Les habitants de Khan Al-Ahmar ont besoin du soutien du monde entier

La communauté bédouine de Khan Al-Ahmar, en Cisjordanie. (AP)
La communauté bédouine de Khan Al-Ahmar, en Cisjordanie. (AP)
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Publié le Mardi 28 février 2023

Les habitants de Khan Al-Ahmar ont besoin du soutien du monde entier

Les habitants de Khan Al-Ahmar ont besoin du soutien du monde entier
  • Il y a quelques années, à la veille de la pandémie de Covid-19, en compagnie de militants de la paix et les droits de l'homme, j'ai rendu visite aux habitants de Khan Al-Ahmar
  • L'un des fondateurs de Regavim est l'actuel ministre d'extrême droite Bezalel Smotrich, ce qui nous dit tout ce que nous devons savoir sur ses véritables intentions

Il est paradoxal que, en ce moment même, alors que le gouvernement israélien d'ultradroite s'attaque à l'un des fondements du système démocratique – celui de l'équilibre des pouvoirs –, la Cour suprême, considérée comme le dernier bastion des droits de l'homme et des libertés individuelles du pays, n’apparaisse pas comme la forteresse de justice qu'elle devrait être lorsqu'il s'agit des Palestiniens des territoires occupés. Au lieu de cela, elle s’occupe d’enregistrer les violations de leurs droits humains les plus fondamentaux.

Au début du mois, cette cour, siégeant en sa qualité de Haute Cour de justice, la plus haute instance d'appel, a réprouvé le nouveau délai récemment demandé par le gouvernement, le neuvième au total, pour l'exécution de l'ordre de la cour qui consiste à expulser les résidents du village bédouin, de Khan Al-Ahmar, en Cisjordanie, qu’elle considère comme illégal.

Dans ce cas, non seulement la plus haute juridiction du pays n'a fait aucun effort pour mettre un terme à ce qui pourrait être tenu pour un crime de guerre, mais, en totale violation du droit international, sans même parler de la justice naturelle, elle a ordonné au gouvernement d'aller de l'avant.

Il y a quelques années, à la veille de la pandémie de Covid-19, en compagnie de militants de la paix et les droits de l'homme, j'ai rendu visite aux habitants de Khan Al-Ahmar. Ils nous ont réservé un accueil magnifique et ont tenu à ce que nous les entendions parler de leurs difficultés, des menaces d'expulsion et du harcèlement exercé par les colons.

Khan Al-Ahmar est une minuscule communauté d'environ deux cents personnes issues de trente-huit familles de la tribu bédouine Jahalin, située dans une région vallonnée de Cisjordanie, à l'est de Jérusalem. Elle ne représente une menace pour personne, mais doit faire face à la fois à la puissance de l'armée israélienne et à l’avidité des colons israéliens qui veulent davantage de terres. Le village se trouve sur un terrain d'à peine 40 dunams (environ 40 000 mètres carrés) près des colonies de Ma'ale Adumim et Kfar Adumim. Ses habitants, qui vivent dans des tentes et des cabanes de fortune ainsi que dans des caravanes financées par l'Union européenne – l’une d’elles est une école –, comptent parmi les plus pauvres de Cisjordanie.

Les Jahalin ont eu plus que leur part de souffrance dans l'interminable conflit israélo-palestinien. Avant la guerre de 1948, ils vivaient dans la région de Tel Arad, dans le désert du Néguev, situé dans l'actuel État d'Israël. Mais, au lendemain de cette guerre, l'armée israélienne les a forcés à quitter leur village et à traverser la frontière du cessez-le-feu pour se rendre en Cisjordanie. C'est là qu'ils sont restés et qu'ils gagnent leur vie, même si c'est peu, malheureusement, en faisant paître leur bétail, sans nuire à personne.

Dans le cas de Khan Al-Ahmar, le gouvernement israélien veut avoir le beurre et l'argent du beurre. Il parle fermement d'évacuer les Palestiniens de la zone C, la partie de la Cisjordanie qui est sous le contrôle direct et complet d'Israël, mais il a indéfiniment retardé cette mesure en raison d’une indignation internationale tout à fait justifiée. Il s'est toutefois empêtré dans des nœuds politiques et juridiques lorsque Regavim, une organisation non gouvernementale de droite, est entrée en scène.

L'un des fondateurs de Regavim est l'actuel ministre d'extrême droite Bezalel Smotrich, ce qui nous dit tout ce que nous devons savoir sur ses véritables intentions. Il veut forcer le gouvernement, par le biais de la Haute Cour de justice, à mettre en œuvre sa décision d'expulser les résidents de Khan Al-Ahmar. Regavim prétend qu'il est motivé par le désir de faire respecter la loi, ce qui est très fort de la part d'un mouvement de colons illégaux. Si la charité commençait par soi-même, l'association devrait plutôt surveiller la situation pour s'assurer que ses colons cessent de s'emparer de terres qui ne leur appartiennent pas et prennent des mesures pour mettre fin à leurs agressions violentes contre la population.

La plus haute juridiction d'Israël a ordonné au gouvernement de poursuivre ce qui pourrait être considéré comme un crime de guerre.

Yossi Mekelberg

Regavim a réussi à obtenir des juges qu'ils critiquent le gouvernement pour avoir continué à retarder l'expulsion de ce village tout en autorisant les autorités à ajourner encore les expulsions de deux mois seulement, et non de quatre comme elles le demandent habituellement. C'est un triste reflet du genre de justice – ou d’injustice – que les Palestiniens peuvent attendre des tribunaux israéliens. Il est inquiétant de constater que des organisations telles que Regavim, ainsi que leurs alliés belliqueux au sein du gouvernement, aient si peu de scrupules vis-à-vis des Palestiniens. Ils entraînent le pays tout entier dans leur chute.

Dans le tableau général d'une occupation cruelle et insensible à la souffrance humaine, le cas de Khan Al-Ahmar, bien qu'il ne soit pas isolé, se distingue dans la mesure où il symbolise la nature arbitraire du contrôle exercé par Israël sur la vie des Palestiniens ordinaires, sans aucune compassion, en toute impunité. Cet acharnement de l'une des forces militaires les plus puissantes du monde contre l'une des communautés palestiniennes les plus pauvres et les plus impuissantes de la région de Khan Al-Ahmar est une véritable disgrâce.

En outre, il est particulièrement honteux, car il est perpétré pour permettre l'expansion des colonies voisines dans la zone E1, qui est située entre Jérusalem et la colonie de Ma'ale Adumim, et vise à la rendre éventuellement disponible pour l'annexion. Malgré les pétitions répétées des villageois locaux auprès de la Cour suprême afin de freiner et d'empêcher le projet d'expulsion, les tribunaux ont continué à se prononcer contre eux.

L'injustice du traitement réservé aux Bédouins Jahalin de Khan Al-Ahmar a également suscité une réaction commune, rare, mais très appréciée, de la part de nombreux membres de la communauté internationale. Les chefs de mission et les représentants d’entités telles que la Belgique, le Brésil, le Danemark, l'Union européenne, la France, l'Allemagne, l'Irlande, l'Italie, le Japon, le Mexique, les Pays-Bas, la Norvège, l'Espagne, la Suède, la Suisse et le Royaume-Uni ont visité la communauté le mois dernier et ils ont publié une déclaration cinglante qui condamne ce projet qui vise à forcer les villageois à quitter leurs maisons.

Dans leur déclaration, ils ont réaffirmé que «la démolition du village et l'expulsion subséquente de ses résidents pourraient s'apparenter à un transfert forcé en violation de l'article 49 de la Convention IV de Genève». Ils ont ajouté que leur visite était l'occasion de rappeler aux autorités d'occupation israéliennes que la communauté internationale insiste pour les décourager de procéder à «des expulsions et des démolitions [qui] causent des souffrances inutiles. Nous demandons instamment à Israël de cesser de telles actions».

En l'absence de tout processus de paix significatif et donc de toute perspective de solution globale et juste au conflit israélo-palestinien, le moins que la communauté internationale puisse faire est de critiquer fermement l'abus de pouvoir des occupants israéliens dans leur traitement de l’ensemble des Palestiniens, en particulier des communautés vulnérables telles que les habitants de Khan Al-Ahmar.

Compte tenu de l'idéologie déformée qui est celle de nombreux membres de l'actuel gouvernement israélien, il faut s'attendre à ce que la pression qu’ils exercent pour expulser et démolir des communautés similaires atteigne un nouveau palier. Par conséquent, tous ceux qui croient en la justice et aux principes fondamentaux de l'humanité, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des frontières d'Israël, doivent s'opposer aux actions du gouvernement par tous les moyens légaux et diplomatiques.

 

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du programme Mena de Chatham House. Il contribue régulièrement à la presse imprimée et électronique internationale.
Twitter: @YMekelberg
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.