Le Liban toujours en quête d’un gouvernement fonctionnel

On entend de plus en plus au Liban que la seule option qui reste est que chaque communauté gère ses propres affaires intérieures (Photo, AFP).
On entend de plus en plus au Liban que la seule option qui reste est que chaque communauté gère ses propres affaires intérieures (Photo, AFP).
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Publié le Vendredi 12 mai 2023

Le Liban toujours en quête d’un gouvernement fonctionnel

Le Liban toujours en quête d’un gouvernement fonctionnel
  • Le Liban, depuis sa création, a été incapable de trouver un consensus parmi ses nombreuses composantes pour forger une identité nationale
  • Le pessimisme est de rigueur au Liban. Il n'y a rien de positif dans le blocage actuel, avec un pays reste sans président élu, sans Premier ministre et sans Parlement opérationnel

Lors d'une récente visite au Liban, j'ai été consterné d’entendre de plus en plus que la seule option restante face à la crise profonde qui frappe le pays était que chaque communauté gère ses propres affaires internes. Ce serait une forme de transfert du pouvoir, ou de décentralisation, permettant à chaque communauté ou localité de ce petit pays de gouverner son territoire et ses habitants, que ce soit par exemple pour la production d'électricité et la distribution d'eau ou pour une forme de sécurité localisée. Cela consisterait à faire fi de l'État central toujours dysfonctionnel, de ses institutions défaillantes et des dirigeants corrompus qui monopolisent ses affaires.

J'ai été étonné d'apprendre que certains caressaient l'idée de se séparer de leurs dirigeants incontrôlés et de leurs appuis régionaux, dans l'espoir de permettre l'accès à divers services, comme l'eau, l'électricité, les carburants et le pain, aux habitants de ces supposés cantons. Peut-être que ces services pourraient être fournis à ce prix, loin de la corruption, des pénuries et du gaspillage constatés au niveau de l'État, dans la mesure où des régions entières du pays ont, pendant des années, eu tendance à se soustraire au paiement d’impôts ou n’ont pas assumé les services publics qu'elles utilisaient.

Le pessimisme est de rigueur au Liban. Il n'y a rien sur quoi fonder quelque chose de positif dans le blocage actuel, dans lequel le pays reste sans président élu, sans Premier ministre et sans Parlement opérationnel.

Pour certains Libanais, voir le retour de la Syrie dans la Ligue arabe est un signe que les blocages politiques et économiques du Liban pourraient bientôt s’atténuer à la suite d'une certaine forme de règlement régional, surtout si les réfugiés syriens vivant et travaillant au Liban pouvaient retourner dans leur pays. Mais cela, ainsi que le rêve irréalisable de diviser le pays sont des paris irréalistes et simplistes. Qui dit que la force politique et militaire au Liban, en l’occurrence le Hezbollah et ses alliés, tolérerait une telle démarche?

«Au cours de toute son histoire, le Liban a eu un système politique précaire qui a constamment besoin de soins intensifs pour maintenir sa cohésion» Mohamed Chebaro

Dans l'esprit de certains au Liban, l'existence précaire du pays remonte aux nombreuses tentatives infructueuses de constitution d'un État-nation, car rien n'a vraiment évolué et n'a assuré la continuité en termes de gouvernance et de stabilité depuis la création du Liban, basée sur le tristement célèbre accord de Sykes-Picot de 1916. C'est à ce moment que les Français et les Britanniques se sont partagé de nombreuses parties du Moyen-Orient qui avaient été gouvernées pendant des siècles par les Ottomans, les plaçant sous un mandat direct français ou britannique en vue de les préparer à une future autonomie.

L'État libanais, qui a obtenu son indépendance en 1943, n'a pas réussi à cimenter une identité nationale. Il a eu besoin d'un pacte négocié entre ses dirigeants chrétiens et musulmans pour traverser les premières années de son existence. Puis il a survécu à une mini-guerre civile à la fin des années 1950, avant de subir de plein fouet la montée du nationalisme arabe et de l'alignement anti-israélien avant de succomber à une autre guerre civile en 1975. Le conflit s’est terminé par un remaniement de la Constitution et de l'ancienne formule de pacte national à travers l'accord de Taëf de 1989. Cet accord, négocié par l'Arabie saoudite, a redistribué le pouvoir entre les Libanais sur la base de la parité entre chrétiens et musulmans.

L'accord de Doha de 2008, encore né d'un autre blocage, a consacré une nouvelle forme de quasi consocialisme où rien ne pouvait être décidé au niveau national sans un consensus entre les élites dirigeantes du pays, toujours sources de conflits. L’un de ces groupes a même réussi à justifier le maintien de ses armes, indépendamment de l'appareil de sécurité nationale, sous un vague prétexte de résistance à Israël.

Parallèlement aux appels à la division du pays, certains ont appelé à une révision de la formule constitutionnelle libanaise actuelle, dans laquelle le pouvoir est partagé entre chrétiens et musulmans.

Au cours de toute son histoire, le Liban a eu un système politique précaire qui a constamment eu besoin de soins intensifs pour maintenir sa cohésion. Cependant, le récent effondrement de sa monnaie, l'ampleur des dommages subis par l'économie du pays, ses finances publiques en faillite, son système bancaire grandement perturbé (autrefois joyau de la couronne de l’économie), les services de base quasi inexistants, le dépérissement du système éducatif et un système de santé surchargé et en manque de liquidités autant d’épreuves au cours desquelles aucun responsable politique n’a eu à rendre des comptes montrent que le Liban est entré dans un long et sombre tunnel qui pourrait conduire à son extinction.

«Je ne peux pas reprocher à certains Libanais de penser à des mesures extrêmes pour préserver leur existence et le bien-être de leurs communautés» Mohamed Chebaro

Les heureuses découvertes récentes de gaz et de pétrole dans les eaux nationales pourraient offrir au pays une bouée de sauvetage, mais seulement si les dirigeants corrompus domptaient leur cupidité et se conformaient aux appels à mener des réformes majeures impliquant des organismes internationaux comme le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, en plus des donateurs régionaux, prêts à aider au renflouement du Liban. Mais en l'absence de dispositions législatives et de mise en application de réformes vitales pour une remise sur pied, après l'une des pires crises financières au monde, l'économie du Liban s'enfonce davantage dans l'incertitude. La monnaie libanaise a déjà perdu depuis 2019 plus de 98 % de sa valeur par rapport au dollar américain, mettant le pays à la merci d'une inflation à trois chiffres, qui accroît la pauvreté et provoque des vagues d'émigration.

Avec l'intransigeance persistante des dirigeants actuels, qui bloquent l'arène politique, prennent  les Libanais en otage et ne montrent aucune velléité de permettre aux différents acteurs de trouver des solutions à la crise existentielle du pays, je ne peux pas reprocher à certains Libanais de penser à des mesures extrêmes pour préserver leur existence et le bien-être de leurs communautés, même si cela vient à défendre des idées infructueuses, comme celle de la division du pays.

On nous avait dit il y a longtemps que le Liban était trop grand pour être avalé par un autre pays et trop petit pour être morcelé. Mais il semble que personne ne s'en soucierait s'il échouait ou s'il cessait d'exister. Le Liban est resté, depuis sa création, incapable de se protéger des dissensions régionales ou de trouver un consensus parmi ses nombreuses composantes pour une identité qui les unit et pourrait les conduire vers un avenir plus pacifique et plus prospère.

 

Mohamed Chebaro est un journaliste anglo-libanais, consultant en médias et formateur. Il a plus de vingt-cinq ans d'expérience de couverture de la guerre, du terrorisme, de la défense, de l'actualité et de la diplomatie.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com