Israël ne peut s’en prendre qu’à lui-même pour sa saisine de la CIJ

Les forces de sécurité israéliennes retiennent un Palestinien dans la ville d’Hébron, en Cisjordanie occupée, le 19 novembre 2022 (Photo, AFP).
Les forces de sécurité israéliennes retiennent un Palestinien dans la ville d’Hébron, en Cisjordanie occupée, le 19 novembre 2022 (Photo, AFP).
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Publié le Lundi 21 novembre 2022

Israël ne peut s’en prendre qu’à lui-même pour sa saisine de la CIJ

Israël ne peut s’en prendre qu’à lui-même pour sa saisine de la CIJ
  • La résolution du comité était très claire: l’occupation est une violation du droit des Palestiniens à l’autodétermination
  • La réponse d’Israël à la requête de l’ONU a été un mélange de mauvaise foi, d’hystérie et de pathétisme

Il reste à voir quel avis consultatif la Cour internationale de justice rendra au comité de décolonisation de l’ONU à la suite de sa demande concernant «l’occupation prolongée, la colonisation et l’annexion par Israël du territoire palestinien occupé depuis 1967».

La résolution du comité était très claire: l’occupation est une violation du droit des Palestiniens à l’autodétermination. La résolution, qui a été adoptée à une large majorité par les Nations unies, a fait l’objet de vives critiques de la part d’Israël et de son allié, les États-Unis.

Elle ne devrait surprendre que ceux qui, heureusement pour eux, ont réussi à ignorer l’actualité au cours des cinquante-cinq dernières années, ou le fait qu’il ait fallu autant de temps à l’ONU pour soutenir une telle démarche, qui, à cette occasion, a été initiée par l’Autorité palestinienne. 

Certes, la longue liste de «graves préoccupations», comme le dit la résolution, concernant la situation en Cisjordanie et à Gaza, laisse penser que l’ONU connaît les réponses à ses questions – et comment pourrait-elle ne pas les connaître? Rien n’est nouveau dans la longue litanie des violations des droits de l’homme mentionnées dans la résolution. Il est également difficilement concevable qu’un expert juridique de quelque réputation que ce soit, sans parler des juges de la CIJ, considère le comportement d’Israël en Cisjordanie et à Gaza comme légal, sans parler de l’occupation elle-même.

Dans ce sens, il est intéressant d’examiner la transformation linguistique en Israël en ce qui concerne la Cisjordanie et Gaza. À l’origine, portées par les vagues de l’euphorie de la victoire de 1967, les autorités israéliennes qualifiaient les territoires occupés de «libérés». Plus tard, étant donné que la population palestinienne locale ne se sentait absolument pas libérée lorsqu’elle vivait sous le joug de l’armée israélienne, et afin de laisser une certaine place à une solution politique, les gouvernements israéliens ont adopté un autre euphémisme et ont commencé à appeler les terres palestiniennes «territoires administrés». Même ce terme était ouvert et ne suggérait aucune fin potentielle à l’occupation.

Ce n’est qu’après les accords d’Oslo, dans les années 1990, que certains dirigeants israéliens plus réalistes ont osé utiliser le terme «occupés» en référence à la Cisjordanie et à Gaza. Mais même cela reste une rareté.

Israël continue de s’en tenir à l’argument très peu convainquant selon lequel, parce qu’il a pris la Cisjordanie à la Jordanie et Gaza à l’Égypte en 1967 au cours d’une guerre qui lui a été imposée – rappelons que ni la Jordanie ni l’Égypte n’avaient de revendication légale sur ces territoires, puisqu’ils avaient été attribués à un futur État palestinien par le plan de partage des Nations unies de 1947 – le contrôle exercé par Israël sur ces territoires et leurs habitants ne peut être considéré comme une occupation illégale. Cet argument n’est guère convainquant, que ce soit sur le plan juridique ou politique. 

En fait, à la suite de la guerre de 1948, Israël a étendu le territoire qui lui a été attribué par le plan de partage de 45% à 78% de la Palestine mandataire – certes, oui, par une guerre qu’il n’a pas initiée, en tant que telle. 

Mais quelles que soient les circonstances qui ont conduit Israël à contrôler la Cisjordanie et la bande de Gaza, sa revendication de ces territoires est fondée sur son propre récit historique et religieux. En soi, cette revendication n’a aucun fondement en droit international, sans parler du fait qu’elle prive des millions de personnes de leurs droits fondamentaux et qu’elle entrave toute chance de coexistence pacifique entre ces deux entités politiques. 

«Si Israël n’avait pas fait preuve d’un mépris total pour les droits des Palestiniens vivant en Cisjordanie occupée et à Gaza sous blocus, une enquête de la CIJ n’aurait jamais eu lieu.» - Yossi Mekelberg

La réponse d’Israël à la requête de l’ONU demandant à la CIJ d’enquêter sur la gestion israélienne des territoires palestiniens occupés a été un mélange de mauvaise foi, d’hystérie et de pathétisme. Elle reflétait une combinaison bizarre de déni et de crainte que l’avis éventuel de la CIJ n’accroisse la pression sur les autorités israéliennes pour qu’elles repensent leurs relations avec les Palestiniens et mettent fin à l’occupation. Ils craignent également que cela ne conduise à l’inculpation éventuelle d’un certain nombre de politiciens israéliens et de hauts responsables militaires par la Cour pénale internationale pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre.

Dans sa réponse à la résolution, Gilad Erdan, représentant permanent d’Israël auprès des Nations unies, a incarné l’audace et le détachement de son pays en accusant l’Autorité palestinienne d’agir unilatéralement dans le but de détruire les espoirs de pourparlers de paix, arguant que cela donne aux Palestiniens «l’excuse parfaite pour continuer à boycotter la table des négociations».

Au cas où son propos n’aurait pas été assez clair, il a ajouté que les Palestiniens exploitaient le tribunal «comme une arme de destruction massive dans leur guerre djihadiste de diabolisation d’Israël».

Whoah! Dans quel univers parallèle vivent Erdan et ceux qui l’ont envoyé représenter l’État juif? Il n’y a pas eu de pourparlers de paix d’aucune sorte entre les Israéliens et les Palestiniens depuis des années. Le premier chef du récent gouvernement dit de changement, Naftali Bennett, a répété à maintes reprises pendant son court passage qu’un État palestinien ne verrait jamais le jour sous sa direction. Lui et son prédécesseur, Yair Lapid, ont tous deux refusé de rencontrer le président palestinien, Mahmoud Abbas.

Les Palestiniens ne peuvent pas boycotter des négociations qui n’existent pas, et les seules voies pacifiques qui leur restent ouvertes sont de plaider auprès de la communauté internationale pour qu’elle les protège de la plus longue occupation de l’ordre mondial post-1945, et de recourir à la désobéissance civile.

La force d’occupation prend chaque jour des mesures pour rendre impossible un accord de paix fondé sur une solution à deux États, en permettant à une partie de sa population de s’installer dans les territoires occupés aux dépens des Palestiniens, tout en les opprimant, en les agressant et en les dépossédant, en violation du droit international, sans parler de la morale élémentaire et de la décence commune.

Israël ne peut s’en prendre qu’à lui-même si son comportement dans les territoires palestiniens occupés au cours des cinquante-cinq dernières années est sur le point d’être examiné par la CIJ.

S’il n’avait pas fait preuve d’un mépris total pour les droits des Palestiniens vivant en Cisjordanie occupée et dans la bande de Gaza sous blocus, s’il n’avait pas construit des colonies qui abritent aujourd’hui plus de 600 000 de ses citoyens, exposant ainsi ses véritables intentions d’annexer à terme au moins une partie de la Cisjordanie et, ce faisant, écrasant les espoirs d’autodétermination des Palestiniens, une enquête de la CIJ n’aurait jamais eu lieu.

Jusqu’à ce que la Cour publie ses conclusions – qui ne devraient rien nous apprendre que nous ne sachions déjà – il appartient à la communauté internationale de peser de tout son poids et d’œuvrer pour mettre un terme pacifique à cette occupation brutale. Il appartient à la communauté internationale de garantir la sécurité, les droits politiques, humains et civils, et la prospérité de tous ceux qui vivent entre le Jourdain et la Méditerranée.

Ce n’est qu’en atteignant cet objectif que l’ONU et la communauté internationale en général pourront être considérées comme ayant résolu ce conflit avec succès.

 

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du programme MENA à Chatham House. Il contribue régulièrement à la presse écrite et électronique internationale. 

Twitter: @YMekelberg

NDLR: Les opinions exprimées par les auteurs de cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com