DUBAÏ: L’artiste Souad al-Attar, née à Bagdad, est une pionnière pour les femmes de son pays natal. Dans les années 1960, alors qu’elle était toujours adolescente, elle devient la première artiste féminine à organiser une exposition personnelle en Irak.
Ses peintures mystiques, qui évoquent les thèmes de l’amour, de la perte et du désir, ont été acquises depuis par le British Museum et par l’Arab Museum of Modern Art. Elles sont exposées à la Leighton House, au Barbican Centre et, dans la capitale française, à l’Unesco.
Aujourd’hui, Nesma Shubber, la petite-fille de l’artiste, une historienne de l’art qui habite au Royaume-Uni, publie une monographie de cent images qui retrace la vie et la carrière de sa grand-mère. Elle se fonde sur des entretiens qu’elle a eus avec cette dernière, qui, octogénaire aujourd’hui, n’a rien perdu de son énergie artistique.

«Entrer dans son appartement et la voir peindre ces chefs-d’œuvre est un très grand privilège», confie la petite-fille de l’artiste à Arab News.
Souad al-Attar semblait destinée à être artiste. Lorsqu’elle était enfant, sa mère, qui a brièvement étudié la peinture à Beyrouth, a offert à sa fille sa propre boîte de peinture. Son frère l’accompagnait également à l’occasion de promenades au bord de la rivière. Là, elle dessinait et peignait des couchers de soleil.
Sa défunte sœur Layla était également une figure importante de la scène artistique irakienne. Cette créatrice talentueuse a été la directrice du Musée national d’art irakien.
Avec l’approbation de ses parents, Souad a réussi à transformer une pièce de leur domicile en studio improvisé. «De son propre aveu, elle ne serait pas vraiment allée aussi loin dans le monde de l’art si ses parents ne l’avaient pas constamment encouragée et soutenue», confie sa petite-fille.

En 1957, l’artiste expose son travail lors de la cérémonie qui célèbre la fin de ses études secondaires. Cet événement l’aide à prendre confiance en elle, à une époque où le pays était en plein essor culturel. «L’Irak, à cette époque, était l’un des pays pionniers du Moyen-Orient en matière de création et de production artistiques», explique Nesma Shubber. «Je pense que, lors de cette première exposition, elle a vraiment eu l’impression de faire partie d’un mouvement. Elle se préparait à vivre une expérience formidable.»
L’année 1976 a constitué pour elle un véritable tournant. Comme beaucoup d’autres Irakiens, sa famille a quitté le pays, emménageant au Royaume-Uni. Depuis, elle vit et travaille à Londres. L’éloignement de son pays natal a eu une incidence majeure sur son art, tout comme les décennies de conflit auxquelles il a fait face.
L’invasion américaine de l’Irak en 2003 était la principale source d’inspiration de ses dessins au crayon particulièrement expressifs et de ses aquarelles qui représentent des femmes en train de hurler alors que les bombes tombent. «Elle a en quelque sorte répété ce dessin. Je pense que c’était ancré dans son esprit», souligne sa petite-fille.

En général, cependant, les peintures de Souad al-Attar transportent le spectateur dans un univers paisible et onirique traversé d’amoureux unis, de créatures mythologiques, de visions idylliques de l’Irak et de jardins paradisiaques.
Son travail est souvent symbolique et recourt à des motifs de l’histoire mésopotamienne. Son utilisation de tels éléments, qui renvoient à une époque de gloire antique, est particulièrement accrue pendant les années 1990, une décennie particulièrement turbulente, puisqu’elle coïncide avec le déclenchement de la guerre du Golfe. C’est un rappel nostalgique de ce qui fut autrefois.
Les œuvres de Souad al-Attar sont empreintes d’une grande mélancolie. Au dos d’une toile créée en 2000 et intitulée Tendre étreinte, elle écrit ces quelques vers d’un poème arabe:
«Combien de larmes avons-nous versées la nuit où nous nous sommes séparés,
Justifiant notre chagrin en disant: “Ce n’est que la pluie”?»

Bien que Souad al-Attar soit bien connue dans le monde arabe, elle n’a jamais recherché la reconnaissance internationale. «Elle n’a jamais recouru à des relations publiques ou aux services d’un manager», raconte sa petite-fille. «Elle m’a dit qu’elle ne le regrettait pas. Ce qu’elle recherche ne correspond pas à ce besoin.»
Dans le cadre de ses recherches et pour retrouver des entretiens avec sa grand-mère dans le cadre de sa monographie de 216 pages, Nesma Shubber a parcouru d’anciens catalogues et a passé en revue les invitations aux différentes expositions. Le livre comprend une sélection de clichés vintage de Souad al-Attar. On la voit arborant une chevelure volumineuse, ses yeux clairs mis en valeur avec un crayon Khôl. «De toute évidence, c’est une personne très élégante», souligne Nesma. «Elle ne fait pas preuve d’élégance seulement dans ses toiles. Elle l’est aussi à travers le design, le style et la couleur, tant sur le plan personnel que dans sa maison.»
Pour Nesma, avoir travaillé sur ce livre est un moyen de réaffirmer ce qu’elle a toujours perçu chez sa grand-mère. «Ce qui m’impressionne le plus, c’est de prendre conscience de la richesse de son œuvre. Elle a créé tant de toiles», confie-t-elle. «C’est sa nature même. Elle est née pour le faire.»
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com