Il est temps que le projet de tunnel ferroviaire entre le Maroc et l’Espagne se concrétise

Les gouvernements espagnol et marocain ont étudié pour la première fois la faisabilité d’un tunnel reliant l’Europe et l’Afrique en 1979 (Photo d'illustration, Shutterstock).
Les gouvernements espagnol et marocain ont étudié pour la première fois la faisabilité d’un tunnel reliant l’Europe et l’Afrique en 1979 (Photo d'illustration, Shutterstock).
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Publié le Vendredi 23 juin 2023

Il est temps que le projet de tunnel ferroviaire entre le Maroc et l’Espagne se concrétise

Il est temps que le projet de tunnel ferroviaire entre le Maroc et l’Espagne se concrétise
  • L’amélioration des relations entre les deux pays a engendré une coopération accrue en matière de migration et de sécurité, avec un environnement politique plus propice à la collaboration
  • Un tunnel reliant les deux continents nécessiterait un maintien de l’ordre important, d’autant plus que le Maroc sert déjà de base aux migrants ouest-africains espérant atteindre les côtes européennes

Tariq ibn Ziyad, ayant débarqué en Espagne et renvoyé la marine omeyyade à Tanger, dit à ses troupes : «De quel côté allez-vous fuir ? Derrière vous se trouve la mer ; devant vous, l’ennemi.» Ils n’avaient d’autre choix que de conquérir la péninsule Ibérique. La proximité des deux rives est telle que, même au VIIIe siècle, l’étroit détroit de 13 km qui sépare l’Europe et l’Afrique ne constituait guère un obstacle.

Par la suite, le détroit de Gibraltar n’a guère fait obstacle à des siècles de conquêtes, d’échanges, de commerce et de voyages. Néanmoins, le passage s’est peu amélioré depuis l’Antiquité. Malgré 8 routes maritimes et 20 vols quotidiens entre le Maroc et l’Espagne, les deux ne sont pas reliés par la route ou le train ; cependant, depuis cette semaine, les plans en faveur d’un tunnel reliant les deux pays ont été largement soutenus.

Les gouvernements espagnol et marocain ont étudié pour la première fois la faisabilité d’un tunnel reliant l’Europe et l’Afrique en 1979. Ces discussions ont repris en 2003 et, ces dernières années, le gouvernement britannique a étudié des plans pour un tunnel reliant Gibraltar à Tanger. La zone dans laquelle se trouvent les eaux territoriales de 3 pays et par laquelle passe la moitié du commerce mondial est bien sûr très controversée, ce qui rend les discussions sur tout projet de méga-infrastructure extrêmement délicates.

Dans un contexte de ralentissement économique européen, l’Espagne est devenue le plus grand partenaire commercial du Maroc, donnant au pays d’Europe du Sud un avantage unique lorsqu’il s’agit d’exploiter les possibilités sur les marchés à forte croissance des pays du sud. À cette fin, les gouvernements marocain et espagnol ont décidé, plus tôt cette année, de réactiver le projet de tunnel ferroviaire sous-marin qui devrait commencer en 2030. Cette démarche s’est accompagnée d’un financement pour une conception conjointe hispano-marocaine et d’un comité de planification.

Cette semaine, le gouvernement espagnol a concrétisé cet engagement en allouant 2,3 millions d’euros à l’étude mieux connue sous le nom de «liaison fixe Europe-Afrique à travers le détroit de Gibraltar». La ligne ferroviaire à grande vitesse du Maroc reliant Casablanca à Tanger (la première en Afrique) offre la perspective attrayante d’une connexion avec l’extrémité Sud du réseau espagnol de trains à grande vitesse. La ligne marocaine devrait s’étendre plus au sud jusqu’à Marrakech et les perspectives d’un tunnel reliant les deux sont devenues plus envisageables. On estime que, dans les cinq ans suivant son ouverture, un tel tunnel permettrait le passage annuel de plus de 13 millions de tonnes de marchandises, aux côtés de 12,8 millions de passagers.

Après une pause, les relations entre Rabat et Madrid ont connu une renaissance depuis que l’Espagne a soutenu la souveraineté du Maroc sur la question du Sahara occidental. L’amélioration des relations entre les deux pays a engendré une coopération accrue en matière de migration et de sécurité, avec un environnement politique plus propice à la collaboration concernant le tunnel. Bien que leur Histoire bilatérale soit compliquée, il semblerait que les deux parties reconnaissent l'importance de l'autre depuis la nouvelle feuille de route établie l'année dernière. Plus de 20 accords commerciaux ont été signés et plus de 800 millions d'euros de lignes de crédit garanties.

«Les relations entre Rabat et Madrid ont connu une renaissance depuis que l’Espagne a soutenu la souveraineté du Maroc sur la question du Sahara occidental.»

Zaid M. Belbagi

Dans un nouvel esprit de respect mutuel, les relations sont axées sur l’interdépendance économique, car l’Espagne cherche à accroître ses échanges avec le Maroc (son troisième marché d’exportation) et à placer ses entreprises au premier plan des initiatives d’expansion de Rabat. La candidature conjointe à la Coupe du monde de la Fifa pour 2030 constitue le point culminant de la coopération de ces dernières années.

Toutefois, les lignes de failles naturelles peuvent s’avérer plus rédhibitoires pour ce projet que les choix politiques. Le tracé prévu entre la Punta Paloma et Tanger traverse la zone de faille entre les plaques tectoniques eurasienne et africaine. Alors que les fonds marins calcaires permettaient de creuser le tunnel sous la Manche reliant la France et le Royaume-Uni à 115 m sous le niveau de la mer, le détroit de Gibraltar présente à la fois une roche extrêmement dure et une section d’argile instable. Ce n’est pas un problème insurmontable, mais il faudrait un tunnel long de 40 km à 300 m de profondeur. Cela serait préférable à un tunnel au point le plus étroit, qui devrait être creusé à 900 m sous le niveau de la mer étant donné que des courants sous-marins intenses pourraient mettre le projet en péril.

Même comparé à des projets similaires entrepris en Scandinavie, creuser un tunnel sous le détroit de Gibraltar présenterait des défis «bien au-delà de ceux de tout autre tunnel dans le monde», selon les experts de l’université polytechnique de Madrid. En plus des complexités géologiques, il reste à savoir ce qu’il adviendra des centaines de milliers de migrants qui veulent traverser l’Afrique du Nord vers l’Europe. Un tunnel reliant les deux continents nécessiterait un maintien de l’ordre important, d’autant plus que le Maroc sert déjà de base aux migrants ouest-africains espérant atteindre les côtes européennes. Ces dernières années, Rabat a cherché à accroître la coopération de l’Union européenne (UE) sur cette question, qu’elle considère comme un rôle particulièrement ingrat de «l’Europe policière». Selon un rapport parlementaire marocain, plus de 56 000 migrants ont été interceptés par le Maroc en 2022.

Les mégaprojets captivent par leur capacité à imposer l’ingénierie et l’intelligence humaines aux réalités naturelles. La liaison fixe Europe-Afrique à travers le détroit de Gibraltar ne déroge pas à la règle. Dans un monde de plus en plus interconnecté, la connexion intercontinentale proposée deviendra rapidement une nécessité. Alors que l’Europe cherche ailleurs des marchés à forte croissance, l’Afrique, qui abritera un quart de la population mondiale d’ici à 2050, est à sa porte. Les perspectives de développement croissantes du Maroc reflètent sa situation géographique favorable en tant que pôle pour un lien entre les deux continents.

Zaid M. Belbagi est commentateur politique et conseiller auprès de clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe (CCG).

Twitter: @Moulay_Zaid

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com