Beaucoup remettent en question le but du pèlerinage annuel à l’Assemblée générale des Nations unies chaque automne, sachant que les dirigeants se rendent au bâtiment emblématique le long de la première avenue à Manhattan pour y prononcer un discours de 15 minutes qui, contrairement à la charte de l’organisation, ne conduit guère à une amélioration de l’état des affaires internationales ou de la condition humaine.
L’un des sujets ayant retenu l’attention de l’ONU au cours des 75 dernières années est le conflit israélo-palestinien, mais l’organisation a eu très peu de succès en termes de règlement dudit conflit.
Pendant la majeure partie des deux dernières décennies, c’est le Premier ministre Benjamin Netanyahou qui parle au nom d’Israël et le président Mahmoud Abbas qui représente les Palestiniens, deux dirigeants qui sont très loin d’être à l’apogée de leur pouvoir et de leur compétence.
Cette année, comme lors de nombreuses années précédentes, le discours de Netanyahou était caractérisé par une arrogance parsemée d’éléments délirants considérables, tandis qu’Abbas semblait désespéré et impuissant dans son discours. Chacun a blâmé l’autre pour l’impasse actuelle, sans pour autant réfléchir à leurs propres contributions considérables à ce triste constat, même s’il est naïf de s’attendre à ce que l’un ou l’autre des dirigeants ait perfectionné cette compétence humaine essentielle.
Ce qui est ahurissant lors de telles occasions, c’est que les orateurs – pas seulement Abbas et Netanyahou – agissent comme si le monde était complètement inconscient de ce qui se passe dans leur propre cour politique. Dans le cas de ces deux-là, ils sont à la tête de sociétés qui subissent une profonde crise sociopolitique découlant, dans une large mesure, non seulement de la longue histoire de conflit entre leurs peuples mais aussi de leur propre leadership défaillant pendant de nombreuses années.
Un autre élément caractérise ces deux dirigeants: ils nient le fait incontestable qu’ils sont en fin de carrière politique et ont peu de crédibilité ou de légitimité, au sein de leur propre peuple ou à l’étranger. En outre, ils ne reconnaissent absolument pas qu’ils sont une cause majeure des problèmes auxquels sont confrontés leurs pays respectifs et qu’ils peuvent donc difficilement faire partie de la solution.
Entre eux deux, c’est clairement le dirigeant israélien qui chérit le plus cette occasion sur la scène mondiale, même s’il a tenu son discours devant une salle presque vide. Pendant ce temps, son homologue palestinien s’est adressé aux dirigeants du monde avec peu de confiance en la capacité de ce forum de délivrer son peuple de l’occupation, du siège et de l’exil.
Inutile de dire que les Palestiniens reçoivent une grande dose d’empathie et de sympathie de la part de la communauté mondiale, mais cela ne change pratiquement rien à la situation.
Malgré l’appel lancé par Abbas aux membres de l’ONU pour qu'ils suivent les propres résolutions de l’organisation – il en existe des centaines et le droit international est tout à fait logique –, il sait que, compte tenu des conditions internationales actuelles, la grande majorité des membres de l’ONU qui souhaiteraient assister à la fin de l’occupation israélienne, et avec elle, des violations quotidiennes des droits humains fondamentaux de millions de Palestiniens, se répartissent en deux groupes. Ceux convaincus qu’il n’est plus possible de parvenir à une solution à deux États, qui ne pensent pas qu’il soit important d’investir et qui s’attendent à des changements radicaux, tant en Israël qu’en Palestine, en termes de leadership et d’approche pour résoudre leurs problèmes avant qu’ils ne soient prêts à retourner activement dans cet environnement toxique; ou ceux devenus simplement apathiques et insensibles à la situation difficile des Palestiniens à un moment où il y a d’autres questions internationales plus urgentes à régler.
«La tentative de Netanyahou d’agir en homme d’État devant l’Assemblée générale de l’ONU se révèle très peu convaincante.»- Yossi Mekelberg
Tout le monde est d’accord sur les maux de l’occupation et le fait que les administrations israéliennes successives ont fait tout leur possible pour détruire la perspective d’une solution à deux États. Elles ont par ailleurs renforcé l’occupation à travers la construction illégale et l’expansion des colonies, les ont remplies de centaines de milliers d’Israéliens et ont établi un régime d’apartheid en Cisjordanie.
Cependant, les gens savent aussi qu’Abbas a déjà dépassé de 16 ans le mandat pour lequel il a été élu et ne jouit guère de légitimité, même au sein de son propre peuple. Sa plus grande contribution à la cause palestinienne aurait été d’annoncer à l’Assemblée générale que non seulement il démissionnait, mais que, ce faisant, il démantèlerait l’Autorité palestinienne et remettrait la responsabilité de la sécurité et du bien-être du peuple palestinien entre les mains de la communauté internationale et la force d’occupation.
Alors que pour Abbas, les relations avec Israël sont naturellement la solution ultime, Netanyahou a toujours eu le luxe, du moins dans son esprit, de marginaliser et de rejeter la question. Au lieu de cela, il aime jouer la mascarade du leader mondial visionnaire, abordant un tas de sujets – de la sécurité mondiale à l’intelligence artificielle. Pendant ce temps, sa crédibilité diminue à mesure qu’il fait face à des protestations partout où il va et qu’il dirige un gouvernement abhorré au niveau international.
Dans un passage de son discours, il fait part de ses intentions à l’égard des Palestiniens. Pour régler le conflit avec eux, il veut d’abord normaliser les relations avec le reste du monde arabe et, par conséquent, selon lui, les Palestiniens «emprunteront enfin la voie d’une paix véritable».
Dans l’esprit de Netanyahou, ce scénario permettra à Israël de dicter les conditions de tout futur accord de paix, qui sera bien loin de créer un État palestinien pleinement indépendant avec un territoire contigu. Au mieux, ce sera un État dont la survie dépend de la miséricorde et de la bonne volonté d’Israël.
Alors que Washington et Riyad restent prudents quant à la possibilité d’une normalisation des relations entre l’Arabie saoudite et Israël, Netanyahou surestime cette démarche comme si c’était un fait accompli.
Compte tenu de sa situation politique précaire en Israël – où les manifestations contre le gouvernement se déroulent sans interruption depuis 38 semaines maintenant, et où ses partenaires d’extrême droite au sein du gouvernement de coalition ne sont pas assez intelligents pour comprendre la valeur stratégique d’une normalisation des relations avec l’Arabie saoudite pour la sécurité et le bien-être à long terme de l’État juif, ou trop zélés pour accorder des concessions aux Palestiniens en vue d’atteindre cet objectif – la tentative de Netanyahou d’agir en homme d’État devant l'Assemblée générale de l’ONU se révèle très peu convaincante.
Comme les discours d’Abbas et de Netanyahou en témoignent, il s’agit d’un conflit asymétrique et c’est un facteur majeur qui empêche son règlement, puisqu’une partie est en possession de la plupart – sinon la totalité – des cartes. Il appartient donc à la communauté internationale de remédier à ce déséquilibre.
En attendant que les dirigeants du monde soient prêts à le faire, en se lançant dans un effort concerté pour rassembler les parties afin de négocier sérieusement un accord de paix, ce qui est, après tout, la raison pour laquelle l’ONU a été créée en premier lieu, les perspectives d’une résolution pacifique resteront plus éloignées que jamais.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme Mena à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.
X: @YMekelberg
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com