec le Liban

Cependant, l’opposition israélienne, dirigée par l’ancien Premier ministre Benjamin Netanyahou, accuse le gouvernement de tous les maux de la terre – de l’incompétence à la vente des intérêts du pays à un prix dérisoire. (Fournie)
Cependant, l’opposition israélienne, dirigée par l’ancien Premier ministre Benjamin Netanyahou, accuse le gouvernement de tous les maux de la terre – de l’incompétence à la vente des intérêts du pays à un prix dérisoire. (Fournie)
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Publié le Lundi 24 octobre 2022

L’opposition israélienne se livre au détournement cognitif sur l’accord maritime avec le Liban

L’opposition israélienne se livre au détournement cognitif sur l’accord maritime avec le Liban
  • Dans sa quête de pouvoir, Benjamin Netanyahou ne reconnaîtra nullement le mérite de ses rivaux politiques, même lorsqu’il s’agit de rendre à César ce qui appartient à César
  • Ce détournement cognitif par l’opposition de la droite israélienne sur l’accord reflète le nationalisme populiste et une manipulation cynique des craintes sécuritaires de l’électorat, en particulier lorsque l’Iran et le Hezbollah sont impliqués

La politique israélienne est, dans le meilleur des cas, contradictoire. Cependant, dans les semaines précédant une élection générale, elle est entachée d’un esprit partisan et d’un sectarisme extrêmes, où le fait de recueillir quelques votes de plus prend le dessus sur un débat civilisé et constructif – sans parler du jugement éclairé.

La décision du gouvernement actuel d’Israël, dirigé par le Premier ministre Yaïr Lapid, de conclure un accord avec le gouvernement libanais pour régler leur différend frontalier maritime, par l’intermédiaire des États-Unis, a été annoncée dans de nombreux milieux en Israël, au Liban et dans la communauté internationale comme un succès notable pour les négociations sur la corde raide et la sagesse politique.

Cependant, l’opposition israélienne, dirigée par l’ancien Premier ministre Benjamin Netanyahou, accuse le gouvernement de tous les maux de la terre – de l’incompétence à la vente des intérêts du pays à un prix dérisoire.

Il serait naïf de supposer, qu’au sein de l’environnement politique et social instable au Liban et, dans une large mesure en Israël également, où les événements changent rapidement, tout accord peut être une garantie ultime d’éviter de futures frictions et conflits. - Yossi Mekelberg

 

Ces deux récits diamétralement opposés de l’accord maritime israélo-libanais doivent plus à la nature du discours politique en Israël qu’à la réalité de la situation. Mais ils soulèvent la question de savoir si le fait de contester l’accord avec peu de preuves pour soutenir de telles critiques fera une différence dans le résultat des élections du 1er novembre.

La réponse est, très probablement, non, en raison de l’extrême rigidité des tendances de vote de l’électorat israélien, en particulier si près du jour du scrutin. La plupart des électeurs auront déjà pris leur décision et le différend maritime avec le Liban n’aura guère d’influence sur le vote.

Cependant, un examen réfléchi de l’accord devrait récompenser les partis formant l’actuel gouvernement de coalition qui ont eu le courage et la sagesse de le signer. Même cela n’influencera qu’un petit nombre d’électeurs mais, puisque la personne qui formera le prochain gouvernement de coalition, et ceux qui pourraient en faire partie, seront décidés par la plus fine des marges, chaque vote compte.

M. Lapid et son ministre de la Défense, Benny Gantz, ont affirmé, avec beaucoup de justification, que l’accord avec le Liban renforcera la sécurité d’Israël, injectera des milliards de dollars dans l’économie israélienne et contribuera à garantir la stabilité de la frontière nord du pays.

Il serait naïf de supposer, qu’au sein de l’environnement politique et social instable au Liban et, dans une large mesure en Israël également, où les événements changent rapidement, tout accord peut être une garantie ultime d’éviter de futures frictions et conflits.

Pourtant, la force de cet accord est qu’il sert les intérêts de tous à court et à long terme et qu’il est garanti par une grande puissance internationale. Pour Israël, un accord qui renforce le gouvernement central du Liban par rapport au Hezbollah en assurant un flux de revenus à son économie en difficulté, sans parler du même avantage pour les coffres israéliens, devrait être une évolution positive.

Cela démontre également qu’il existe une marge de coopération même dans un contexte conflictuel. Et malgré le scepticisme général quant à la valeur des garanties des États-Unis, le pays reste désormais investi dans cet accord qu’il a négocié.

Mais aucun de ces arguments n’a la moindre chance de convaincre l’opposition israélienne, en particulier Benajmin Netanyahou qui, dans sa quête de pouvoir, ne reconnaîtra nullement le mérite de ses rivaux politiques, même lorsqu’il s’agit de rendre à César ce qui appartient à César.

Ironiquement, tout au long de ses nombreuses années en tant que Premier ministre, il s’est montré un piètre négociateur. Il a été une fois décrit par Yitzhak Shamir, ex Premier ministre et son prédécesseur à la tête du parti israélien de droite Likoud, comme «superficiel, vaniteux, autodestructeur et sujet à la pression».

De nombreuses preuves soutiennent les propos de M. Shamir et la réponse de Benjamin Netanyahou à l’accord maritime, qui n’est certainement pas sans risques, est une combinaison de ses incitations habituelles contre ses rivaux politiques, une série de fausses déclarations sur la nature de l’accord et, surtout, une réaction belliciste.

Prétendre, comme il l’a fait, que «ce n'est pas un accord historique, mais une reddition historique» et «une vente forcée par Lapid» témoigne de son désir désespéré de remporter les élections. Sa menace d’annuler l’accord s’il reprend son poste de Premier ministre est irresponsable et devrait pousser l’électorat israélien à remettre en question son aptitude à exercer ses fonctions.

Face à une éventuelle condamnation pour corruption et à la perspective d’années passées derrière les barreaux, il souffre d’une grave erreur de jugement. Les réserves légitimes à propos d’un accord qui n’est pas parfait ont laissé place à une campagne d’hystérie.

Comme prévu, l’accord international exige qu’Israël fasse un certain nombre de concessions sur lesquelles l’opposition nationale a mis l’accent. C’est le privilège de faire partie de l’opposition, en l’occurrence une opposition irresponsable dirigée par quelqu’un qui entretient un «rapport privilégié» avec la vérité.

En fin de compte, cet accord maritime, soigneusement élaboré, mais avec un sentiment d’urgence au moment où les tensions entre Israël et le Hezbollah s’intensifient et que les marchés mondiaux de l’énergie sont précaires, n’a pas répondu à toutes les demandes d’Israël. Il sera jugé en fonction du succès de sa mise en œuvre et de sa capacité d’éviter une future confrontation entre ces deux ennemis jurés.

Comme toujours, l’Iran est le joker dans le jeu de cartes belliciste de Benjamin Netanyahou. Il a fait valoir que MM. Lapid et Gantz ont non seulement remis au Hezbollah «nos eaux territoriales, notre territoire souverain, notre gaz», mais qu’ils ont aussi «succombé à une autre demande du Hezbollah de permettre à l’Iran de forer du gaz au large des côtes d’Israël», rapprochant ainsi l’Iran de la frontière nord d’Israël. Tout cela semble inquiétant, mais il n’existe pas la moindre preuve de cela dans l’accord.

En outre, Benjamin Netanyahou a refusé l’invitation de Yaïr Lapid de participer à un briefing de sécurité sur l’accord en matière de frontière maritime, le qualifiant de «futile», principalement parce qu’au lieu d'avoir une conversation adulte entre deux politiciens de haut rang, il préférait marquer quelques points politiques bon marché juste avant les nouvelles élections.

Ce détournement cognitif par l’opposition de la droite israélienne sur l’accord reflète le nationalisme populiste et une manipulation cynique des craintes sécuritaires de l’électorat, en particulier lorsque l’Iran et le Hezbollah sont impliqués.

Benjamin Netanyahou et ses alliés savent qu’en l’absence de relations pleinement normalisées avec le Liban, c’est une évolution positive qu’ils n’oseraient pas changer s’ils revenaient au pouvoir. De plus, si les conditions instables dans lesquelles les deux pays opèrent conduisent à un désaccord futur, Israël peut compter sur sa puissance militaire si nécessaire.

Mais, pour l’instant, les avantages de l’accord l’emportent de loin sur les risques pour les deux parties et, espérons-le, contribueront à désamorcer les tensions futures plutôt qu’à les exacerber.

 

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.

 

Twitter: @Ymekelberg

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com