Un nouveau mécontentement britannique

Le Premier ministre Rishi Sunak, assistant aux questions des membres du Parlement du Comité de liaison à Londres le 20 décembre 2022 (Photo, AFP).
Le Premier ministre Rishi Sunak, assistant aux questions des membres du Parlement du Comité de liaison à Londres le 20 décembre 2022 (Photo, AFP).
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Publié le Mercredi 28 décembre 2022

Un nouveau mécontentement britannique

Un nouveau mécontentement britannique
  • Le gouvernement ne peut pas se permettre d’augmenter les salaires à tous les niveaux
  • Beaucoup considèrent cette grève comme une nécessité

L’hiver 1978-79 a connu des températures glaciales et des chutes de neige record au Royaume-Uni. Le froid glacial a notamment ouvert la voie à la période moderne d’action industrielle la plus dévastatrice du pays, alors que la poubelle s’entassait dans les rues et que les corps n’étaient pas enterrés. Cette période a été surnommée « l’hiver du mécontentement. » Ce chaos a éventuellement conduit à un glissement de terrain électoral du Parti conservateur, brisant ainsi les syndicats pendant toute une génération. 

Cependant, cela fait depuis 2010 que les syndicats ont repris de l’importance. Cette semaine, la Grande-Bretagne fait face à des grèves dans plusieurs secteurs, y compris ses services d’urgence, les transports publics, la force frontalière et les moniteurs de conduite, alors que les travailleurs, victimes de l’inflation, exigent de meilleurs salaires et conditions. Avec le gouvernement inflexible et les ménages confrontés à la plus forte baisse du niveau de vie depuis le début des records de conflits industriels, l’hiver actuel se rapproche toujours plus de son homonyme des années 1970.

Il est indéniable que, alors que les infirmières et les postiers tenaient les piquets de la grève, le public britannique et le gouvernement de Rishi Sunak ont dû faire face la semaine dernière à l’une des pires semaines d’action revendicative de son histoire.  Bien que les 2 millions de journées de travail perdues à cause des grèves au cours des derniers mois ne sont rien en comparaison des 29 millions perdues lors de l’hiver 1978-79, le gouvernement craint qu’il n’y aurait pas de fin à l’augmentation  du nombre de secteurs exigeant des salaires plus élevés. 

Bien que la grève dure depuis plusieurs mois, la coordination de cette activité durant la période de Noel a rendu l’impact plus aigu. Pour tous les travailleurs, les niveaux de rémunération actuels ne reflètent pas la hausse spectaculaire de l’inflation et des taux d’intérêt alors que le pays entre en récession. Face à la plus forte compression des salaires en 200 ans, les travailleurs sont aux prises avec une inflation de 11% et des hausses de prix après la guerre en Ukraine. Ayant déjà été mis à rude épreuve en raison du gel des salaires pendant la pandémie, l’apparition de nouvelles circonstances économiques difficiles a gravement affecté le niveau de vie, au point que beaucoup considèrent cette grève comme une nécessité. 

Le gouvernement considère la crise du coût de la vie comme un problème survenu il y a un an. L’Office for Budget Responsibility craint que la baisse du pouvoir d’achat des ménages anéantisse les huit dernières années de croissance. Face à ces circonstances menaçant de ramener l’économie britannique à 2013, le gouvernement est dans l’impasse quant à la manière de gérer les grèves qui ont été délibérément coordonnées pour arrêter la marche du pays. 

« Le premier ministre ne peut pas se permettre de maintenir obstinément une ligne dure sur les grèves et ainsi que les perturbations qu’elles provoquent indéfiniment. » Zaid M. Belbagi 

Le gouvernement affirme que le cout de l’augmentation des salaires du secteur public en fonction du taux d’inflation serait de 28 milliards de livres sterling, soit 34 milliards de dollars (1 dollar = 0,94 euro). Selon le gouvernement, cette augmentation est insupportable et entrainerait probablement une nouvelle spirale de l’inflation. Bien qu’il ait accepté une augmentation de salaire de 15% pour les avocats et qu’il soit susceptible de parvenir à un accord avec les infirmières et d’autres travailleurs essentiels des secteurs clé, il ne peut pas se permettre d’augmenter les salaires à tous les niveaux et son objectif primordial est de maintenir les salaires dans un contexte de déficits budgétaires déjà élevés. Cependant, Downing Street se retrouve dans une impasse étant donné le marché du travail souffrant de pénuries chroniques après le Brexit. En parallèle, plus d’une décenie de coupes budgétaires et un manque de financement ont entrainé des charges de travail insoutenables dans tous les domaines, contribuant au mécontentement qui cause les grèves aujourd’hui. 

Dans un environnement politiquement plus stable, le gouvernement pourrait se permettre d’être robuste au cours des prochains mois. Or, le « gouvernement sans amis » de Sunak est chargé, et a été rassemblé pour recoller les morceaux après le mandat chaotiquement court de son prédécesseur, Liz Truss, dont le poste de premier ministre s’est effondré sous la mauvaise gestion des questions de coût de la vie. Dans de telles circonstances, le soutien du parti du Premier ministre ne tient qu’à un fil. 

La gestion par Sunak de ces conflits a suscité des critiques de la part des conservateurs qui s’inquiètent des perturbations causées par l’incapacité du gouvernement à mettre fin aux grèves. Les députés sont conscients que le gouvernement de James Callaghan ne s’est jamais remis de la perception qu’il avait perdu le contrôle au cours de l’hiver 1978-79, pour se renverser après quelques mois. Vu que l’on s’attend apes cette multitude de grèves à ce que le gouvernement soit finalement contraint de céder sur certaines questions, le Premier ministre ne peut se permettre de maintenir obstinément une ligne dure sur les grèves ainsi que les perturbations qu’elles provoquent indéfiniment. 

Dans les résultats d’un sondage publiés cette semaine, seuls 29% des adultes ont déclaré qu’ils considéraient les conservateurs comme le parti de la croissance économique. Seul un sur cinq prédit qu’ils seront réélus. Ces résultats inquiétants, les mettant au même niveau que les travaillistes, portent un coup à un parti qui s’appuie sur les références économiques. La croissance d’un tel sentiment exercera une pression supplémentaire sur Sunak, afin qu’il parvienne à un accord avec les grévistes. 

Il est indéniable que la Grande-Bretagne est frappée par des grèves et une crise du cout de la vie. Le gouvernement subit ainsi une forte pression. Or, alors que le pays se prépare à de nouvelles grèves, leur impact sur l’opinion publique sera déterminant. Les grèves ne peuvent se poursuivre qu’avec le soutien du public, mais après des semaines de perturbations, l’opinion publique est vouée à s’affaiblire et le soutien à certaines actions revendicatives ne sera pas durable. Le gouvernement compte donc sur l’action prévue pendant la période de Noel afin de s’aliéner suffisamment la population et que de nouvelles grèves soient annulées – un pari que ne réussira que si le gouvernement ne fait pas face à une rébellion de ses propres députés au préalable. 

  • Zaid M. Belbagi est un commentateur politique et un conseiller de clients privés entre Londres et la région du CCG. 

Twitter : @Moulay_Zaid 

NDLR : L’opinion exprimée dans cette section est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d'Arab News en français.

 

 

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com