La saga du FSO Safer touche à sa fin avec le lancement d'une opération de transfert de son pétrole

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Publié le Dimanche 04 juin 2023

La saga du FSO Safer touche à sa fin avec le lancement d'une opération de transfert de son pétrole

  • Un transporteur de brut accoste près d'un navire endommagé au large de la côte de la mer Rouge du Yémen pour entamer une mission de récupération complexe
  • Les responsables de l'ONU estiment que les progrès de l'opération sont une bonne nouvelle pour les populations, l'environnement et l'idée de multilatéralisme

NEW YORK: Sauf complications, le transfert du brut du FSO Safer, un navire de stockage de pétrole endommagé au large de la côte de la mer Rouge du Yémen, sera achevé d'ici 10 à 14 jours, selon David Gressly, coordinateur résident des Nations Unies pour le Yémen.

S'exprimant par vidéoconférence à bord du Ndeavor, un transporteur de brut récemment acheté par l'ONU pour ses opérations, Gressly a déclaré que 14 millions de dollars américains (1 dollar américain = 0,93 euro) supplémentaires étaient nécessaires «immédiatement» ainsi qu’un total restant de 29 millions de dollars pour achever l'opération et éliminer la menace écologique.

Le Ndeavor a quitté Djibouti lundi et a accosté au port yéménite d'Al-Hodeïda avant de se rendre mardi à l'amarrage au large du Safer, où il entamera le délicat processus d'enlèvement de 1,1 million de barils de pétrole, qui risquent fort de se déverser dans la mer.

Une fois que cette bombe à retardement écologique aura été sécurisée, sauvant les écosystèmes de la mer Rouge et les communautés de pêcheurs le long de la côte d'un désastre presque certain, le Ndeavor remorquera le Safer jusqu'à un cour de récupération verte.

Achim Steiner, administrateur du Programme des Nations unies pour le développement, qui dirige l'opération dans le cadre d'une initiative coordonnée par les Nations unies, a indiqué qu'il s'agit d'un «jour très spécial et d'une étape vraiment cruciale pour ceux qui suivent la saga du FSO Safer depuis des années».

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Le navire de soutien Ndeavor en route vers la mer Rouge après que le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et Boskalis ont signé le contrat pour que la filiale SMIT Salvage transfère 1,1 million de barils de pétrole du FSO Safer endommagé vers un navire de remplacement (Photo fournie).

L'arrivée du Ndeavor n'est «qu'une étape supplémentaire dans une opération complexe très critique, mais c'est un grand signal à la fois pour la population et la planète, au Yémen, en mer Rouge, mais aussi pour cette idée du multilatéralisme que les Nations unies illustre vraiment et qui symbolise la prise de mesures préventives», a précisé Steiner mercredi.

«Rien ne peut illustrer de manière plus radicale ce que signifie empêcher une telle catastrophe de se produire. Et ce, pour une fraction du coût que représenterait le nettoyage d'une marée noire de cette ampleur.»

Le Safer, fabriqué depuis 47 ans, a été peu ou pas entretenu depuis le début de la guerre au Yémen en 2015 et s'est tellement détérioré que les experts craignent qu'il ne présente un risque imminent de fuite, d'incendie ou d'explosion.

Les Nations unies ont prévenu que la marée noire pourrait être quatre fois plus importante que la catastrophe de l'Exxon Valdez survenue en 1989 au large des côtes de l'Alaska, qui est considérée comme la pire marée noire au monde en termes de dommages environnementaux.

Les experts estiment qu'une fuite importante du Safer pourrait gravement endommager les écosystèmes de la mer Rouge, dont dépendent environ 30 millions de personnes pour vivre, dont 1,6 million de Yéménites, selon les Nations unies.

Un tel déversement dévasterait les pêcheries le long de la côte ouest du Yémen et détruirait les moyens de subsistance des communautés de pêcheurs, dont beaucoup dépendent déjà de l'aide humanitaire pour survivre à cause de la guerre.

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Le personnel d'un navire autorisé à décharger le pétrole du navire endommagé FSO Safer est photographié au large de Ras Issa, au Yémen, avant le début d'une opération menée par les Nations Unies afin d’éviter une marée noire en mer Rouge (Photo, AFP).

Un déversement pourrait également perturber la navigation commerciale sur la mer Rouge, l'une des voies navigables les plus fréquentées au monde, qui représente 10% de l'ensemble du commerce mondial, et pourrait avoir des conséquences négatives pour les pays riverains, notamment l'Arabie saoudite, Djibouti et l'Érythrée.

Si un incendie se déclarait à bord du navire rouillé, plus de 8,4 millions de personnes pourraient être exposées à des polluants toxiques.

L'opération de sauvetage a été divisée en deux phases. Dans un premier temps, le pétrole sera transféré sur un pétrolier de remplacement, le Nautica, avant d'être acheminé vers une installation de stockage permanente jusqu'à ce que la situation politique au Yémen permette de le vendre ou de le transporter ailleurs.

Bien que l'arrivée du Ndeavor sur le site du Safer marque une étape importante, Gressly s'est empressé de dire qu'il ne s'agit que de «la première étape des opérations», ajoutant qu'il restait encore de nombreuses étapes à franchir avant que les travaux ne soient terminés.

«Nous devons préparer le Safer pour le transfert du pétrole et amener le nouveau navire pour recevoir le pétrole», a-t-il signalé lors de la conférence de presse de mercredi.

«Nous devons détacher l'ancien navire, le remorquer pour le mettre à la ferraille, puis apporter une pièce qui servira à attacher le nouveau navire à l'oléoduc. Tant que ces quatre éléments ne seront pas terminés, nous ne disposerons pas d'un stockage de pétrole entièrement sécurisé ni d'une protection de l'environnement.»

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Le navire FSO Safer endommagé est amarré au large de Ras Issa avant le début d'une opération menée par l'ONU pour le décharger, en mer Rouge (Photo, AFP).

Gressly a souligné «l'environnement très instable dans lequel nous travaillons, sur le plan politique et sécuritaire», ajoutant qu'il serait «naïf de croire que nous pourrons faire tout cela sans le moindre accroc ou obstacle».

Toutefois, «nous avons jusqu'à présent été en mesure de surmonter tous les obstacles qui se sont présentés à nous», a-t-il expliqué, en remerciant le gouvernement yéménite pour son soutien.

«Même si les parties au Yémen sont en conflit, le fait qu'elles considèrent que le danger est plus grand et qu'elles sont plus convaincues de contribuer à ce projet en y consacrant 5 millions de dollars de leur propre budget montre, d’après moi, que tout le monde peut s'unir pour faire face à une menace commune», a-t-il indiqué.

Gressly a remercié l'Arabie saoudite, les Pays-Bas, l'Allemagne, les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Union européenne et 19 autres pays pour leurs contributions. Il a également remercié Djibouti d'avoir accueilli l'opération, diverses entreprises ayant contribué à l'effort des Nations unies et la «contribution très importante des autorités égyptiennes du canal de Suez, qui ont assuré le libre passage du Ndeavor».

En effet, pour en arriver là, le chemin a été extrêmement long et semé d'embûches politiques et financières. «Souvent, les gens se demandent pourquoi cela prend autant de temps», a déclaré Steiner.

 

EN CHIFFRES

* 1,1 million de barils de pétrole stockés à bord du FSO Safer.

* 114 millions de dollars américains = Fond collecté par l'ONU pour l'opération de sauvetage.

* 29 millions de dollars américains nécessaires à l'achèvement de l'opération.

* 30 millions de personnes susceptibles d'être affectées par une fuite.

 

«Permettez-moi de vous dire qu'avec l'arrivée du Ndeavor, nous avons entamé un processus extraordinairement intense pour essayer tout d'abord, dans le cadre des négociations menées par David Gressly au Yémen avec toutes les parties concernées, de créer les conditions et un accord dans le cadre desquels nous pourrions effectivement organiser une telle opération de sauvetage», a souligné Steiner.

L'équipe a ensuite organiser «une importante opération de collecte de fonds qui nous a permis, à l'heure actuelle, d'obtenir la quasi-totalité du financement — le coût total des deux phases ou des deux parties de cette opération s'élève à environ 142 millions de dollars.

«Pour la phase d'urgence, qui consiste littéralement à transférer le pétrole du FSO Safer, il nous manque encore 14 millions de dollars, et c'est quelque chose que nous essayons désespérément d'obtenir dans les prochains jours afin de pouvoir achever cette phase.

«Nous devions également acquérir un grand navire qui est essentiellement construit pour le transport du pétrole, et sur le marché actuel, cela s'est avéré presque impossible. Les prix ont doublé et les navires ne sont pas disponibles.»

«Nous avons finalement réussi à nous en procurer un et à l'acheter, même si nous ne savions pas encore si nous pourrions obtenir tous les fonds nécessaires.»

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À gauche: Achim Steiner, administrateur du Programme des Nations unies pour le développement ; à droite: David Gressly, coordinateur résident des Nations unies pour le Yémen (Photo fournie).

Afin de trouver les fonds nécessaires, «des mesures préparatoires énormes et complexes ont dû être prises au cours des derniers mois, depuis la recherche d'un courtier maritime, d'avocats maritimes, d'experts en marée noire, jusqu'à l'élaboration de plans d'urgence, de plans de sécurité et la négociation de polices d'assurance», a expliqué Steiner.

Il a ajouté: «En fait, nous n'avons terminé que vendredi soir à minuit la négociation de la police d'assurance nécessaire, ce qui nous a permis de donner immédiatement le signal pour que le Ndeavor parte tôt le lundi matin au lever du soleil de Djibouti et arrive le mardi.»

Interrogé par Arab News sur les raisons pour lesquelles la somme relativement modeste nécessaire à l'opération de sauvetage s'est avérée si difficile à réunir, Steiner a répondu: «Il y a certainement, dans le monde de l'entreprise et dans les secteurs du transport maritime, du pétrole et du gaz, des moments extraordinaires de rentabilité. Et je crois que c'est l'une des raisons pour lesquelles nous espérions également que le pas en avant serait plus important.»

«Cela dit, l'Association internationale des producteurs de pétrole et de gaz s'est engagée à verser 10 millions de dollars et nous sommes en train de faire des appels téléphoniques. Demandant aux chefs d'entreprise: ‘Allez, il faut combler ce manque tout de suite.’ Même des écoliers du Maryland ont fait des dons. Ce serait vraiment ironique et une occasion manquée de ne pas s'engager.»

Ce n'est pas seulement la question du financement qui a retardé l'opération. Depuis des années, la milice Houthie, qui contrôle des zones entières du Yémen, dont Al-Hodeïda, provoque des retards, empêchant les experts d'évaluer l'état du Safer et d'effectuer les réparations d'urgence.

La milice a, à plusieurs reprises, formulé de nouvelles demandes portant sur la logistique et les dispositions en matière de sécurité.

«Nous comprenons que de nombreux États membres, en particulier les donateurs du projet, sont extrêmement préoccupés par ces nouveaux retards. Nous partageons bien sûr ces inquiétudes», a déclaré Stéphane Dujarric, porte-parole du secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, lors d'un point de presse en 2021.

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Le navire de soutien Ndeavor en route vers la mer Rouge après que le PNUD et Boskalis ont signé le contrat pour que la filiale SMIT Salvage transfère 1,1 million de barils de pétrole du FSO Safer endommagé vers un navire de remplacement. (Photo fournie).

Frustré n'est pas le bon mot pour décrire ce que ressentent les négociateurs, avait-il alerté à l'époque, avant d'ajouter: «Je pense que l'expression ‘inquiétude accrue’ est la bonne.»

«Cela fait deux ans que nous en parlons. Par la grâce de Dieu, il n'y a pas eu de fuite importante. Plus nous attendons, plus les risques d'une fuite importante augmentent. Le temps ne joue en faveur de personne», a prévenu Dujarric.

Gressly affirme que depuis que les Houthis ont signé un accord avec l'ONU en mars 2022, ils coopèrent. «Je suis convaincu qu'ils continueront à honorer cet accord», a-t-il déclaré à Arab News.

Bien que les Houthis ne participent pas à la mise en œuvre directe des opérations, ils sont impliqués «dans la sécurisation du périmètre. Ils participent aux discussions avec nous sur la manière de procéder. Ils sont également très impliqués dans les détails.»

«Au cours des dernières semaines, nous avons travaillé en détail avec eux pour passer en revue chacune des étapes afin qu'ils soient à l'aise avec tout. Ils ont également leurs propres experts techniques. Une bonne expertise, en fait, tant à Aden qu'à Sanaa.»

Gressly a rendu hommage à l'équipage — «probablement mal payé et mal soutenu» — qui a maintenu le Safer à flot, au cours des dernières années. 

Il a soutenu: «En fait, nous avons rencontré l'un d'entre eux aujourd'hui. Je me devais de le féliciter, car il est l'un des héros méconnus du FSO Safer. En effet, c'est lui qui a maintenu le navire à flot pendant que nous cherchions comment organiser ce type de sauvetage.»

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com

 


MSF nie les allégations de l’armée israélienne selon lesquelles il existait une «activité terroriste» sur le site d’une attaque meurtrière à Gaza

Sky News a révélé les résultats de son enquête sur cet incident, ce qui a incité l’armée israélienne à mener sa propre «enquête». (MSF)
Sky News a révélé les résultats de son enquête sur cet incident, ce qui a incité l’armée israélienne à mener sa propre «enquête». (MSF)
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  • Deux membres de la famille d’un employé tués et sept autres blessés par l’armée israélienne en février
  • Un obus de char aurait été «tiré directement dans le bâtiment», selon une enquête menée par un organe de presse

DUBAÏ: L’armée israélienne a été accusée d’avoir attaqué intentionnellement et sans provocation un centre d’hébergement de Médecins sans frontières (MSF) qui abritait 64 personnes dans la région d’Al-Mawasi, à Gaza, le 20 février, tuant deux membres de la famille d’un employé et blessant sept autres personnes.

L’attaque a eu lieu malgré le fait que l’armée israélienne a été informée de l’emplacement précis du centre, selon MSF. L’armée a affirmé qu’il existait une «activité terroriste» sur le site, ce que MSF a nié.

Mercredi, Sky News a révélé les résultats de son enquête sur cet incident, ce qui a incité l’armée israélienne à mener sa propre «enquête».

L’organe de presse a déclaré s’être rendu sur place et avoir utilisé des images prises sur le terrain, des techniques «open source» ainsi que des entretiens avec des témoins et des experts en armement pour comprendre comment l’incident s’est déroulé.

Des témoins ont affirmé à Sky News qu’ils avaient entendu des bruits forts qui semblaient provenir de chenilles de chars, tandis que d’autres ont également entendu des coups de feu.

Les preuves recueillies laissent penser que l’attaque a été déclenchée par un obus de char qui a pénétré par une fenêtre. «Il est difficile de tirer des conclusions définitives à partir d’images, mais je pense que les dégâts sont dus à un obus de char tiré directement dans le bâtiment», a expliqué Chris Cobb-Smith, ancien officier d’artillerie de l’armée britannique et directeur de Chiron Resources.

Ce dernier a réfuté toute idée selon laquelle il s’agirait d’une attaque du Hamas. Il a affirmé qu’il n’était «pas au courant de l’existence d’armes à tir direct de ce calibre utilisées par le Hamas» et qu’il était «peu probable qu’un obus de cette taille ait pu être déployé et tiré compte tenu de l’activité de l’armée israélienne dans la région».

Des témoins et des membres de MSF ont déclaré avoir entendu des coups de feu avant que le bâtiment ne soit touché.

Meinie Nicolai, directrice générale de l’organisation humanitaire, s’est rendue sur place peu après l’attaque. Elle a indiqué que des balles avaient été tirées sur la façade du centre.

L’enquête a par ailleurs révélé que le jour de l’attaque, l’armée israélienne a écrit sur sa chaîne Telegram que ses forces opéraient dans le nord, le centre et le sud de la bande de Gaza et qu’elles menaient «des opérations intensives dans l’ouest de Khan Younès». Cependant, elle n’a pas mentionné les environs immédiats du centre d’hébergement.

En outre, le porte-parole en langue arabe de l’armée israélienne, Avichay Adraee, a publié le même jour une carte d’évacuation de deux quartiers plus au nord, dans la ville de Gaza et ses environs. Cette carte ne couvrait pas la zone où se trouve le centre.

Selon l’enquête, les services d’urgence sont arrivés sur les lieux au moins deux heures et demie après l’attaque pour des raisons de sécurité.

Les blessés ont été transportés à l’hôpital de campagne de l’International Medical Corps à Rafah, a précisé MSF.

«Nous sommes indignés et profondément attristés par ces meurtres», avait commenté Mme Nicolai au mois de février. «Ces meurtres  témoignent de la triste réalité: aucun endroit à Gaza n’est sûr, les promesses de mise en place de zones sûres n’ont pas été tenues et les mécanismes de “déconfliction” ne sont pas fiables», avait-elle ajouté.

L’armée israélienne, qui mène sa propre enquête, a précisé qu’elle avait «tiré sur un bâtiment identifié comme étant le théâtre d’activités terroristes», mais elle n’a fourni aucune preuve.

Dans un communiqué publié mercredi, MSF «réfute toute allégation d’activité terroriste dans les structures gérées par la MSF».

«Le centre était utilisé par le personnel humanitaire et les membres de leurs familles. Il était identifié par un drapeau MSF et les autorités israéliennes étaient informées de son emplacement.»

«Après l’incident, des informations ont été reçues. Elles font état de la mort de deux civils innocents dans la zone. L’armée regrette tout préjudice causé aux civils et fait tout ce qui est en son pouvoir pour opérer de manière précise et exacte», a ajouté l’armée israélienne dans un communiqué.

En vertu du droit international humanitaire, les installations et les unités médicales doivent être respectées et protégées en toutes circonstances.

Oona Hathaway, professeure de droit international à la faculté de droit de Yale, a expliqué à Sky News que les installations médicales sont «présumées être des biens civils et ne doivent pas être prises pour cibles lors d’un conflit armé».

Elle a souligné que si l’armée israélienne prend intentionnellement pour cible un bien civil, cela constitue «potentiellement un crime de guerre».

La semaine dernière, l’armée a mené une opération à l’intérieur et autour de l’hôpital Al-Shifa, affirmant que de hauts responsables du Hamas étaient basés dans cet immense complexe. Des jours de combats intenses ont suivi. L’armée a signalé qu’environ 170 combattants palestiniens avaient été tués et que des centaines d’autres avaient été arrêtés ou interrogés.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com


Tunisie: quatre accusés condamnés à mort pour l'assassinat de l'opposant Belaïd en 2013

L'avocat tunisien et leader de l'opposition Chokri Belaid (Photo, AFP).
L'avocat tunisien et leader de l'opposition Chokri Belaid (Photo, AFP).
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  • Au total, 23 personnes étaient inculpées pour l'assassinat par balles dans sa voiture devant son domicile le 6 février 2013 de l'avocat de 48 ans, critique virulent du parti islamo-conservateur Ennahdha
  • Après 11 ans d'enquêtes et poursuites judiciaires, le tribunal de première instance de Tunis a également condamné deux accusés à la prison à perpétuité

TUNIS: Quatre accusés jugés en Tunisie pour l'assassinat de l'opposant de gauche Chokri Belaïd en 2013 ont été condamnés à mort, dans le tout premier verdict prononcé mercredi dans cette affaire qui avait secoué le pays et provoqué une grave crise politique.

Au total, 23 personnes étaient inculpées pour l'assassinat par balles dans sa voiture devant son domicile le 6 février 2013 de l'avocat de 48 ans, critique virulent du parti islamo-conservateur Ennahdha, à l'époque au pouvoir en Tunisie.

Après 11 ans d'enquêtes et poursuites judiciaires, le tribunal de première instance de Tunis a également condamné deux accusés à la prison à perpétuité, a annoncé à l'aube sur la télévision nationale Aymen Chtiba, procureur général adjoint du pôle judiciaire antiterroriste.

"Justice a été rendue", a estimé le procureur, expliquant la longueur des délibérés, qui ont duré pendant près de 15 heures, par "la nature et le volume" du dossier.

Entouré de manifestants de gauche réunis comme chaque mercredi au centre de Tunis pour réclamer la vérité sur cette affaire, le frère de Chokri Belaïd, Abdelmajid, a salué auprès de l'AFP "une première bataille gagnée dans cette guerre", tout en promettant de poursuivre "sa lutte", notamment contre "la manipulation du dossier".

Les proches de Chokri Belaïd ont à de nombreuses reprises pointé du doigt Ennahdha, accusant notamment le mouvement de s'être montré "indulgent" envers le discours des islamistes extrémistes qui s'était développé à l'époque.

Quelques heures après le verdict, Zouhaier Ben Abdallah, procureur de la République près du tribunal de première instance de Tunis et responsable à ce titre du pôle judiciaire anti-terroriste, a été démis de ses fonctions, sans qu'aucune explication ne soit donnée, ont rapporté les médias.

Ennahdha a estimé dans un communiqué que les condamnations prononcées mercredi "prouvent (son) innocence". Le parti a dénoncé "une volonté de certains courants idéologiques et partis politiques de l'accuser à tort".

"Dans leur communiqué, ils affirment que les coupables ont été trouvés et que le dossier est clos mais ce n'est pas vrai", a rétorqué Abdelmajid Belaïd, assurant qu'il y aurait "bientôt un autre procès d'autres accusés qui étaient en relation directe avec Rached Ghannouchi", chef d'Ennahdha et principale figure de l'opposition, emprisonné depuis plus d'un an.

Moratoire 

Des peines de 2 à 120 ans d'emprisonnement ont aussi été prononcées contre d'autres inculpés tandis que cinq individus ont bénéficié d'un non-lieu.

Si la justice tunisienne prononce régulièrement des condamnations à la peine capitale, notamment dans des affaires de terrorisme, un moratoire est appliqué de facto depuis les dernières exécutions menées en octobre 1991 lorsque trois membres d'Ennahdha avaient été pendus sous le régime du dictateur Zine El Abidine Ben Ali.

Des jihadistes ralliés au groupe Etat islamique (EI) avaient revendiqué l'assassinat de Chokri Belaïd ainsi que celui, six mois plus tard, du député Mohamed Brahmi, une autre figure de l'opposition de gauche.

Les autorités tunisiennes avaient annoncé en février 2014 la mort de Kamel Gadhgadhi, considéré comme le principal auteur de l'assassinat de Chokri Belaïd, pendant une opération antiterroriste.

Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi s'opposaient à la politique d'Ennahdha, qui a dominé le Parlement et le gouvernement après la révolution tunisienne de 2011 jusqu'à un coup de force de l'actuel président Kais Saied qui s'est arrogé les pleins pouvoirs en juillet 2021.

Les deux assassinats avaient constitué un tournant pour la Tunisie, berceau du Printemps arabe alors en pleine transition démocratique, en provoquant des manifestations et une crise politique au terme de laquelle Ennahdha avait dû céder le pouvoir à un gouvernement de technocrates en 2014.

En juin 2022, le président Kais Saied, qui considère l'assassinat des deux "martyrs" comme une cause nationale, avait ordonné la révocation de dizaines de magistrats soupçonnant certains d'avoir entravé l'enquête, faisant écho aux récriminations des familles et de la défense des deux opposants.

Ennahdha a toujours nié toute implication et après les assassinats, avait classé comme organisation terroriste le mouvement salafiste jihadiste Ansar al-Charia, toléré dans le pays depuis la chute de Ben Ali.

A l'époque, la Tunisie avait également connu un essor des groupes jihadistes avec des milliers d'islamistes partis combattre en Syrie, Irak et Libye.

Des attentats avaient également fait des dizaines de morts, dont près de 60 touristes tués en 2015 au musée du Bardo à Tunis et dans la station balnéaire de Sousse.


Israël: la conscription des ultra-orthodoxes secoue le gouvernement Netanyahu

Les membres d’un groupe juif ultra-orthodoxe se préparent à jouer sur la tombe du rabbin Shimon Bar Yochai au mont Meron, dans le nord d’Israël, le 9 mai 2023 (Photo, AFP).
Les membres d’un groupe juif ultra-orthodoxe se préparent à jouer sur la tombe du rabbin Shimon Bar Yochai au mont Meron, dans le nord d’Israël, le 9 mai 2023 (Photo, AFP).
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  • Compte tenu de la sensibilité de cette question qui a rouvert une fracture profonde dans le pays, la coalition gouvernementale dirigée par M. Netanyahu n'est pas parvenue à un accord
  • La Cour suprême, saisie de plusieurs appels exigeant une conscription immédiate des ultra-orthodoxes

JÉRUSALEM: Le gouvernement israélien est engagé jeudi dans une course contre la montre pour trouver un compromis et répondre à la Cour suprême sur la conscription des ultra-orthodoxes, un dossier épineux pour la coalition du Premier ministre Benjamin Netanyahu.

La Cour suprême, saisie de plusieurs appels exigeant une conscription immédiate des ultra-orthodoxes, afin de respecter les lois sur l'égalité entre les citoyens, avait donné jusqu'à mercredi au gouvernement pour formuler une proposition détaillée de projet de loi.

En Israël, le service militaire est obligatoire, mais les juifs ultra-orthodoxes ("haredim" en hébreu) peuvent échapper à la conscription s'ils consacrent leur temps à étudier les textes sacrés du judaïsme, une exemption instaurée à la création de l'Etat d'Israël en 1948 et qui n'a jamais été changée depuis.

Compte tenu de la sensibilité de cette question qui a rouvert une fracture profonde dans le pays, la coalition gouvernementale dirigée par M. Netanyahu n'est pas parvenue à un accord en raison de l'opposition des partis ultra-orthodoxes qui ne veulent pas entendre parler de conscription.

La demande du gouvernement de bénéficier de quelques heures supplémentaires, jusqu'à 12H00 GMT jeudi, pour remettre sa réponse à la Cour suprême, semble indiquer que les différentes parties cherchent à trouver un compromis.

La procureure générale Gali Baharav-Miara, dont le rôle est de conseiller le gouvernement sur les questions juridiques et de le représenter devant les juridictions judiciaires, a jeté un pavé dans la mare mercredi soir en annonçant que le gouvernement aurait l'obligation de procéder à la conscription des ultra-orthodoxes à partir du 1er avril en raison d'un vide juridique.

Au moment où Israël est en guerre contre le mouvement islamiste palestinien Hamas à Gaza depuis bientôt six mois, cette exemption est de plus en plus critiquée au sein de la société, dont une partie estime que les juifs ultra-orthodoxes devraient comme les autres apporter leur contribution à la sécurité du pays et faire leur service militaire.

La coalition gouvernementale de M. Netanyahu repose largement sur l'alliance avec les deux grands partis ultra-orthodoxes, Shass et Judaïsme unifié de la Torah, farouchement opposés à la conscription des haredim. Leur défection ferait tomber la coalition.

Défi d'un ministre 

En mai 2023, le gouvernement a voté pour les écoles talmudiques (yeshivot) un budget sans précédent de près d'un milliard d'euros (3,7 milliards de shekels).

Ces derniers avaient soutenu le projet controversé de réforme judiciaire de Benjamin Netanyahu en échange de son soutien à un projet de loi qui devait être discuté au Parlement avant la guerre sur la poursuite du report de la conscription pour les ultra-orthodoxes.

Mais fin février, le ministre de la Défense, Yoav Gallant, avait défié son Premier ministre en annonçant une réforme du service militaire visant à inclure les haredim, et exigé que l'ensemble du gouvernement la soutienne.

Le service militaire (32 mois pour les hommes et deux ans pour les femmes) est obligatoire pour les jeunes israéliens mais la quasi-totalité des ultra-orthodoxes y échappe, grâce à un accord offrant aux jeunes hommes étudiant à plein temps dans des écoles talmudiques de reporter chaque année leur service militaire. Les jeunes femmes religieuses en sont elles automatiquement exemptées.

Depuis l'invalidation par la Cour suprême israélienne en 2012 de la loi Tal, permettant la tenue de cet accord, les exonérations se sont poursuivies, régies par des accords entre les gouvernements successifs et les partis ultra-orthodoxes.

Les ultra-orthodoxes représentent environ 14% de la population juive d'Israël, selon l'Institut israélien pour la démocratie (IDI), soit près de 1,3 million de personnes.

Environ 66.000 hommes ultra-orthodoxes en âge de servir bénéficient de ce report, selon un chiffre de l'armée.

En 1948, ce report permettait à une élite de 400 jeunes de préserver le monde des études des textes sacrés en grande partie décimé pendant la Shoah.

La plupart des haredim réclament le maintien de cette exemption pour tous les étudiants, jugeant l'armée incompatible avec leurs valeurs.