Les théories du complot «cubique» n'arrêteront pas les réformes saoudiennes

Le Mukaab est considéré comme le plus grand bâtiment de centre-ville au monde. (Photo fournie)
Le Mukaab est considéré comme le plus grand bâtiment de centre-ville au monde. (Photo fournie)
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Publié le Jeudi 23 février 2023

Les théories du complot «cubique» n'arrêteront pas les réformes saoudiennes

Les théories du complot «cubique» n'arrêteront pas les réformes saoudiennes
  • L'Arabie saoudite doit poursuivre ses réformes, porteuses de progrès et de projets de développement ambitieux
  • L’islam n'a atteint son âge d'or que lorsqu'il a inclus toutes les cultures et encouragé la recherche, la philosophie et l'architecture

En juillet 2006, une histoire terrible circulait sur l'Electronic Muntadayat («forums web», l’ancêtre des réseaux sociaux modernes). L'islam était, selon la rumeur, directement insulté par la construction d'une nouvelle Kaaba à New York. Ce bâtiment en forme de cube ne serait pas destiné aux croyants, mais il abriterait plutôt une boîte de nuit ouverte 24h/24 et 7j/7. Le projet ayant pour objectif de devenir «La Mecque» de New York.

Le jeune journaliste d’Asharq al-Awsat que j'étais se devait d’aller au fond de cette histoire. On apprit vite qu'il ne s'agissait ni d'une boîte de nuit ni d'une copie de la Kaaba, mais plutôt d'un magasin Apple en forme de cube.

Il s’est avéré plus tard que l’entrée du magasin était en verre. Mais les images qui avaient circule au préalable, alors que le verre était encore couvert d’une couche protectrice noire, ont provoqué un tollé qui n’avait pas lieu d’être, mais qui a quand même créé une polémique à cause de la ressemblance entre le cube noir et la Kaaba.

À gauche: un voile noir couvre le cube en verre, futur Apple store new-yorkais en construction. À droite: le bâtiment achevé, illuminé en soirée (Photo fournie).

À cette époque, quelques années seulement après le 11-Septembre, les émotions étaient exacerbées et les extrémistes religieux lançaient chaque jour d’horribles fatwas contre l’Occident. Ce type d'histoires montées de toutes pièces servaient ce genre de discours et alimentaient la haine.


Dix-sept ans plus tard, il est étonnant de voir que malgré les immenses progrès technologiques et d'accès à l'information, les discours de haine et les idées extrémistes persistent. Il suffit d'observer les réactions sur les réseaux sociaux à l'annonce du développement d'un nouveau centre-ville à Riyad par le Fonds d’investissement public saoudien. La ressemblance avec la précédente histoire est frappante.

C'est le «Mukaab», une énorme structure en forme de cube au cœur du nouveau projet qui a provoqué l'ire de Twitter. Selon certains théoriciens du complot, ce bâtiment en construction au cœur de la capitale saoudienne ressemble lui aussi de trop près à la Kaaba. Il aurait de plus été secrètement conçu pour éclipser l'aura du sanctuaire le plus sacré de l'islam à La Mecque, à proximité de celui-ci, en offrant un bâtiment beaucoup plus grand, spécialement conçu pour le divertissement, la restauration et le commerce.

Nul besoin, je l'espère, de démontrer le ridicule de telles affirmations. Tout d'abord, l'islam ne détient pas le monopole des objets en forme de cube. Je suis prêt à parier que les créateurs de Star Trek ne pensaient pas vraiment à La Mecque lorsqu'ils ont conçu le cube Borg, pas plus que l'inventeur hongrois Erno Rubik lorsqu'il a créé son célèbre puzzle 3-D. Prêter une telle intention à ce monument est ridicule.

L'Arabie saoudite, dont le souverain porte le titre officiel de Gardien des deux Saintes Mosquées, peut se passer du soutien des trolls des réseaux sociaux quant à son engagement à servir cette grande religion. Les immenses efforts que fournit l'Arabie saoudite pour servir des millions de pèlerins, pour construire et restaurer des mosquées, sans compter les milliards dépensés en aide humanitaire aux pays musulmans, parlent d'eux-mêmes.

Le retournement de situation opéré entre ces deux histoires est fascinant. Le théâtre de l'odieux complot n'est plus les États-Unis, terre des «infidèles». Il s'agit cette fois du berceau de l'islam, l'Arabie saoudite.

Les raisons de ces allégations sont bien évidemment de discréditer et de jeter le doute sur les réformes massives que le prince héritier, Mohammed ben Salmane, a mises en place. La vérité est simple: les extrémistes en Arabie saoudite et ailleurs ne veulent pas accepter le fait que les femmes puissent conduire, qu'elles ont été libérées des lois précédentes sur la tutelle et qu'elles sont désormais des ambassadrices, des avocates et des médecins. Ces extrémistes veulent une Arabie saoudite d'inspiration talibane, où les femmes sont opprimées, n’ont pas le droit d'étudier ou d'avoir un emploi, et n'existent qu'en tant que citoyennes de seconde zone se devant pour la plupart de rester à la maison.


La plus grande menace pour l'islam n'est pas un bâtiment en forme de cube. Bien plus dangereux est un esprit fermé.
                                                                            Faisal J. Abbas

Les extrémistes ne veulent ni musique ni concerts, et ils semblent oublier que le prophète Mahomet lui-même – paix et salut sur lui – a été accueilli par des chants et des tambours lorsqu'il est allé de La Mecque à Médine. Les extrémistes rejettent même le patronyme à consonance étrangère «Downtown» donné au projet, symbole pour eux d'une «occidentalisation rampante».
Ils semblent oublier que de nombreuses «idées occidentales» tirent leur origine de l’arabe. Prenez le mot «algorithme», par exemple. Il provient en fait du nom «Al-Khwarizmi», un scientifique auteur d'ouvrages influents en mathématiques, en astronomie et en géographie. Il a été astronome et bibliothécaire en chef de la célèbre Maison de la sagesse à Bagdad. Pouvez-vous imaginer l'état du monde si l'Occident avait été assez aveugle pour interdire à ses scientifiques d'étudier et de bénéficier de la recherche et du savoir arabes? Les complotistes ne pourraient pas non plus utiliser ces réseaux sociaux qu'ils affectionnent tant, sans algorithme.

L'Arabie saoudite doit poursuivre ses réformes, porteuses de progrès et de projets de développement ambitieux. Après tout, la plus grande menace pour l'islam n'est pas un bâtiment en forme de cube. Bien plus dangereux est l'esprit fermé qui refuse de reconnaître que cette religion n'a atteint son âge d'or que lorsqu'elle a inclus toutes les cultures et encouragé la recherche, la philosophie et l'architecture – utilisées puis transmises à l'Occident.




Faisal J. Abbas est le rédacteur en chef d'Arab News. Twitter : @FaisalJAbbas
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com