L'extrême droite a déjà subverti le système judiciaire israélien

Itamar Ben-Gvir (D) discute avec Benjamin Netanyahou (G) lors de la cérémonie de prestation de serment du nouveau gouvernement israélien (Photo, AFP).
Itamar Ben-Gvir (D) discute avec Benjamin Netanyahou (G) lors de la cérémonie de prestation de serment du nouveau gouvernement israélien (Photo, AFP).
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Publié le Vendredi 30 décembre 2022

L'extrême droite a déjà subverti le système judiciaire israélien

L'extrême droite a déjà subverti le système judiciaire israélien
  • Pour Benjamin Netanyahou, subordonner le système judiciaire à la volonté des politiciens, c'est se donner les moyens de faire échouer son procès
  • Quel que soit le point de vue, les dommages causés à la démocratie israélienne seront irréparables et le conflit avec les Palestiniens s'intensifiera

Si, à la fin du mandat du nouveau gouvernement israélien, le système judiciaire se retrouve affaibli au point d'être méconnaissable, et avec lui le système démocratique du pays, la responsabilité en incombera au Premier ministre désigné, Benjamin Netanyahou. Irresponsable et sans scrupules, il cède aux exigences antidémocratiques et corrompues de ses futurs partenaires ultraorthodoxes de coalition d'extrême droite, au détriment de l'avenir d'Israël en tant que démocratie libérale et de la perspective de vivre en paix avec ses voisins, notamment les Palestiniens.

La motivation de M. Netanyahou pour rester au pouvoir est aussi claire que le jour. Au-delà de sa conviction erronée qu'il n'y a personne de plus apte que lui à occuper ce poste, sa principale préoccupation est de mettre un terme au procès pour corruption qui pourrait bien le conduire en prison. À cette fin, il est prêt à sacrifier l'avenir du pays. Pour Benjamin Netanyahou, subordonner le système judiciaire à la volonté des politiciens, c'est se donner les moyens de faire échouer son procès; pour ses partenaires, notamment certains membres de son propre parti, le Likoud, il s'agit d'une position idéologique qui nécessite une distorsion délibérée du système démocratique et un équilibre des pouvoirs. Leur perception du pouvoir est que ceux qui gagnent les élections ont un contrôle total et sont dans leur droit de modifier unilatéralement le système de gouvernance.

En Israël, et dans d'autres parties du monde, la droite confond délibérément l'établissement d'un ordre du jour basé sur le programme que les partis ont présenté à l'électorat pendant la campagne électorale avec le changement des règles du jeu et la compromission du système même qui a été le moyen par lequel ils ont obtenu le pouvoir en premier lieu. Pour parler d'évidence, bien que cela ne soit pas le cas pour M. Netanyahou et ses alliés politiques, les lois, en particulier celles qui ont un poids constitutionnel, sont là pour servir le pays tout entier et transcender tout gouvernement spécifique, et encore plus pour empêcher le système politique de servir les intérêts particuliers des individus. Le sans-gêne de la coalition en attente ne connaît aucune limite, et déjà, afin de former le prochain gouvernement, elle piétine toutes les normes de bonne gouvernance et de décence dans la vie publique.

En guise de premier acte, elle a voté pour un nouveau président temporaire de la Knesset afin de faire passer des lois qui se moquent de la bonne gouvernance. La première loi adoptée par la nouvelle Knesset a été conçue pour modifier les lois fondamentales quasi constitutionnelles d'Israël afin de permettre au chef du parti Shas, Aryeh Deri, de siéger au Conseil des ministres malgré sa récente condamnation à une peine de prison avec sursis pour fraude fiscale. La loi initiale interdisait aux criminels condamnés de siéger au gouvernement pendant sept ans. Pour commencer, nommer quelqu'un au gouvernement avec une telle condamnation, qui plus est récente, est tout simplement une erreur, et encore plus si cette personne a déjà purgé une peine de prison pour corruption, comme c'est le cas de M. Deri – il a été condamné à trois ans de prison en 2000 pour avoir accepté 155 000 dollars (1 dollar = 0,94 euro) de pots-de-vin alors qu'il était ministre de l'Intérieur. Les citoyens ordinaires ayant un tel casier judiciaire auraient du mal à trouver un emploi, et encore moins un poste où on leur confie de l'argent. Aryeh Deri a été désigné pour prendre en charge deux ministères qui ont des budgets importants de plusieurs milliards de shekels (1 shekel = 0,27 euro). Pire encore, une loi ne devrait jamais être une loi personnelle, mais représenter un principe universel ou un code de comportement, mais dans ce cas précis, elle porte le nom d'une seule personne.

La police aura l’aval direct du ministre pour intensifier son odieux harcèlement des civils palestiniens innocents

Yossi Mekelberg

Une autre loi vise à renforcer le pouvoir du ministre de la Sécurité nationale désigné par l'extrême droite, Itamar Ben-Gvir, sur la police, notamment en subordonnant le chef de la police israélienne au ministre, ce qui met un terme, à toutes fins utiles, à l'indépendance de la police dans l'ouverture et la conduite des enquêtes.

Si l'on considère que M. Ben-Gvir lui-même a déjà été condamné pour des délits criminels, et qu'il est en tête de file des plus extrémistes parmi les colons qui agressent régulièrement les Palestiniens et détruisent leurs biens, la police aura l’aval direct du ministre pour intensifier son odieux harcèlement des civils palestiniens innocents. Si l'on ajoute à cela une loi autorisant le transfert des pouvoirs de gouvernance civile en Cisjordanie à un nouveau chef du ministère de la Défense, qui devrait être le chef du parti sioniste religieux, Bezalel Smotrich, lui-même un colon favorable à l'annexion de toute la Cisjordanie, on ne peut que s'attendre à des mesures encore plus oppressives à l'encontre des Palestiniens dans les territoires occupés, qui leur rendront la vie impossible.

Dans un acte de pure folie, Itamar Ben-Gvir avance également une législation qui accorderait l'immunité à la police et aux soldats israéliens contre toute enquête ou action en justice à leur encontre pour tout comportement illégal présumé lors d'opérations et d'affrontements avec des Palestiniens. Les premiers à exprimer leurs inquiétudes à ce sujet ont été les hauts responsables de la sécurité, qui ont fait remarquer qu'une telle mesure pourrait envoyer de mauvais messages aux officiers et soldats de rang inférieur, en particulier ceux qui sympathisent avec l'extrême droite ultranationaliste et religieuse d'Israël. Elle supprime également le prétexte d'un système de justice qui traite les crimes des soldats contre ceux dont Israël a occupé les terres. En conséquence, elle incitera la communauté internationale à demander justice pour les Palestiniens en inculpant le personnel de sécurité israélien devant la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye.

Ces projets de loi, ainsi que la demande de tous les membres de la nouvelle coalition d'une loi donnant au gouvernement le pouvoir d'abroger les décisions de la Haute Cour de justice, ce qui mettrait fin au pouvoir de la cour d'annuler la législation et de casser toute décision gouvernementale qui violerait les droits fondamentaux de la population tels que définis dans les lois fondamentales d'Israël, sont une source de profonde inquiétude pour l'état de la démocratie israélienne. Le procureur général du pays, Gali Baharav-Miard, a averti à juste titre que si ce projet de loi était adopté, Israël ne serait plus qu'une «démocratie de nom». Des voix de plus en plus nombreuses, y compris celles de personnalités du monde de la haute technologie et d'autres ténors de l'économie, s'élèvent pour avertir que la remise en cause du système judiciaire ou des droits des minorités pourrait avoir «des conséquences dévastatrices pour l'économie en général, et l'industrie de la haute technologie en particulier», et constituer ainsi une menace existentielle pour Israël.

Il s’agit peut-être du début de la riposte des forces progressistes du pays pour la défense de sa démocratie, et cela pourrait également signifier que ces attaques contre elle seraient liées aux maux de l'occupation et au blocage de millions de personnes, mais ces forces sont actuellement sur la défensive. En attendant, on peut aisément comparer l'extrême droite à un enfant dans un magasin de bonbons qui s'empare de tout ce qu'il trouve, mais cela ressemble plutôt à un éléphant dans un magasin de porcelaine. Quel que soit le point de vue, les dommages causés à la démocratie israélienne seront irréparables, le conflit avec les Palestiniens s'intensifiera, tout comme les frictions avec la communauté internationale, y compris avec les amis et les alliés proches du pays.

 

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du programme MENA à Chatham House. Il contribue régulièrement à la presse écrite et électronique internationale.

Twitter : @YMekelberg

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.