Macron et Blinken rappellent Netanyahou à l’ordre

Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, préside la réunion hebdomadaire du gouvernement à Jérusalem, le 12 février 2023 (Photo, AFP).
Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, préside la réunion hebdomadaire du gouvernement à Jérusalem, le 12 février 2023 (Photo, AFP).
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Publié le Vendredi 17 février 2023

Macron et Blinken rappellent Netanyahou à l’ordre

Macron et Blinken rappellent Netanyahou à l’ordre
  • Antony Blinken n’a pas invité Benjamin Netanyahou à la Maison-Blanche, ce qui montre clairement que Washington tient l’actuel gouvernement israélien à distance
  • L’ambassadrice d’Israël avait déjà démissionné dès la formation de l’actuel gouvernement israélien, pour protester contre ce qu’elle qualifie de «violation des principes de la déclaration d’indépendance d’Israël»

En observant le comportement du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, on remarque qu’il donne l’impression d’être un caméléon politique, plutôt qu’une personne avec un système de croyances et de valeurs bien établi. Il plaidera avec conviction et passion pour la même cause et les mêmes politiques qu’il combattra plus tard avec autant de ferveur et de zèle. Cela correspond à la manière dont il traite ses alliés et conseillers politiques, qu’il rejette brusquement chaque fois que leurs services ne sont plus utiles ou qu’ils constituent une menace pour lui. Ce ne sont pas des qualités très attrayantes. M. Netanyahou aurait dû être écarté il y a bien longtemps, mais au lieu de cela, il est toujours au pouvoir et il a servi pendant plus d’années en tant que Premier ministre d’Israël que tout autre dirigeant.

Un autre aspect frappant de son comportement de caméléon est la différence remarquable entre la façon dont il agit en tant que politicien dans son pays et la manière dont il se comporte sur la scène mondiale, mobilisant les compétences en anglais qu’il a acquises en suivant la majeure partie de sa formation aux États-Unis. Alors qu’il a déployé beaucoup d’efforts à l’international pour se forger une image – bien que peu justifiée – d’homme d’État et de penseur stratégique, dans son pays, il est l’un des politiciens les plus mesquins, les plus manipulateurs, les plus autoritaires, les plus immoraux et les plus inflexibles.

Ces caractéristiques sont devenues encore plus visibles depuis que la police a commencé à enquêter sur ses agissements présumés de corruption et elles ont été exacerbées par les actes d’accusation. En effet, il est actuellement jugé pour trois affaires de fraude, de corruption et d’abus de confiance. Pour garantir sa survie au pouvoir, il doit parvenir à mettre fin à son procès, qui menace de le jeter en prison. Cependant, comme tous les Houdinis autoproclamés, il a dû améliorer son jeu (en faisant preuve de toujours plus de bassesse) et trouver de nouvelles astuces pour masquer ses défauts personnels et sauver sa carrière. Il l’a fait au moyen d’un populisme implacable, avec le soutien de ses dangereux acolytes et flagorneurs. Il cherche à affaiblir au maximum le système judiciaire israélien et à détruire ce qui pourrait être le dernier bastion de la démocratie israélienne.

À sa grande surprise, cependant, ses attaques brutales contre les freins et contrepoids du système démocratique ont réveillé de leur apathie les Israéliens ordinaires, qui descendent dans les rues par dizaines de milliers chaque samedi soir pour protester contre les actions et les intentions de M. Netanyahou. Leurs appels ont été plus récemment repris par certains amis démocrates proches d’Israël au sein de la communauté internationale. Cela a été très clairement exprimé en l’espace de quelques jours par le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, lors de sa récente visite en Israël et en Palestine, ainsi que par le président français, Emmanuel Macron, lors de la visite à Paris de Benjamin Netanyahou.

M. Blinken s’est écarté du protocole diplomatique et, entre réprimande et avertissement dans le cadre d’une déclaration conjointe avec M. Netanyahou, il a énuméré un ensemble de valeurs et de principes démocratiques que les deux pays partagent, du moins en théorie, comme le respect des droits de l’homme, l’administration égale de la justice pour tous, l’égalité des droits des groupes minoritaires, l’État de droit, une presse libre et une société civile solide. Tous ces éléments sont menacés par le gouvernement israélien actuel.

Antony Blinken a déclaré que «les deux pays reconnaissent que la mise en place d’un consensus pour de nouvelles propositions est le moyen le plus efficace de s’assurer qu’elles soient adoptées et qu’elles perdurent», saluant le dynamisme de la société civile israélienne qui est «clairement visible ces derniers temps» – cette même société civile qui défile dans les rues chaque semaine pour protester contre les propositions du gouvernement visant à paralyser le système judiciaire.

«En compromettant les fondements démocratiques qui ont contribué à forger un lien entre Israël, les États-Unis et l’Europe, Benjamin Netanyahou met en péril les relations de son pays avec ces deux entités.» - Yossi Mekelberg

Ce que M. Blinken n’a pas proposé à Benjamin Netanyahou, c’est une chose très convoitée par tous les Premiers ministres israéliens: une invitation à visiter la Maison-Blanche. C’est le signe évident que Washington tient le gouvernement israélien actuel à distance. De même, le quotidien français Le Monde rapporte que le président Macron a indiqué au Premier ministre israélien qu’en cas d’adoption de la législation proposée, «la France supposera qu’Israël s’est déconnecté de la perception démocratique des deux pays». Ces propos ont été tenus lors d’une visite à Paris; une capitale depuis laquelle l’ambassadrice d’Israël avait déjà démissionné dès la formation de l’actuel gouvernement israélien, pour protester contre ce qu’elle qualifie de «violation des principes de la déclaration d’indépendance d’Israël et de la vision d’Israël en tant qu’État juif et démocratique».

Tout cela aurait dû être plutôt inconfortable pour M. Netanyahou, mais dans son esprit, qui se détache de plus en plus de la réalité, il croit pouvoir éviter toute critique internationale, comme il l’a fait tout au long de son mandat. De plus, il estime que de telles critiques mondiales renforcent sa réputation de défenseur des intérêts et de l’indépendance d’Israël face à un environnement international hostile. À ce stade de sa carrière, il préfère faire quotidiennement face à des défis à l’étranger plutôt que traiter avec certains personnages désagréables de son gouvernement, avec lesquels il partage un mépris mutuel. Seule la soif de pouvoir maintient cette coalition.

Dans le passé, il a trouvé la critique internationale très utile tant qu’elle n’était pas suivie de politiques punitives. Cela lui a permis de renforcer son image de dirigeant dur et patriotique qui fait ce qui est juste pour le pays et son peuple, indépendamment de ce que le monde dit, mais aussi comme prétexte pour traîner les pieds sur des politiques que des partenaires plus belliqueux du gouvernement le pressent de poursuivre. On peut citer, à titre d’exemples, l’expansion des colonies, l’annexion de la Cisjordanie ou même l’autorisation d’opérations terrestres massives à Gaza. Il a entravé de telles propositions sous prétexte qu’Israël n’aimerait pas se brouiller avec ses amis et alliés dans le monde, en particulier les États-Unis.

Dans une certaine mesure, cette approche fondée sur les propos contradictoires a plutôt bien fonctionné pour lui dans le passé, mais avec ses nouveaux partenaires et leurs appétits anti-démocratiques et antipalestiniens inassouvis, cette vieille astuce pourrait ne plus fonctionner, d’autant plus que Benjamin Netanyahou est personnellement affaibli par son procès pour corruption. En compromettant les fondements très démocratiques, bien que fragiles, qui ont contribué à forger un lien fort entre Israël, les États-Unis et l’Europe, il met en péril les relations de son pays avec ces deux entités.

Le principal défi de M. Netanyahou, auquel nombre de ses partenaires de coalition sont totalement sourds, est l’intensité avec laquelle les principaux alliés d’Israël surveillent la situation actuelle, craignant ce qu’il adviendra de la société israélienne et l’impact que cela aura sur les relations avec les Palestiniens ainsi que sur la stabilité régionale. Benjamin Netanyahou pourrait exploiter la réprimande de MM. Blinken et Macron pour freiner l’enthousiasme de ses partenaires à détruire la démocratie israélienne, mais il se peut également qu’il soit un dirigeant trop faible pour le faire.

 

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.

Twitter: @Ymekelberg

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com