Le Liban restera une victime consentante tant que le système existant est en place

Le système politique confessionnel qui protège les réfugiés milliardaires est ce qui rend le Liban faible (Photo, AFP).
Le système politique confessionnel qui protège les réfugiés milliardaires est ce qui rend le Liban faible (Photo, AFP).
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Publié le Mardi 02 mai 2023

Le Liban restera une victime consentante tant que le système existant est en place

Le Liban restera une victime consentante tant que le système existant est en place
  • Ce que la plupart des gens ne comprennent pas, c’est que le pouvoir est entièrement artificiel et temporairement «loué»
  • Pour que le Liban survive, son système politique ne devrait pas semer la discorde entre les gens, tout en permettant aux dirigeants et à leurs partisans de s’enrichir

Samedi, le Liban a accueilli en héros le banquier et ancien ministre, Marwan Kheireddine, arrivé dans le pays après avoir été mis en examen en France pour son rôle dans le stratagème de détournement de fonds initié par le gouverneur de la Banque centrale, Riad Salamé. Il y avait tant de contradictions dans cet accueil télévisé. Tout d’abord, ceux qui l’acclament sont probablement dans la même situation que tous les autres Libanais. Ils ont perdu leurs économies au profit du système bancaire. Cela n’a aucun sens. En réalité, au Liban, quand on est accusé de crimes, on joue la carte confessionnelle.

C’est à la justice libanaise d’engager ces poursuites et non à la France. Cependant, c’est actuellement impossible, car le système bancaire – même s’il est corrompu – est au cœur du système confessionnel libanais. En conséquence, le Liban est devenu un no man’s land où les réfugiés, qu’ils soient riches ou démunis, sont dans une impasse. M. Kheireddine n’est pas le premier riche Libanais à être accueilli en héros alors qu’il fait l’objet d’une enquête ou d’un jugement dans un autre pays. En 2019, Carlos Ghosn, qui a fui la justice japonaise, était considéré comme un potentiel candidat à l’élection présidentielle libanaise. Il y en a eu d’autres avant lui. Pour l'instant, ce sont tous des réfugiés au Liban.

Dans le même temps, des réfugiés syriens démunis sont également bloqués au Liban. Les événements qui se déroulent en ce moment montrent qu’il s’agit d’une menace supplémentaire pour la stabilité du pays. Avec les appels à leur expulsion et les incidents dans les camps de réfugiés syriens, la situation risque de totalement dégénérer, en particulier dans le contexte géopolitique régional et national actuel.

Des vidéos circulant sur WhatsApp et montrant le chef de l’opposition syrienne, Kamal al-Labwani, et d’autres personnalités syriennes inconnues, sont le signe de la fragilité du Liban et de la possibilité d’une nouvelle guerre civile en raison de cette situation. Les menaces sont directes. C’est nouveau ou, du moins, cela ne s’est plus produit depuis que les troupes syriennes ont quitté le Liban en 2005. En effet, ces menaces rappellent le passé, mais avec une dimension technologique.

Le dossier des réfugiés est sans aucun doute celui que le régime syrien peut utiliser pour rééquilibrer ses relations avec le Liban et il constitue pour lui un moyen de retrouver l’influence qu’il a perdue au cours de la dernière décennie. Le Liban fait partie de son jeu de cartes géopolitiques et le régime a besoin de le récupérer. Cet objectif syrien se traduit aussi par sa nouvelle implication dans le choix du prochain président libanais. Le régime syrien le perçoit aussi comme une voie à suivre. Comment cela se passera-t-il? Évitera-t-on également un incident majeur? Les menaces proférées sur les réseaux sociaux par les Syriens concernant la stabilité du Liban confirment que la volonté y est.

«Le système politique confessionnel qui protège les réfugiés milliardaires est ce qui rend le Liban faible.» - Khaled Abou Zahr

Le système politique confessionnel qui protège les réfugiés milliardaires est ce qui rend le Liban faible. Les menaces diffusées sur les réseaux sociaux indiquent que ce système est utilisé pour créer un incident. Cela montre à quel point la situation est fragile. Étrangement, une grande partie de la bourgeoisie libanaise condamne les politiciens corrompus et les milices. Mais, en réalité, ils accepteront de perdre leurs dollars, car ils s’attendent à ce que leur chef communautaire leur accorde une immunité totale, tout comme les milliardaires réfugiés. C’est ce qu’ils veulent en échange de leur loyauté aveugle. Tant qu’ils condamnent un système tout en en tirant profit et en étant complices, il y a peu d’espoir de changement.

C’est précisément pour cette raison que le slogan «Tous, cela veut dire tous» lancé par la jeunesse libanaise prend tout son sens. Au Liban, il est impossible de destituer le leader d’une communauté religieuse sans que celle-ci ne perde du terrain et du pouvoir – et cela est inacceptable pour eux. C’est pourquoi tout le système doit changer. Malheureusement, ce que la plupart des gens ne comprennent pas, c’est que ce pouvoir est entièrement artificiel et temporairement «loué». Même le tout-puissant Hezbollah est une puissance artificielle, simplement parce que son pouvoir vient de la situation régionale et non de l’intérieur du pays. C’est la situation géopolitique régionale spécifique qui le rend aujourd’hui puissant et son dénouement y mettra très certainement fin. Nous en avons déjà été témoins.

Pour que le Liban survive, son système politique ne devrait pas semer la discorde entre les gens, tout en permettant aux dirigeants et à leurs partisans de s’enrichir. Cela n’a aucun sens. Néanmoins, le Liban doit respecter et comprendre la situation géopolitique. Il est nécessaire de trouver un moyen de déplacer le pouvoir de l’extérieur vers l’intérieur. Il est essentiel de trouver une nouvelle structure politique qui permettrait à des dirigeants politiques de se conformer aux besoins de tous et pas seulement à ceux des personnes influentes.

Je suis toujours étonné de lire les gros titres des médias libanais, notamment sur l’élection présidentielle. On y retrouve des questions comme: «La France acceptera-t-elle un autre candidat?» ou: «Les puissances régionales vont-elles refuser ce candidat?» Ces questions sont tout simplement ahurissantes. Pourquoi quelqu'un devrait-il avoir son mot à dire dans l'élection d'un responsable en dehors de la population locale? Comment tolère-t-on cela? Ainsi, pour savoir qui sera élu, chacun analyse les rencontres régionales. Il est temps de changer la donne. Le fait que cela constitue un casse-tête pour les puissances mondiales et régionales finira par promouvoir d’anciennes solutions qui apporteront plus de souffrance.

C’est pour cette raison que je prends au sérieux les menaces des personnalités syriennes contre le Liban sur les réseaux sociaux. Croyez-moi, dans ce jeu, la situation risque très vite d’exploser sans que l’on comprenne pourquoi. Il est malheureusement peu probable que les pouvoirs politiques s’entendent sur un nouveau système. En effet, la bourgeoisie libanaise et les réfugiés milliardaires influents soutiennent, malgré leurs condamnations, ces anciens dirigeants. Le Liban risque donc une fois de plus d’être victime de bouleversements majeurs. Aujourd’hui, toutefois, le pays est clairement une victime consentante.

 

Khaled Abou Zahr est le fondateur de Barbicane, une plate-forme de syndication d’investissement axée sur l’espace. Il est PDG d’EurabiaMedia et rédacteur en chef d’Al-Watan al-Arabi. 

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com