Impossible de nier l’existence de l’apartheid dans les territoires occupés

L’existence de pratiques d’apartheid en Cisjordanie et à Gaza est la conclusion inévitable des preuves disponibles. (AFP)
L’existence de pratiques d’apartheid en Cisjordanie et à Gaza est la conclusion inévitable des preuves disponibles. (AFP)
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Publié le Samedi 20 mai 2023

Impossible de nier l’existence de l’apartheid dans les territoires occupés

Impossible de nier l’existence de l’apartheid dans les territoires occupés
  • Construire des routes séparées pour différents groupes ethniques ou raciaux, c’est pratiquer l’apartheid, avec dans ce cas les sinistres objectifs de priver les Palestiniens de leur droit à l’autodétermination et d’annexer la Cisjordanie
  • Le danger de l’intensification des pratiques discriminatoires contre les Palestiniens n’en devient que beaucoup trop réel

Le projet de colonies juives aimerait plus que tout poursuivre son annexion de facto de la Cisjordanie à l’abri des regards en y marginalisant entièrement les Palestiniens. Paradoxalement, bien que les colons n’aient jamais été aussi bien représentés au gouvernement – sachant que ce dernier vise à annexer complètement la Cisjordanie –, ce sont les intentions législatives antidémocratiques du gouvernement qui ont fait la une des journaux, plutôt que l’annexion qui se déroule à un rythme effréné, comme si la population palestinienne n’avait aucune importance.

Ce qui énerve les Israéliens par-dessus tout, c’est d’être accusés d’imposer un régime d’apartheid aux Palestiniens dans les territoires occupés. Mais, en même temps, cela n’a pas empêché les administrations successives de mettre en œuvre les pratiques qui ont conduit à cette accusation. L’apartheid est défini comme «l’application d’un système de ségrégation raciale légalisée, dans lequel un groupe racial est privé de droits politiques et civils». Il ne fait aucun doute que cette définition correspond au comportement d’Israël dans les territoires occupés. Si Israël refuse de répondre à de telles accusations concernant ses relations avec les Palestiniens, c’est parce que l’apartheid est considéré comme un crime contre l’humanité punissable en vertu du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, ce qui le rend non seulement moralement répréhensible mais aussi illégal.

Deux évolutions récentes ont mis en évidence les pratiques des forces d’occupation israéliennes en Cisjordanie, qui suggèrent à la fois que l’occupation pourrait durer indéfiniment et que les Palestiniens sont victimes de pratiques discriminatoires extrêmes de la part de leurs voisins juifs: en d’autres termes, ils souffrent du crime d’apartheid.

La première, comme le rapporte le journal israélien Haaretz, concerne les autorités israéliennes qui finalisent les dernières étapes de planification de la construction d’une route séparée pour les Palestiniens, laquelle, une fois achevée, reliera le sud et le nord de la Cisjordanie occupée. Cependant, avant que quiconque dise qu’Israël se soucie tout d’un coup de moderniser les infrastructures et d’améliorer la vie des Palestiniens, rassurez-vous – il y a un hic, et pas des moindres. La route, qui commencerait près du village palestinien d’Az-Za’ayyem et continuerait à travers la ville palestinienne d’Al-Eizariya, vise à séparer les Palestiniens des colons israéliens, dans le cadre du plan israélien controversé de construction dans une zone appelée «E1».

«Les autorités israéliennes utilisent un système expérimental de reconnaissance faciale pour localiser les Palestiniens et automatiser les restrictions sévères.»-

Yossi Mekelberg

Alors que la possibilité de la solution à deux États dont on parle tant semble de moins en moins possible, construire davantage de colonies juives dans la zone E1 est un coup très dur, voire fatal, à l’encontre de la notion d’un futur État palestinien géographiquement et démographiquement contigu. Au lieu de cela, le plan E1 créera une présence juive contiguë entre la ville de Maale Adumim et Jérusalem, au détriment de la continuité de construction et de circulation entre les villes palestiniennes de Ramallah et de Bethléem. Construire des routes séparées pour différents groupes ethniques ou raciaux, c’est pratiquer l’apartheid, avec dans ce cas les sinistres objectifs de priver les Palestiniens de leur droit à l’autodétermination et d’annexer la Cisjordanie.

Une autre pratique ignoble, dénoncée par l’organisation de défense des droits de l’homme Amnesty, est que les autorités israéliennes utilisent un système expérimental de reconnaissance faciale connu sous le nom de «Red Wolf » dans la ville palestinienne d’Hébron pour suivre les Palestiniens et automatiser les restrictions sévères imposées à leur liberté de mouvement. Dans un nouveau rapport, intitulé «Automated Apartheid», Amnesty affirme que les autorités israéliennes s’appuient de plus en plus sur une technologie avancée de reconnaissance faciale pour localiser les Palestiniens et restreindre leur droit de circuler à travers les points de contrôle.

L’utilisation de la reconnaissance faciale fondée sur l’intelligence artificielle est une perspective effrayante de manière générale. Cependant, l’utiliser contre un groupe ethnique spécifique la rend encore plus sinistre. L’idée même que les forces de sécurité israéliennes recueillent, de manière illégitime, des données biométriques pour contrôler le droit de circulation des Palestiniens est, en soi, orwellienne, mais le fait qu’elle soit utilisée uniquement contre les Palestiniens montre clairement qu’un groupe ethnique spécifique est pris pour cible, en violation du Statut de Rome.

Aussi troublants que soient ces deux exemples des pratiques d’apartheid menées par Israël, ils ne représentent que la partie visible de l’iceberg. Michael Lynk, l’ancien rapporteur spécial de l’Organisation des Nations unies sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés, décrit l’occupation israélienne qui dure depuis cinquante-six ans comme «un régime politique qui accorde intentionnellement la priorité aux droits politiques, juridiques et sociaux fondamentaux d’un groupe par rapport à un autre dans le même espace sur la base de l’identité raciale, nationale et ethnique», ce qui équivaut à l’apartheid.

Alors que la présence oppressive et discriminatoire d’Israël en Cisjordanie est de plus en plus visible, elle a tout autant d’incidence sur ce qui se passe à Gaza, puisqu’elle dicte un ensemble de règles entièrement différentes pour les Israéliens, en particulier les Juifs, d’une part, et pour les Palestiniens, d’autre part.

«Ce sont les éléments les plus responsables de la société israélienne, avec l’aide de la communauté internationale, qui devraient résister à cette trajectoire.»-

Yossi Mekelberg

Israël invoque toujours des préoccupations sécuritaires pour justifier n’importe quelle mesure discriminatoire à l’encontre des Palestiniens, dans le but de clore la conversation, mais un examen attentif et détaillé de ces mesures révèle que, même s’il existe des considérations sécuritaires, elles sont secondaires par rapport à l’objectif principal, qui est d’établir la suprématie juive des deux côtés de la Ligne verte. Les Palestiniens n’ont pas le même accès au système judiciaire, par exemple, que leurs voisins juifs. Les droits fondamentaux – comme la liberté de mouvement et d’expression, le droit de travailler, d’avoir une famille ou de refuser que leurs terres soient confisquées dans le but de construire de nouvelles colonies ou à des fins militaires – dépendent pour les Palestiniens de la bonne volonté des autorités israéliennes.

Il existe une série de pratiques trop longues pour être décrites ici, qui s’apparentent à l’apartheid dans les territoires occupés – des droits personnels aux droits familiaux en passant par les droits collectifs, mais l’existence de pratiques d’apartheid en Cisjordanie et à Gaza est la conclusion inévitable des preuves disponibles. Cette observation est d’autant plus poignante que ces pratiques anciennes et nouvelles sont régies par une administration dominée par l’extrême droite et les nationalistes religieux, qui portent leur idéologie raciste et sectaire comme un insigne d’honneur. Le danger de l’intensification des pratiques discriminatoires contre les Palestiniens n’en devient que beaucoup trop réel.

Ce sont les éléments les plus responsables de la société israélienne, avec l’aide de la communauté internationale, qui devraient résister à cette trajectoire avec la même conviction et la même énergie que lorsqu’ils combattent la législation antidémocratique au sein même d’Israël. Ce sont les deux faces d’une même médaille et les deux compromettent le système démocratique israélien, tout en poussant le pays à devenir un paria international.

 

 

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.

Twitter: @Ymekelberg

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.