Le Royaume-Uni tente de se dissocier de la crise mondiale des réfugiés

Des manifestants s’opposent au projet de loi contre les réfugiés du gouvernement à Downing Street à Londres, le 18 mars 2023. (Reuters)
Des manifestants s’opposent au projet de loi contre les réfugiés du gouvernement à Downing Street à Londres, le 18 mars 2023. (Reuters)
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Publié le Dimanche 19 mars 2023

Le Royaume-Uni tente de se dissocier de la crise mondiale des réfugiés

Le Royaume-Uni tente de se dissocier de la crise mondiale des réfugiés
  • La dernière tentative impitoyable du gouvernement britannique de détourner son inaptitude à convaincre le public britannique qu’il détient la solution aux difficultés actuelles du pays s’appelle le projet de loi sur la migration clandestine
  • Si cette législation conservatrice est adoptée, cela équivaudra à une interdiction d’asile au Royaume-Uni pour ceux qui arrivent de manière irrégulière, aussi authentique et convaincante que soit leur demande et sans tenir compte de leur situation personn

Dans le discours politico-social britannique, l’immigration est si profondément engluée dans la confusion, l’incompréhension, la désinformation et la xénophobie.

La dernière tentative impitoyable du gouvernement britannique de détourner son inaptitude à convaincre le public britannique qu’il détient la solution aux difficultés actuelles du pays s’appelle le projet de loi sur la migration clandestine, présenté par la ministre de l’Intérieur Suella Braverman, qui est hostile à l’immigration. Il s’agit non seulement d’une tentative de détourner l’attention de la performance globale du gouvernement, mais aussi de son incapacité à introduire une réponse holistique et globale à la question de l’immigration dans l’ère post-Brexit.

De son nom hypocrite à chaque détail de son contenu, ce projet de loi vise davantage à dissuader ceux qui ont des raisons claires et légitimes de demander l’asile politique au Royaume-Uni, voire à les punir cruellement, qu’à lutter contre la traite des êtres humains. C’est une tentative de mettre les demandeurs d’asile qui se tournent désespérément vers les passeurs et ces derniers qui les exploitent dans le même panier.

En défendant cette politique impitoyable, le gouvernement confond le fait de favoriser une politique d’immigration plus humaine et nuancée avec le soutien à l’activité illégale, et ce que le Parti conservateur considère comme le péché mortel de prôner l’ouverture complète des frontières. Inutile de le dire – mais pourtant nécessaire de le répéter – dans le discours toxique actuel sur l’immigration, à moins que l’on soit dans le business inhumain de la traite et de la contrebande d’êtres humains, qu’il n’y a aucun soutien pour cette activité illicite dans aucun secteur de la société britannique. De même, la simple suggestion qu’un pays  puisse se permettre d’ouvrir complètement ses frontières sans tenir compte de la capacité économique, des implications pour les services publics et de l’aptitude sociale, est ridicule.

Pourtant, même si nous nous opposons tous aux actes illégaux et que nous sommes dégoûtés par les passeurs malhonnêtes qui exploitent cyniquement des personnes désespérées pour leur extorquer d’énormes sommes d’argent, nous avons toujours besoin, en tant que démocratie libérale, d’une politique d'immigration humaine et sensée, en harmonie avec nos obligations internationales.

L’histoire montre que, depuis toujours, les gens migrent pour les mêmes raisons: trouver un refuge sûr et améliorer leur qualité de vie. Les petits bateaux ne constituent un danger que pour ceux qui y sont à bord en traversant la Manche, mais ce n’est qu’une manifestation de leur niveau de désespoir. Il y a parmi eux des migrants économiques, principalement d’Albanie, mais cela ne change rien au fait que les cinq principales nationalités qu’on retrouve sur ces petits bateaux sont des Afghans, des Iraniens, des Irakiens, des Syriens et des Érythréens, qui ont tous de très bonnes chances d’obtenir l’asile.

Il est tout simplement ahurissant qu’une grande puissance internationale – l’un des membres fondateurs de l’ONU et membre permanent du Conseil de sécurité – développe une telle hostilité, exprimée dans le langage le plus toxique, envers les étrangers en général, et en particulier envers les moins chanceux qui fuient les guerres et les persécutions.

Le Royaume-Uni tente de se dissocier de la crise mondiale des réfugiés et des personnes déplacées.

Yossi Mekelberg

Lorsque Suella Braverman, qui semble manquer d’empathie, affirme que la côte sud de l’Angleterre est «envahie» par des demandeurs d’asile, elle emploie délibérément un langage incendiaire, flirtant avec les médias de droite et manipulant les tendances xénophobes amplifiées par ces médias. C’est le langage du Brexit, qui a énormément contribué à la crise dans laquelle se trouve le Royaume-Uni, tandis que les conservateurs blâment tout et tout le monde sauf eux-mêmes pour les difficultés économiques, politiques et sociales actuelles, qui sont les résultats de leurs actes.

Le Royaume-Uni tente de se dissocier de la crise mondiale des réfugiés et des personnes déplacées qui n’est en aucun cas la faute des réfugiés eux-mêmes. Ils sont obligés d’essayer de survivre par tous les moyens possibles et nous devrions saluer leurs efforts et les aider plutôt que de les dénigrer alors qu’ils sont en situation de détresse.

C’est troublant de constater qu’en raison de l’instabilité politique inter et intra-étatique dans de nombreuses régions du monde, il y ait tant d’endroits qui ne soient pas sûrs pour un si grand nombre d’habitants. Selon l’agence des Nations unies pour les réfugiés, le HCR, actuellement 89,3 millions de personnes – soit une personne sur 97 à l’échelle de la population mondiale – ont été contraintes de quitter leur maison.

C’est deux fois plus qu’il y a dix ans et, par ailleurs, 40% des réfugiés sont des enfants. Mais, malgré l’affirmation selon laquelle, en raison de leur malheur, ils «envahissent» nos côtes occidentales, la grande majorité des personnes déplacées (85%) vivent désormais dans des pays en développement, principalement dans des nations voisines de leurs pays d’origine. Dans des endroits comme l’Afghanistan, l’Iran et l’Irak, entre autres, nous devons porter une partie de la responsabilité à la lumière de la situation difficile dans laquelle ces personnes se trouvent. En effet, historiquement, le Royaume-Uni a joué un rôle crucial en favorisant les circonstances qui ont conduit à leur besoin de chercher refuge.

Il n’est pas trop radical d’affirmer que le Royaume-Uni, en collaboration avec d’autres, doit créer une politique migratoire à plusieurs niveaux qui s’attaque aux causes profondes de la migration, qu’il s’agisse de l'insécurité due aux guerres ou à la persécution, ou encore de la pauvreté due au manque de développement. Résoudre de tels problèmes réduirait la détermination de s’aventurer dans un voyage dangereux et coûteux, en plus de toute la tristesse qui découle du fait de quitter sa maison et ses proches.

Si cette législation conservatrice est adoptée, cela équivaudra à une interdiction d’asile au Royaume-Uni pour ceux qui arrivent de manière irrégulière, aussi authentique et convaincante que soit leur demande et sans tenir compte de leur situation personnelle. Dans sa forme actuelle, le projet de loi prive les demandeurs d'asile de la sécurité et de la protection dont ils ont désespérément besoin, et même de la possibilité de faire valoir leur cause. Cela constituerait une violation manifeste de la Convention sur les réfugiés mais conduirait également à la détention et à l’expulsion, y compris celle des enfants.

Le gouvernement britannique est une fois de plus rattrapé par son propre discours anti-immigrés, malgré un besoin évident de main-d’œuvre migrante dans de nombreux secteurs de l’économie et surtout après les dommages causés au marché du travail par le Brexit. Et plutôt que le Premier ministre Rishi Sunak et son gouvernement se faisant passer pour des chevaliers en armure étincelante qui protègent les migrants des trafiquants d’êtres humains, ils devraient élaborer une politique d’immigration globale, nuancée et humaine qui tiendra compte des besoins économiques, des capacités, des obligations internationales et du type de société civile et membre de la communauté internationale que le pays aspire à être.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.

Twitter: @Ymekelberg

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com