Les manifestations ne doivent pas détourner l'attention de l'Occident de la menace nucléaire de Téhéran

Le président iranien, Ebrahim Raïssi, lors d'une session du Parlement à Téhéran, en Iran, le 4 octobre 2022. (Reuters)
Le président iranien, Ebrahim Raïssi, lors d'une session du Parlement à Téhéran, en Iran, le 4 octobre 2022. (Reuters)
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Publié le Samedi 29 octobre 2022

Les manifestations ne doivent pas détourner l'attention de l'Occident de la menace nucléaire de Téhéran

Les manifestations ne doivent pas détourner l'attention de l'Occident de la menace nucléaire de Téhéran
  • Des rapports évoquent des manifestations qui ont eu lieu dans les trente et une provinces iraniennes et des foules scandant «mort au dictateur»
  • Si l'Occident n'agit pas immédiatement, il perdra de plus en plus de poids à mesure que le régime iranien se rapprochera du seuil de l'État nucléaire

Alors que l'attention de l'Occident est focalisée sur les manifestations en Iran, il doit veiller à ne pas négliger la menace nucléaire du régime iranien.

Depuis plus d'un mois, le régime iranien est frappé par des manifestations dans tout le pays. La mort de Mahsa Amini, 22 ans, aux mains de la police des mœurs, a suscité un tollé mondial et une mobilisation nationale. Des rapports évoquent des manifestations qui ont eu lieu dans les trente et une provinces iraniennes, des scènes de femmes ôtant leur hijab et se coupant les cheveux en public, ainsi que de foules scandant «mort au dictateur». Cependant, alors que l'Occident cherche à évaluer au mieux la répression du régime, il est également important de ne pas négliger le défi nucléaire de Téhéran.

Le temps joue un rôle essentiel dans les négociations nucléaires. Il affecte les processus fondamentaux de la compréhension et de la motivation des négociateurs. Plus une partie à la négociation est contrainte par le temps, plus elle est susceptible d'être prête à faire des concessions pour parvenir à un accord. À titre d’exemple, en 2015, après huit années de sanctions économiques coordonnées entre les États-Unis, l'Union européenne (UE), la Chine et d'autres partenaires qui ont paralysé l'économie iranienne, sans aucune amélioration en vue et avec une série de concessions accordées aux dirigeants iraniens, la République islamique a finalement accepté le plan d'action global conjoint (PAGC), ou accord nucléaire.

En vertu de cet accord conclu avec les membres permanents du Conseil de sécurité des nations unies (Royaume-Uni, États-Unis, France, Chine et Russie) et l'Allemagne, et en échange de la levée des sanctions, les dirigeants iraniens ont accepté de ne pas développer d'uranium enrichi de qualité militaire pendant quinze ans et de réduire leur stock d'uranium.

Mais l'une des raisons essentielles pour lesquelles le régime a accepté l'accord était la pression financière à laquelle il était soumis. Comme l'a déclaré l'ancien haut diplomate américain William J. Burns: «La pression des sanctions s'accentuait et nous voulions que le gouvernement iranien ait mal.»

Grâce à des années de sanctions coordonnées, ciblées et soigneusement conçues, qui ont coupé le régime iranien du système financier international et ont même pénalisé les pays tiers s'ils ne réduisaient pas leurs achats de pétrole iranien, l'économie intérieure de l'Iran s'est considérablement contractée. Ces restrictions étaient si bien conçues que les exportations de pétrole iranien sont passées à près de 2,6 millions de barils par jour en 2011 à moins de la moitié en 2014.

Toutefois, le régime iranien a très probablement le sentiment d'être désormais dans une position bien plus forte, tant sur le plan économique que militaire, qu'en 2014. Cela se voit dans la façon dont le régime ne cesse d’augmenter ses exigences afin de relancer l'accord nucléaire.

L'establishment théocratique de l'Iran croit qu'il peut continuer à gagner du temps et à faire avancer son programme nucléaire, tandis que les États-Unis et surtout l'UE se retrouvent à lutter contre la montre.

L'une des raisons pour lesquelles les sanctions actuelles contre le régime iranien ne sont pas aussi efficaces qu'en 2014 est qu'elles ne sont pas imposées par le Conseil de sécurité de l'Organisation des nations unies (ONU). Lorsque les États-Unis se sont retirés unilatéralement du PAGC en 2018 sous l'ancienne administration américaine, la Maison-Blanche a tenté de rétablir des sanctions plurilatérales contre l'Iran. Mais cette tentative a échoué. Les États-Unis ont donc réimposé des sanctions de manière unilatérale depuis 2020.

L'establishment théocratique de l'Iran croit qu'il peut continuer à gagner du temps et à faire avancer son programme nucléaire, tandis que les États-Unis et surtout l'UE se retrouvent à lutter contre la montre.

 

Dr Majid Rafizadeh

Si les sanctions américaines ont un impact, elles ont été beaucoup moins préjudiciables que les sanctions coordonnées mises en place dans la perspective du PAGC. De plus, non seulement les dirigeants iraniens considèrent qu’ils sont dans une position plus forte militairement et économiquement qu'il y a sept ans, mais Téhéran pense que l'Occident est dans une position beaucoup plus faible. Les dirigeants iraniens estiment très certainement que la guerre en Ukraine et les sanctions contre le pétrole et le gaz russes ont mis l'Europe dans une situation particulièrement précaire. L'hiver approchant à grands pas, les dirigeants iraniens croient sans doute que leur pétrole va devenir une monnaie d'échange de plus en plus puissante.

Il y a quelques semaines, les négociations visant à relancer l'accord nucléaire ont été gelées, car Téhéran est revenu sur certaines de ses conditions et les puissances européennes ont répondu en disant qu'elles avaient atteint les limites de leur flexibilité. Si l'Occident n'agit pas immédiatement, il perdra de plus en plus de poids à mesure que le régime iranien se rapprochera du seuil de l'État nucléaire.

L'Agence internationale de l'énergie atomique (AEIA) a prévenu que le manque d'informations sur les activités du pays atteignait des niveaux dangereux. L'AIEA a ajouté: «La décision de l'Iran de retirer tous les équipements de l'agence précédemment installés en Iran pour les activités de surveillance et de contrôle en relation avec le PAGC a également eu des conséquences néfastes sur la capacité de l'agence à fournir des assurances sur la nature pacifique du programme nucléaire iranien.»

En résumé, s'il est essentiel de demander des comptes au régime iranien pour sa répression brutale, l'Occident ne doit pas négliger les avancées nucléaires et la défiance du régime.

 

Majid Rafizadeh est un politologue irano-américain formé à Harvard. Twitter : @Dr_Rafizadeh

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.