Les manifestations en Iran exposent les failles au niveau de l’unité du régime

La mort de Mahsa Amini aux mains de la police religieuse iranienne a embrasé le pays (Photo, AP).
La mort de Mahsa Amini aux mains de la police religieuse iranienne a embrasé le pays (Photo, AP).
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Publié le Jeudi 27 octobre 2022

Les manifestations en Iran exposent les failles au niveau de l’unité du régime

Les manifestations en Iran exposent les failles au niveau de l’unité du régime
  • Alors que Khamenei refuse de céder, certains de ses alliés les plus proches estiment que le régime doit s’attaquer aux tensions au sein de la société
  • Les failles politiques au sein du régime théocratique et entre les politiciens au pouvoir et les religieux s’approfondissent

Ce n’est pas uniquement la nature du soulèvement généralisé en cours en Iran qui semble être différente cette fois-ci. En effet, les réactions diverses et contradictoires de l’ordre politique établi par le régime indiquent une crise majeure au sein de la République islamique.

Lors de précédentes manifestations nationales, comme celles de 2017 et 2019, les politiciens et les religieux au pouvoir semblaient unis contre le peuple. Ils portaient le même message, les mêmes objectifs et la même réponse.

Désormais, cependant, le fossé politique croissant au sein du régime théocratique est perceptible. Par exemple, le Guide suprême Ali Khamenei a critiqué d’autres religieux et responsables qui ont initialement accusé les forces de sécurité de la mort de Mahsa Amini. Il estime que le récit diffusé par certains responsables, consistant à faire porter la responsabilité aux agents de sécurité, est à l’origine des manifestations. Il a déclaré qu’«au début, certains membres de l’élite religieuse ont fait des annonces et des déclarations sans enquête et probablement par compassion. Certains ont accusé l’organisme chargé de l’application de la loi, alors que d’autres ont rejeté la faute sur le système. Maintenant qu’ils ont vu de quoi il s’agissait et ce qui se passait dans les rues en raison de leurs propos, sans compter le plan de l’ennemi, ils devraient se rattraper et déclarer clairement qu’ils s’opposent à ce qui s’est passé et au plan de l’ennemi étranger».

Le Guide suprême ordonne essentiellement aux dirigeants de dire que seul «l’ennemi étranger» est responsable de ces manifestations.

Lorsque Khamenei prononce de tels discours, les religieux et les fonctionnaires au pouvoir appliquent ses paroles à la lettre. Mais cette fois, certains religieux et médias éminents ont semblé défier les instructions de Khamenei juste après son discours. Par exemple, le journal Setareh-e Sobh, contrôlé par le gouvernement, a publié une déclaration de l’ecclésiastique Mohammed Ali Ayazi, dans laquelle il affirme que «certains ecclésiastiques n’acceptent pas ces directives et disent que ce n’est pas une façon de rendre la société religieuse. Certaines choses qui sont faites au nom de la religion ne sont pas acceptables du point de vue de certains penseurs et chercheurs religieux».

Khamenei a gouverné pendant plus de trois décennies. De son point de vue, le modus operandi du régime – réprimer brutalement la population et toute opposition tout en refusant de faire des concessions – a toujours porté ses fruits. Alors, à travers ce prisme, pourquoi le régime devrait-il modifier cette voie, qui a réussi depuis la mise en place de la République islamique en 1979?

Certains religieux et médias éminents semblent défier les instructions de Khamenei

Dr Majid Rafizadeh

De plus, pour le Guide suprême, faire des concessions signifie faire preuve de faiblesse et, si le gouvernement fait une seule concession, ce serait une victoire pour l’opposition, ce qui donnerait au peuple le pouvoir d’exiger plus.

Alors que Khamenei refuse de céder, certains de ses alliés les plus proches, comme Mohammed Bagher Qalibaf, membre du Conseil de discernement, estiment que le régime doit s’attaquer aux tensions au sein de la société. Il a récemment déclaré lors d’un discours prononcé devant ledit Conseil: «Si nous voulons surmonter cette guerre cognitive, nous devons d’abord remédier à ces conflits et à ces différentes perceptions et compréhensions dans cette partie de la gouvernance. C’est la plate-forme que l’ennemi utilise en raison de son inefficacité pour créer des problèmes.»

Cela ne signifie pas que certains responsables du régime ou religieux de haut niveau exigent un changement de régime. Cela montre plutôt qu’ils essayent tant bien que mal de trouver des moyens pour garantir la survie de la République islamique.

Cette lacune importante au sein du régime théocratique révèle également l’extrême inquiétude que ressentent les politiciens au pouvoir face aux protestations en cours.

Cela est dû au fait que, cette fois-ci, l’écrasante majorité de la jeune génération, ainsi que les femmes, ont réussi à briser le mur de la peur. En tant que membre du parti réformiste du régime, Mohammed Reza Tajik, a récemment averti: «la situation politique actuelle dans la société d’aujourd’hui est passée de l’ère de la peur à l’ère de la rage. Le mouvement actuel est associé à une sorte de bonheur et de zèle pour la vie. L’activiste d’aujourd'hui est prêt à sacrifier sa vie pour obtenir la liberté.»

 «L’activiste d’aujourd’hui pense qu’il ne peut faire passer son message à la classe dirigeante qu’au moyen de la rage...il ou elle pense que seule la colère est la solution et que les autres réactions demeurent sans réponse», ajoute-t-il. «Au fil des ans, nous avons semé les graines de la haine et maintenant nous récoltons beaucoup de colère.»

Les failles politiques au sein du régime théocratique et entre les politiciens au pouvoir et les religieux s’approfondissent. Ce phénomène, combiné aux protestations croissantes à travers le pays, met en évidence l’hypothèse selon laquelle le régime iranien est à bout de souffle.

 

Le Dr Majid Rafizadeh est un politologue irano-américain formé à Harvard.

Twitter: @Dr_Rafizadeh

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com